jeudi 27 mai 2010 - par Gilbert Comte

Vouloir une consommation toujours en hausse

Les Etats mettront les « marchés » au pas ou les « marchés » mettront les Etats par terre. 

 En toute bonne foi, les Français d’aujourd’hui croient vivre dans une époque très supérieure aux précédentes par les très larges libertés qu’elle accorde à tous. Mais n’est-ce pas aussi un très grave inconvénient d’en admettre trop pour des irresponsables constamment occupés à n’en faire qu’à leur guise, quoi qu’il en coûte aux autres ? Parfaits modèles de cette triste engeance, les « marchés ». 

« Euphoriques » le matin du 10 mai en raison des mesures sévères prises à Bruxelles par les dirigeants européens pour sauver la monnaie unique, voilà qu’ils tombent le vendredi d’après dans le plus noir pessimisme. Le dispositif arrêté en début de semaine ne nuirait-il pas à la consommation, avec à la suite un ralentissement des affaires ? Dans leur logique du très court terme, ils ont raison. Ainsi, préservent-ils leur parfaite liberté de ne se satisfaire jamais de rien. Les Etats les inquiètent lorsqu’ils croulent sous les dettes comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal. Mais ils ne s’en accommodent pas non plus si ces misérables s’apprêtent à réduire leurs dépenses, et donc à ne plus jeter leur argent par les fenêtres pour les plus grands profits des entreprises cotées en Bourse. En d’autres termes, les « marchés » refusent toute règle. Une crise devient irréparable quand les esprits ne peuvent plus se raccrocher à un système sûr et stable.

Comment y réussiraient-ils lorsque les « marchés » procèdent à leurs opérations dans le plus stricte anonymat. Avec la merveilleuse liberté moderne, quoi de plus libre qu’être constamment anonyme ? En face, les Etats, eux, partagent l’obligation d’avoir à produire sans cesse leurs pièces d’identité. L’espace compris en Europe entre la Mer du Nord et la Méditerranée s’appelle la France, et celui d’à côté vers l’Est, entre le Rhin et la Pologne, l’Allemagne. Qu’on les aime ou pas, leurs dirigeants n’avancent pas sous des masques. Chacun connaît M. Nicolas Sarkozy , Mme Angela Merkel. En bien comme en mal, ils assument de lourdes responsabilités envers leurs populations, s’exposent -et c’est tant mieux- aux verdicts parfois foudroyants du suffrage universel. Rien de tel pour les « marchés ». Ils « montent » ou « descendent » à leur gré. Ils disparaissent ou se montrent sans jamais devoir s’expliquer devant personne, à la fois présents et absents selon une ubiquité certes parfaitement criminelle, absente de la nature. Il suffit qu’elle existe dans des têtes à New York, dans les mystérieuses agences de notation, pour s’imposer surabondamment. Alors, la monnaie européenne bondit en quelques heures vers le sommet, retombe aux abîmes, et personne n’y peut rien. Mais dans notre monde épris de libertés, quoi de plus joyeusement élastique ?

« Liberté, que de crimes se commettent en ton nom ! » murmurait en 1794 l’illustre Madame Rolland sur les marches de l’échafaud, avant de laisser sa tête sous la guillotine. Les libres « marchés » présentent eux aussi ce caractère de pouvoir anéantir qui ils veulent sans limite. A l’inverse de certains Etats, ils ne disposent pas de la peine de mort ni même du droit d’envoyer quiconque en prison. Leurs décisions fantasques ne s’en réservent pas moins quand ils le veulent le droit de vouer des peuples entiers à la misère et, parmi eux, les plus vulnérables au suicide, selon la procédure, si l’on ose dire de France Telecom. Dans ce cas là, il existait encore un directeur avec une tête, un nom, Mr Didier Lombard. Mais sous ses ordres, n’en doutez pas, des techniciens modernes tous hostiles par principe à la peine capitale. Libres, libres comme l’air eux aussi, ils n’en élaborèrent pas moins des règlements et un code d’assassins.

Pour le moment, les « marchés » ne se satisfont de personne. Mais personne ne décide ni ne peut rien contre eux. Il n’existe donc à leur égard aucune règle visible, sauf celle de la subordination. « Nous ne pouvons nous permettre de décevoir les marchés » estimait la semaine dernière à Bruxelles le ministre suédois des finances Mr. André Borg. Mais les « marchés », eux, peuvent décevoir, consterner, épouvanter qui ils veulent. La liberté générale admise pour tous rencontre quand même pour obstacle leur suprématie particulière. Ils s’en fichent complètement de décevoir quiconque s’ils gardent leur prépondérance. Le rapport de forces désormais très clair pour tous établit au moins une équation simple : les Etats mettrons les « marchés » au pas, ou les « marchés » mettrons les Etats au sol, avec devant eux les peuples à plat-ventre, complètement détruits.

Certes, en apparence, ceux-ci ne se portent pas si mal. La semaine dernière, grâce à un doux réchauffement de l’air, les folles variations de l’Euro n’empêchaient pas les terrasses des cafés de se remplir à ras-bord. Des foules insouciantes parlaient football : la merveilleuse machine à diversion pour détourner les gens de l’essentiel. Pendant qu’ils regardent Ribery, Benzema cavaler, des millions d’imbéciles oublient leurs intérêts ou le contemplent d’un œil neutre. Et puis, l’illusion d’une « croissance » libre elle aussi à l’infini entretenait dans la multitude l’espoir trompeur qu’avec un peu de chance, chacun finirait bien par y trouver sa place. Eh bien, finie, la rigolade ! Les voleurs professent toujours une morale particulière. Celle des « marchés » consiste à vouloir une consommation toujours en hausse, avec des rémunérations de travail toujours en baisse. Certainement absurde. Mais enfin, les « marchés » sont faits comme ça.

Demeure une énigme. Sarko, Fillon, Christine Lagarde et leur petite bande tellement admirative du modèle américain disposent-ils en eux d’une détermination suffisante pour combattre l’ennemi ? Dans leur cœur, ils s’en sentent souvent si proches. Pour Nicolas, le gouvernement d’un pays s’apparente à l’administration de New-York : beaucoup de commerces, des affaires, des banques, la police partout et l’Etat nulle part. D’ailleurs, lui-même dirige, préside moins la République qu’il n’y exerce d’abord une autorité de flic, avec des opérations « coup de poing » chaque jour. Allons, Nicolas, au travail ! 



10 réactions


  • zadig 27 mai 2010 14:23

    A l’auteur,

    Article simple et très clair

    Malheureusement les pantins placés par le « marché » à la tête de l’état sont là.
    Je ne vois pas de solution avec ce gouvernement.
    Il faudrait un évènement considérable pour changer les choses.
    mais lequel ?


  • hunter hunter 27 mai 2010 14:35

    Bon article, effectivement très clair :

    On en revient à ce que disait Montesquieu :« pas de pouvoir, sans contre- pouvoir »

    Là, il y a LE pouvoir (les marchés, comme vous dîtes), et en face....... RIEN !

    Des guignols de politicards qui sont redevables aux puissances d’argent (qui c’est qui paye leurs astronomiques campagnes électorales ?), et qui doivent donc les satisfaire, et une population divisée, individualiste et lobotomisée par les « distractions » (télé réalité, foot, sports.....)

    comme le dit Zadig, comment faire pour changer tout ça !

    Moi j’ai bien une petite idée, mais je ne l’écrirai pas ici, car je vais être taxé d’agitateur..

    Bien à vous

    H /


  • ZEN ZEN 27 mai 2010 18:19

    Intéressant
    Une « énigme » ?
    Non, tout s’explique...


  • ZEN ZEN 27 mai 2010 18:22

    Moi j’ai bien une petite idée, mais je ne l’écrirai pas ici, car je vais être taxé d’agitateur..

    Cachotier !
    On peut savoir ?
    ça peut changer le monde ! smiley


  • moebius 27 mai 2010 21:50

    « quoi de plus libre qu’être constamment anonyme ? »... en effet


  • moebius 27 mai 2010 21:52

    si ici vous pouvez l’étre profitez en parce qu’ailleurs vous l’étes de moins en moins. Ceci compense cela comme dirait mon maitre ;;


  • moebius 27 mai 2010 21:53

    je ne réponds plus de ce clebs qu’il aille se faire foutre


  • moebius 27 mai 2010 21:54

    petits cachotiers va !


  • moebius 27 mai 2010 21:56

    ...chercher la baballe... il est content le chien chien il a un beau nonos le chien chien


  • Michel DROUET Michel DROUET 28 mai 2010 09:24

    « Ceux qui nous gouvernent disposent-ils en eux d’un détermination suffisante pour combattre l’ennemi ? »

    Au départ, il me semble que nos gouvernants et « les marchés » ne se combattent pas. Les valeurs véhiculées par les marchés, ces fameux créateurs de richesse et ces fonds de pensions auxquels rèvent nos gouvernants actuels ne sont pas éloignées des idées libérales du Président de la République.
    L’ennui, c’est que les marchés en arrivent désormais à dicter leur loi aux Etats et cela, même le citoyen le moins informé commence à voir ce qui se passe et commence à se demander à quoi sert le pouvoir politique.
    Gageons qu’un « gentelemen’s agreement » va être conclu entre les marchés et les états pour mettre en marge quelques pratiques scandaleuses ou trop visibles et conforter les états dans leur rôle de régulation à la marge
    L’honneur sera sauf, mais rien au fond n’aura changé. La communication fera le reste et les bons peuples s’endormiront à nouveau... jusqu’à la prochaine crise.


Réagir