vendredi 20 juin 2008 - par Michel Santi

Y a-t-il une vie après le dollar ?

L’oraison funèbre du dollar a failli être prononcée de multiples fois ces dernières décennies et tout particulièrement de la fin des années 70 au début des années 90 lorsque les performances des économies allemande et japonaise surpassaient de loin celle de l’économie américaine. Pourtant, le deutsche mark ou le yen n’ont jamais usurpé la toute-puissance du billet vert du fait de la taille de l’économie et du marché américains, autrement plus importants que la taille des marchés allemands et nippons...

La situation est néanmoins radicalement différente de nos jours pour deux raisons : la globalisation et l’existence d’un grand rival en l’euro.

Le bloc économique constitué par l’Union européenne étant au moins aussi volumineux que celui sous influence américaine, l’euro est l’alternative prestigieuse à une monnaie et à une nation américaine dont on ne cesse de prédire la faillite du fait de déficits commerciaux et budgétaires gracieusement financés par des pays disposant d’océans de liquidités comme la Chine et les pays arabes riches en pétrodollars...

Depuis 1985, la valeur du dollar - mesurée à un panier de devises importantes - ayant perdu plus de 50 % de sa valeur, certaines nations "créditrices" ne cessent d’être tourmentées par une question dont la réponse pourrait s’avérer tout bonnement existentielle pour les Etats-Unis : quel avantage y a-t-il à continuer à investir dans la bourse, dans le marché obligataire et même dans les bons du Trésor américains ? Les Etats-Unis seraient-ils sur le point de perdre leur privilège exorbitant consistant à laisser les nations étrangères financer leurs déficits ? 

Il n’est possible de répondre à cette question qu’en étudiant la carte du monde et sa géopolitique car les Américains ont précisément monnayé leur leadership ou leur prédominance - pour ne pas dire leur domination - par des apports de liquidités constants remontant depuis les pays "vassalisés". Ainsi, l’Allemagne avait-elle dans les années 60 assumé financièrement le coût du stationnement des troupes américaines dans son pays afin d’éponger le déficit américain de la balance des paiements. Ainsi, l’Arabie saoudite, le Koweït et le Japon résorbèrent-ils ce déficit en 1991 lors de la première guerre d’Irak... Pour autant, les alliés des Etats-Unis vont-ils ad vitam aeternam être comme pris en otage par une puissance parfois arrogante et toujours accoutumée à vivre très nettement au-dessus de ses moyens ?

Un parallèle intéressant peut être tiré avec le déclin de la livre sterling dès lors que la Grande-Bretagne avait définitivement perdu au début du siècle dernier hégémonie internationale, colonies, puissance militaire et domination économique... A cet effet, la crise de Suez en 1956 est fréquemment citée comme le soubresaut ultime d’un Empire britannique déchu pliant sous les injonctions américaines et d’un président Eisenhower menaçant de ne pas accorder le soutien du FMI à la Grande-Bretagne !

Les Etats-Unis, embarqués dans un vaisseau qui prend massivement l’eau du fait de leurs déficits gigantesques et d’aventures néo-coloniales ratées subiront-ils le sort des empires dont le prestige passé ne se mesure plus qu’au nombre de pages leur étant dédié dans les manuels d’histoire ?

Les Etats-Unis ne sont certes pas la Grande-Bretagne à l’époque de Suez et le billet vert pourrait bien se reprendre prochainement, la crise du crédit et les affres du secteur financier étant totalement reflétées dans son cours actuel. Il est plus ou moins acquis que le billet vert a perdu son statut de monnaie de réserve par excellence, mais toutefois pas au profit de la seule monnaie européenne.

Du reste, c’est précisément la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis de certains pays finançant ses déficits qui a accéléré l’émergence de puissances nouvelles à même de mettre son hégémonie en échec ! La réalité est en effet frustrante pour les Etats-Unis car de champions de la globalisation, ils en sont devenus les victimes.

Faisons encore appel à l’Histoire, en l’occurrence celle du XVIe siècle, qui avait vu l’émergence de l’Empire espagnol, plus grand producteur d’or et d’argent mondial grâce à sa colonisation de l’Amérique du Sud et souvenons-nous de cet Empire qui avait vécu au-dessus de ses moyens en se procurant sans compter marchandises et produits manufacturés en provenance d’économies "émergentes" comme la Hollande, la Suède, le Danemark et même d’Angleterre et de France. Au fur et à mesure que ces pays développaient leur économie afin de satisfaire les achats espagnols, l’Angleterre parvenait même à la dépasser technologiquement jusqu’à défaire son armada. Quelques siècles plus tard, les Etats-Unis d’Amérique sont devenus une nation hautement endettée, forcée de partager sa prospérité avec la Chine, l’Inde ou le Brésil, d’où la dégringolade du dollar. L’émergence d’économies nouvelles a ainsi encouragé l’Ouest à sous-traiter une partie substantielle de sa production en Asie, en Europe centrale ou en Amérique latine où les travailleurs sont payés 1 $ de l’heure en lieu et place de 30 $... C’est ce qui explique que la chute du dollar s’est poursuivie même en temps de prospérité économique aux Etats-Unis comme entre 2004 et 2007.

Les pays "créditeurs" ne peuvent cependant se permettre de manifester trop ouvertement leur défiance vis-à-vis du billet vert qui provoquerait le sauve-qui-peut mondial hors de cette devise car eux-mêmes sont lourdement investis dans des actifs libellés en dollars ! C’est ainsi que leurs banques centrales ont entamé il y a quelques années un processus lent et subtil consistant à amoindrir graduellement la pondération de leurs réserves dollar. C’est également ainsi qu’un véhicule d’investissement idéal parce que peu transparent a fait son apparition, le fonds souverain, qui dès lors pouvait être surpondéré en euros sans pour autant provoquer la panique sur le marché du dollar. Au demeurant, les fonds souverains ne sont-ils pas la manifestation la plus éclatante du rééquilibrage des forces - et du transfert de richesses - de l’Ouest vers l’Est... ? Il est également encore un domaine d’activité américain majeur qui empêche le dollar de s’effondrer, à savoir son industrie de l’armement, car les Etats-Unis restent - et de loin - le premier exportateur d’armement au monde. Ainsi, tombe-t-il sous le sens qu’un pays comme Taiwan, par exemple, indexe sa devise au dollar eu égard à ses achats d’armes massifs en provenance des Etats-Unis.

Le sort du dollar dépendra notamment de la Chine et de sa monnaie, le yuan. En effet, les Américains exercent une pression intense sur la Chine depuis plusieurs années afin que le yuan soit réévalué afin d’enrayer la marée des exportations chinoises vers leur pays. De fait, les autorités monétaires chinoises ont autorisé leur devise à s’apprécier de l’ordre de 8 % l’an sans pour autant qu’un yuan plus ferme ne nuise aux exportations et à la puissance chinoise. Toutefois, le développement rapide du pays favorise l’inflation qui y est à près de 9 %, soit au plus haut depuis onze ans, et - pire encore - cette inflation s’exporte vers les pays acheteurs de produits chinois du fait du renchérissement de ces produits. Ainsi, l’Ouest paie-t-il une partie de l’augmentation des prix du pétrole et des matières premières facturée à l’industrie chinoise et reflétée à travers des produits chinois plus coûteux. Après avoir bénéficié d’une période déflationniste grâce à la Chine, l’Ouest commence à assister, impuissant, à l’inversion de ce processus, c’est-à-dire à importer de Chine des DVD, des habits et... de l’inflation ! Le yuan n’est donc pour le moment pas en mesure de concurrencer le dollar et la devise chinoise ne sera réellement attractive vis-à-vis des investissements internationaux qu’à partir du moment elle se sera substantiellement appréciée et que la hausse des taux d’intérêt chinois aura jugulé l’inflation avec succès.

L’Histoire nous enseigne que l’apogée ou la déchéance des devises majeures est un processus lent et progressif et il ne faudrait donc pas enterrer trop promptement la devise américaine. Le roi dollar n’est pas encore prêt à rendre sa couronne, même si celle-ci lui est de plus en plus disputée par l’euro.



15 réactions


  • Internaute Internaute 20 juin 2008 12:41

    Je suis assez d’accord avec cet article. Vous montrez bien que la vraie richesse vient de la production de biens. Quand on délocalise, on a beau aligner des zéros à droite sur des bilans, on s’appauvrit. Les sociétés sans usines peuvent tromper quelques temps mais finissent par sombrer, comme Alcatel qui est l’exemple type de la société du 3° type.

    Il existe un lien historique entre la puissance militaire et la puissance monétaire. Les deux se soutiennent et s’entretiennent. La faiblesse du dollar va cette fois-ci de pair avec un petit début de faiblesse militaire. Les matériels US sont vieux (le F15 a 30 ans) et les nouveaux programmes sont réduits d’années en années. Le F35, supposé remplacer tout ce qui existe par raison d’économie, a pris 4 ans de retard http://www.avions-militaires.net/fiches/f35.php.

    A propos de la monnaie vous écrivez « En effet, les Américains exercent une pression intense sur la Chine depuis plusieurs années afin que le yuan soit réévalué afin d’enrayer la marée des exportations chinoises vers leur pays. »
    Etant donné que les USA ne produisent plus grand-chose, une réévaluation du Renmimbi (Yuan) aura pour conséquence immédiate une flambée de l’inflation chez eux. Les importations ne diminueront pas car ils n’ont rien pour remplacer les chinoiseries vendues à Wall-Mart mais par contre le déficit commercial va exploser. C’est la raison pour laquelle ils ont mis en sourdine cette exigence

    Les multinationales américaines ont avancé de pair avec les doctrines impérialistes des politiques et forcé la globalisation. Cependant, le gros de la société américaine en souffre énormément, tout comme chez nous.


    • Dominique Larchey-Wendling 20 juin 2008 13:44

      Vous montrez bien que la vraie richesse vient de la production de biens.

      Et aussi voir surtout dans le cas des USA, de l’exploitation des ressources naturelles, le pétrole en premier lieu. L’empire US s’est construit sur l’exploitation du pétrole, s’est maintenu en contrôlant ce marché par la devise et la menace militaire et s’effondre parce qu’il n’arrive plus à maintenir ce contrôle à cause des immenses pressions qu’exercent la rarification de la ressource sur l’économie du plus grand gaspilleur du monde.

       


  • chmoll chmoll 20 juin 2008 12:53

    Y a-t-il une vie après le dollar ?

    bésur, mais ça depend combien que t’en a


  • Yannick Harrel Yannick Harrel 20 juin 2008 13:29

    Bonjour,

    Votre analyse me semble très pertinente : il ne faut pas enterrer le dollar tant que les Etats-Unis ont encore des moyens de coercition envers les pays finançant sa vie à crédit. L’autre versant du problème est : l’euro n’est-il pas en surchauffe ? De plus, n’est-il pas plus enclin à s’effondrer en cas de crise sociale d’importance en Europe du fait de la politique contraignante de la BCE ?

    Cordialement


  • Tristan Valmour 20 juin 2008 13:39

     

    Et si nos amis américains avaient une autre monnaie à proposer : l’améro ? Est-ce de l’info ou de l’intox ? Voici deux liens que j’avais reçus par mes amis il y a quelques mois. L’un est un article de l’International Herald Tribune, l’autre, une info de la chaîne CNBC. Quel crédit apporter à cela ?

     

    http://www.iht.com/articles/2007/11/25/america/25Amero.php?page=1

     

    http://www.youtube.com/watch?v=6hiPrsc9g98

     

     


    • Laurent_K 20 juin 2008 19:04

      L’améro lui-même est du pipeau. On ne fonde pas une union monétaire en secret. Il a fallu des décennies en Europe pour le faire et c’est loin d’être fini. 

      Cependant l’ampleur énorme que prend cette rumeur de l’améro (aux Etats-unis, pas chez ses deux supposés partenaires...) est révélatrice du choc psychologique que subissent les Américains en ce moment.

       


    • Cug Cug 21 juin 2008 10:48

      Je suis pas trop au courant de l’améro mais je pense que c’est une option au cas ou .... le dollar s’effondre mais pas de 50% plutôt de 1000%.

       A ce moment là PAF la FED abandonne le dollar et passe à l’amero, une manière comme une autre d’éviter de payer ses dettes, n’est ce pas.


  • Marc Viot idoine 20 juin 2008 13:50

    Je me souviens d’une règle économique disant qu’en présence de deux monnaies, l’une faible (autrefois l’argent) l’autre forte(autrefois l’or), les acteurs avaient tendance à privilégier la faible et à thésauriser la forte et qu’à terme c’est la forte qui disparaissait de la circulation.

    Bon, je suis d’accord, le cas $ vs/ € est différent, il n’empêche : que vont devenir ces masses de dollars ?

    Pour qu’on envisage sérieusement sa disparition, il faudrait un crise aussi grave que celle qu’a vécu l’allemagne d’après guerre avec la dévalorisation du Reichmark.

    De plus, comment faire confiance à une éventuelle nouvelle monnaie (ex : amero) dont on se doute qu’elle sera contrôlée par les USA ...


  • tvargentine.com lerma 20 juin 2008 15:16

    Faites nous une prévision de la valeur de l’euro par rapport au dollar dans 3 mois et 6 mois

     

    Merci

     


    • Laurent_K 20 juin 2008 18:51

      C’est de la prospective que de faire ce genre de "prévision". Peu de monde essaye et encore moins réussissent. Cependant, il y a un site qui s’y essaye avec succès depuis deux ans : www.europe2020.org. Ils avaient anticipé la crise des subprimes il y a près de deux ans et ont même sorti un calendrier de la crise actuelle (et qui tient le route face au faits, je précise). Ils anticipent un taux de 1,75 USD pour un EUR à la fin de l’année.


    • Francis, agnotologue JL 20 juin 2008 19:13

      Pourquoi ne la faites-vous pas vous même, vous qui êtes si malin et prétendez avoir réponse à tous ! 


    • Francis, agnotologue JL 20 juin 2008 19:17

      je parlais à l’autre là, bien sûr, celui qui passe tout son temps ici . On voudrait bien savoir qui est le crétin qui paye un tel idiot à pour faire ce boulot de con : chien de garde sur Agoravox.


  • Cug Cug 20 juin 2008 19:16

    Le dollar ne vaut plus rien. Il est sous perfusion.

    Il se maintient péniblement par les gesticulations militaire US, la flambée des prix du pétrole et les ventes d’armements.

    Personne ne sait combien de dollars circulent dans le monde !!! Je crois même que la FED refuse depuis quelques années de donner des chiffres à ce sujet.

    La FED arrose le monde de liquidité en dollars en faisant tourner la planche à biller frénétiquement, ce sont les citoyens US les cocus de l’histoire. Tant que le monde acceptent le dollar, celui ci se maintiendra car personne ne veut voir son "investissement" s ’effondrer.

    Le dollar, c’est de la monnaie de singe voir de la fausse monnaie.

     


  • MAIKEULKEUL 22 juin 2008 12:44

    L’auteur est un inconditionnel des USA et du dollar sous un language madré.
     

    Alignez les pertes des banques avec les "surprimes", au minimum 2000 milliards de $, et le bulle financière des produits dérivés de 45.000 milliards de $ qui menace d’exploser sous peu, on peut vraiment dire que le dollar n’est pas au bord du précipice !!!

    Au contraire, cela va aller très vite : les rats quittent le navire et se replient sur les matières premières et les produits alimentaires de 1ère nécessité, C’est le b a ba du spéculateur moyen lorsque l’orage gronde.

    Si vous croyez vraiment ce que vous écrivez, ce que je doute, placez vos économies en dollar. On en rira dans quelques mois.

     


  • wesson wesson 23 juin 2008 00:44

    Cher auteur,

    vous êtes Suisse (à priori) et vous êtes trader

    Voilà à mes yeux deux excellentes raisons qui à mes yeux discalifie un petit peu votre discours semi-rassurant sur l’état du dollar. Si ce dernier perds toute sa valeur, je crois que vous risqueriez fort de perdre votre job. Une telle perspective éclaire toujours son point de vue d’une rassurante lumière.

    Pour ma part, il me semble que les états unis ont bien trop claqué dans 2 guerres dont ils ont du assurer à peu près seul le cout financier, et risquent même d’en démarrer une troisième dont j’ai du mal à croire que même leurs amis du golfe souhaitent régler l’ardoise. toute cette armada ne serts à rien si il n’y a plus de quoi à la financer. Les états unis ruinés, je ne suis pas certain que cette perspective soit si irréelle, et si redoutable.

    mais bon, c’est mon coté la révolution lave plus blanc qui doit me faire penser ça...

     


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