vendredi 14 janvier 2011 - par Eric De Ruest

Cancun : Autoroute pour l’enfer

Les officiels se sont congratulés, les grands médias ont exulté, certaines ONG ont même parlé de victoire historique. Cancun aurait été une réussite et l’on se croirait en route pour un paradis climatique. Hélas, la victoire claironnée ne concernait pas la protection du climat, un comble, mais la capacité de négociations inter-gouvernementales. L’ONU aurait, grâce à cet accord, démontré son utilité dans le dialogue constructif entre les États. Simple show médiatique pour nous faire oublier le lamentable échec de Copenhague ? Sans aucun doute, car à la lecture du document final, force est de constater que non seulement rien de contraignant n’est mis en œuvre pour ralentir le désastre climatique, mais qu’au contraire, on propose en attendant la prochaine rencontre annuelle une batterie de solutions faussement écologiques que l’on confie au marché et à ses promoteurs les plus néfastes. Pseudo-solutions et report des échéances, sans oublier le déni des propositions issues des mouvements sociaux réclamant partout dans le monde une justice sociale et écologique. Survol d’une hécatombe annoncée.

Ce qui ressort de « l’accord » :

Les négociations sur le climat sont d’abord une question de très gros sous. Évidence pour une civilisation qui a extrait l’économie de l’ensemble des processus du vivant pour l’ériger comme dogme quasi religieux. Ce culte irrationnel de la croissance infinie, mâtiné d’une mauvaise lecture du principe de compétition des espèces posé par Charles Darwin, est l’unique credo d’une grande majorité des décideurs. Pour notre plus grand malheur, ceux-ci sont dès lors incapables de penser en d’autres termes, malgré les enjeux de survie auxquels nous sommes confrontés. Chacune des parties dominantes veut concéder le moins possible en termes économiques. Résultat : l’accord ne comporte rien de réellement contraignant en termes de réductions des Gaz à Effet de Serre (GES), mais comme il fallait donner l’impression d’agir tout en continuant la marche forcée de la croissance, on nous a présenté pour seules solutions des mécanismes profitables économiquement :

Le mécanisme REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation de la forêt dans les pays en développement) [1] : critiqué depuis sa création en 2005 par de nombreux analystes écologistes [2], militant-e-s, indigènes, puisqu’il favorise... la déforestation mais aussi l’expulsion de populations indigènes des territoires qu’elles entretiennent et protègent depuis des temps immémoriaux. Ce principe d’expropriation est soutenu par de grandes ONG de stricte conservation des forêts (de type de celle qui a un gentil panda comme logo), trop souvent du côté des États-Unis dans les négociations afin que REDD+ soit géré par des mécanismes de marché. REDD+ est aussi inadéquat d’un point de vue temporel pour une véritable réduction de la concentration des GES dans l’atmosphère que néfaste pour la préservation de la biodiversité. En effet, les enjeux aujourd’hui sont d’extraire de l’atmosphère les déchets gazeux de la combustion des énergies fossiles issues de l’industrialisation. Charbon, pétrole et gaz étaient un stock d’énergie thermique, mais aussi de GES enfouis dans le sol progressivement sur plusieurs millions d’années. Et en 200 ans, nous avons libéré cette manne immense de GES, perturbant le fragile équilibre climatique. Avec une capacité moyenne de stockage évaluée à 100 ans, les arbres relâcheront bien vite le C02 capturé et tous les « efforts » consentis n’auront servi à rien. Quant à la biodiversité, mettre un prix sur les seuls arbres comme puits de carbone ignore la complexité des échanges naturels et l’interdépendance des espèces. On voit d’immense monocultures d’arbres être éligibles aux deniers de REDD+, alors qu’il s’agit bel et bien de la continuation de la destruction de la nature ayant un impact négatif sur le climat. La seule solution de sortie de crise est un changement global de système et l’arrêt rapide des industries extractives des ressources naturelles.

Le commerce de carbone : une fausse solution par excellence qui laisse au marché le soin de résoudre les problèmes qu’il a créés [3].

L’économie verte : Fer de lance d’une nouvelle phase du capitalisme après l’échec du capitalisme financier [4] , l’économie verte est pensée et voulue en termes de pérennisation de la croissance économique. Cependant, elle nous est présentée avec un label vert : nucléaire vert (sic, re-sic et re-re-sic), voitures écologiques (quid des peintures synthétiques, des résines chimiques, des quantités d’énergie et de matières premières nécessaires à la fabrication desdites voitures ?, etc.), agrocarburants qui privent les populations du Sud d’immenses territoires nécessaires à la production d’aliments leur permettant de vivre, principe de recyclage généralisé (un leurre pour tenter le statu quo sociétal en totale contradiction avec les lois de la thermodynamique puisque l’énergie ne peut être recyclée et la matière recyclée devient de moins en moins utilisable), etc. La liste des fausses solutions, les seules qui arrivent sur le marché de l’économie verte actuellement, est par trop longue au regard des quelques solutions intéressantes qui émergent.

Le fonds climatique : confié dans un premier temps au Groupe Banque mondiale (GBM), ou comment confier la gestion de la bergerie à un loup climatique...

Alerte ! Le GBM va gérer les nouveaux fonds verts ! [5]

Le GBM est-il qualifié et légitime pour gérer un fonds climat ? Oui à en croire le ministère belge des finances, en accord avec celui de l’énergie et du climat. Non pour celles et ceux qui prennent le temps d’analyser sérieusement les résultats du GBM. En effet, si l’on considère l’évolution des investissements de cette institution dans les domaines énergétiques ces dernières années, on découvre que si la part allouée aux énergies renouvelables et aux économies d’énergie est en augmentation, la part dédiée aux énergies fossiles est elle en nette augmentation et est cinq fois supérieure aux financements de projets dédiés aux énergies renouvelables. Le GBM est donc clairement une part du problème, pas de la solution. Pour la simple année 2008, les investissement du GBM dans les énergies fossiles contribuèrent à hauteur de 7% du total mondial des émissions de GES du secteur énergétique. Pourtant, depuis 1992 déjà, la Banque mondiale est en charge du GEF (Global Environment Facility, Fonds pour l’Environnement Mondial), un Fonds au service de la CCNUCC [6] pour lutter contre le changement climatique (mais aussi pour la préservation de la biodiversité et pour la lutte contre la désertification). De plus, lorsque l’on analyse les 26 derniers investissements réalisés dans le secteur énergétique, pas un seul n’a servi à apporter de l’électricité aux populations du Sud ni à contribuer à leur bien-être. De déplacements de populations dus aux méga-barrages à la construction de centrales à charbon augmentant le prix de l’électricité pour les populations les plus pauvres ainsi que le poids de la dette sur leurs épaules, la Banque mondiale échoue encore et toujours face à ses objectifs de réduction de la pauvreté, mais réussit toujours plus à faciliter l’accès des multinationales états-uniennes aux ressources du Sud. La Banque mondiale, un outil au service du capitalisme états-unien ? Les agissements du président états-unien Obama ne laissent aucun doute à ce sujet. En juin 2009, lorsqu’il a avalisé une loi prévoyant l’affectation de ressources supplémentaires à différents secteurs (dont un nouveau financement de 106 milliards de dollars pour les guerres en Irak et Afghanistan, et l’augmentation des fonds mis à disposition du FMI), il a pris soin d’ajouter un signing statement [7] où il déclarait qu’il ne se considérait pas lié par certaines dispositions de cette loi qui « limitent [sa] capacité à conduire les activités diplomatiques et les négociations en matière d’affaires étrangères » [8] . Les sections de la loi qu’Obama a choisi d’ignorer demandaient que les représentants états-uniens à la Banque mondiale agissent pour le renforcement des normes quant aux droits des travailleurs et à l’environnement, pour la prise en compte des gaz à effet de serre dans l’évaluation des projets, pour plus de transparence dans les budgets, entre autres.

Cancun : la voix des peuples a été étouffée mais la mobilisation ne faiblit pas.

Le sommet des peuples sur le changement climatique qui s’est tenu à Cochabamba (Bolivie) en mai 2010, suite à l’échec de Copenhague, s’est terminé par une déclaration des peuples sur le climat. Celle-ci aurait dû être intégrée aux travaux de ce COP16 de Cancun, mais a simplement été ignorée. Des délégué-e-s de la société civile, des communautés indigènes, se sont vu refuser l’entrée du Moon Palace, luxueux endroit où se déroulaient les négociations, alors qu’ils/elles possédaient une accréditation valable.

La Bolivie, soutenue par les mouvements sociaux planétaires, a refusé cet accord de Cancun [9] et va tenter de le faire annuler en déposant un recours auprès de la Cour internationale de justice de La Haye car l’approbation de ce genre d’accord doit se faire au consensus. Les propositions du gouvernement Morales écartées dans les négociations concernaient entre autres la réduction drastique des émissions, mais aussi la mise en place d’un tribunal international pour sanctionner les infractions aux accords climatiques. On comprend dès lors beaucoup mieux pourquoi ces voix n’ont pas été écoutées par les poids lourds des négociations. Ces voix dérangent, elles empêchent de commercer en rond, elles rappellent les réalités du monde vrai, de l’en-dehors du petit monde économique. Elles expriment, et de plus en plus fort, qu’il est l’heure, l’heure de changer de paradigme, l’heure de faire payer la dette écologique aux responsable du désastre actuel, l’heure de passer du bien-être de quelques-uns au Bien-Vivre pour toutes et tous.

Car à défaut,
c’est la petite heure à l’échelle de l’univers
où nous avons foulé la planète Terre
qui ne sera bientôt qu’un souvenir passé
si l’on dépasse les fatidiques 2°C,
Nous, nous serons sur l’autoroute pour l’enfer.



10 réactions


  • LE CHAT LE CHAT 14 janvier 2011 15:59

    ça coûte combien , ces grandes messes inutiles ?
    Combien de kérosène brûlés pour le transport ces congressistes et combien de tonnes de CO2 pour que dalle ! 

    blablablablablablablablablablabla.......


  • Vent d'est Vent d’est 14 janvier 2011 17:06

    Excellent article qui nous montre comment les « élites » font semblant de s’intéresser à la dégradation du climat (à vraie dire ils n’en ont rien à foutre) , et comment, ils en profitent pour « faire leurs affaires » (ça leur ouvre juste une opportunité de lancer de nouveaux marchés).

    On peut aussi effectivement se poser la question de l’impact environnemental de ce sommet de Cancun. 


    • LE CHAT LE CHAT 14 janvier 2011 17:23

      oui , le business« vert » , y’en a qui se gavent ! le Al Gore , il s’en fout plein les fouilles !


  • Ferdinand_Pecora 14 janvier 2011 18:05

    Y connaissent Vernadsky, les écolos ? On dirait pas.


    • Eric De Ruest Eric De Ruest 14 janvier 2011 20:23

      Wikipedia sur Vladimir Vernadsky (désolé je préfère l’encyclopédie participative au site francophone de Lyndon LaRouche, national-Socialiste pro nucléaire...) : Il fut le premier à envisager l’impact de la déforestation sur le climat. Il fut cependant peu écouté à une époque où l’on pensait que la nature était dotée de capacités de régénération inépuisables.

      C’est très écolos ça, non ?


  • Annie 14 janvier 2011 18:44

    Le choix de Cancun n’est pas sans rappeler l’échec des négociations de l’OMC, qui ont déraillé à cause des nations émergentes.
    Vous mettez aussi le doigt sur le problème de la représentation des ONG dans ces négociations, qui sont devenues pour certaines d’entre elles des groupes de pression préconisant les échanges internationaux et le libre échange pour régler des problèmes mondiaux. Il y a le panda, mais il y en a beaucoup d’autres, qui ne représentent pas les intérêts des communautés indigènes, ne serait-ce que parce que leur financement passe de plus en plus par le secteur privé. 
    Sinon qu’il s’agisse de ces négociations ou d’interventions humanitaires, la capacité de négociation et de coordination est devenue une fin en soi, plutôt qu’un moyen tendant vers des objectifs bien précis, et qui vise à revaloriser le rôle de l’ONU comme interlocuteur de poids. D’où l’échec actuel des interventions humanitaires et de reconstruction à Haïti.


  • jymb 14 janvier 2011 23:12

    Rassurez vous, quelque soient les résultats réeels ou supposés de ces sommets, ils seront d’excellents prétextes à pourrir la vie et le quotidien de nous tous, pauvres quidams de base qu’on agonira de taxes, de restrictions, d’impôts et d’interdictions « pour notre bien »


  • pierrot pierrot 20 janvier 2011 12:25

    Bonjour,
    Le sommet climatique de Cancun n’est pas un échec comme celui de Copenhague.
    Bien sur, certains auraient souhaité des engagements plus fermes et plus contraignants.

    Cependant, les principaux points positifs sont :

    - acceptation unanime de la nécessité de limiter à 2°C le réchauffement climatique sans exonérer les pays en développement, ce qui est nouveau,

    - les pays développés s’engagent à des baisses importantes des émissions des gaz à effet de serre d’ici 2020, certes non chiffrées et non contraignantes,

    - création d’un fonds vert de 100 milliards de dollars par an de 2012 à 2020.

    Ce n’est pas négligeable.

    Bonne journée.


    • Eric De Ruest Eric De Ruest 20 janvier 2011 12:48

      Bonjour Pierrot, rien de réellement positif dans ce que vous avancez.

      - acceptation unanime de la nécessité de limiter à 2°C le réchauffement climatique sans exonérer les pays en développement, ce qui est nouveau,

      Certes, mais c’est nier l’idée d’une dette écologique séculaire côté exonération alors que les PED ne sont en rien responsable du cataclysme climatique en cours (ok la Chine depuis moins de 10 ans pour produire NOS produits de consommation). Pour un accord sur limiter à moins de 2°c, il faut des ACTES, pas des déclarations jusqu’à ce que nous les ayons dépassé. Les dégâts se font sentir AUJOURD’HUI partout autour de la planète.

      - les pays développés s’engagent à des baisses importantes des émissions des gaz à effet de serre d’ici 2020, certes non chiffrées et non contraignantes,

      C’est donc du vent, des promesses intenables dans le cadre du capitalisme compétitif, égoïste et nationaliste, et oui !

      - création d’un fonds vert de 100 milliards de dollars par an de 2012 à 2020.

      J’explique dans mon article que ce fonds géré par la BM servira les intérêts du capitalisme US, pas ceux de l’humanité. Les différents fonds « écologiques » gérés par la BM ne servent pas à l’écologie réelle. Plantations en monocultures d’arbres génétiquement modifiés (GM) - donc loin de la biodiversité nécessaire à notre survie - Le charbon supercritique prétendu vert, etc. J’ai largement abordé les fausses solutions dans cet article pour informer et par la montrer ou est le panneau, panneau dans lequel vous semblez être tombé comme de nombreuses personnes qui veulent malgré tout encore croire en ce système. Je vous invite à découvrir les rapports du CADTM, des amis de la terre ou encore de BIC (Banc Information Center) pour savoir à qui ont été confiés les fonds censé nous sauver...

      Croyez moi, ces pseudos avancées ne sont pas négligeables, certes, elles sont néfastes !

      Cordialement,


  • pierrot pierrot 20 janvier 2011 22:44

    Bonjour monsieur Eric de Ruest,

    Je comprend votre opinion et vos arguments, mais je maintiens qu’après le grand fiasco de Copenhague, le sommet de Cancun n’est pas un échec mais comporte les avancées que j’ai listées m^me si les engagement ne sont pas totalement chiffrés et contraignants.

    C’est un début d’amorce de solutions à murir lors des prochains sommets climatiques
    .
    Bonne soirée.


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