jeudi 4 mars 2010 - par Servane

Le corail des lagons polynésiens victime (aussi) du cyclone Oli

Les 3 et 4 février 2010, l’archipel polynésien est frappé par le cyclone tropical Oli. Les vents violents, allant jusqu’à 250 km, alliés à une mer déchainée dévastent tout sur leur passage. Dans les heures qui suivent le passage de ce cyclone on déplore des pertes humaines, des blessés et d’importants dégâts subit par les infrastructures locales : maisons détruites, poteaux électriques arrachés, cocotiers décapités, routes côtières dentelée…
Pourtant, à l’heure de ces premiers bilans nuls ne soupçonne le traumatisme majeur qu’ont subit les récifs coralliens des lagons polynésiens. Ce n’est que quelques jours après, que le service d’observation « Corail » de l’Institut National des Sciences de l’Univers (INSU) du CNRS, basé au centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (CRIOBE, CNRS/EPHE) à Moorea (Polynésie Française), va mettre en place un relevé des effets du cyclone deux sites de référence de la côte nord de Moorea. Les scientifiques mesurent alors l’ampleur des dégâts : le récif corallien, fragilisé depuis plusieurs années par l’invasion d’une étoile de mer prédatrice du corail, est quasiment détruit.

En effet, depuis maintenant plusieurs années les coraux de Polynésie sont attaqués par un prédateur sans merci, l’Acanthaster planci (en tahitien TARAMEA). Cette étoile de mer épineuse, invasive et destructrice, est l’un des constituants de la faune des milieux coralliens, qui se nourrit des polypes des coraux. Elle peut entraîner la mort de surfaces importantes de récifs si l’espèce se présente en populations denses. Si vous m’autorisez une digression, elle est aussi l’ennemi de l’homme car sa piqure est vénéneuse est peut entrainer la mort… Plongeurs et baigneurs qui cédez aux charmes des eaux polynésiennes soyez vigilants...

D’après les données recueillies par l’IFRECOR de Polynésie avant le passage de Oli, l’Acanthaster, avait déjà décimé les populations de coraux des pentes externes de Moorea. Aussi préoccupant que cela puisse être, la structure physique des récifs, et en particulier celle de la pente externe (zone la plus propice à la croissance de ces récifs grâce à une bonne oxygénation de l’eau), avait néanmoins été peu affectée car les squelettes des colonies mortes étaient encore en place, suggérant une possible reprise.

Mais après le passage du cyclone et la houle de plus de 7 mètres qui l’a accompagné, la structure physique des pentes externes de Moorea (en particulier celle de la côte nord) a gravement et durablement été affectée. La comparaison des données avant et après le passage du cyclone met en évidence une diminution très significative du relief de la pente externe : les indices de rugosité (linéaire de récif développé/linéaire de récif plat) ont baissé de près de 50 % à toutes les profondeurs, jusqu’à 30 mètres, comme le montrent les tests statistiques effectués sur les sites étudiés. Un grand nombre de colonies en place, même mortes suite à la prédation par les Acanthaster ont été détachées par la houle et cassées par des blocs. Cette fois c’est la structure tridimensionnelle du récif qui a été touchée : or elle conditionne l’habitat d’une grande partie de la faune associée aux coraux dont de nombreuses espèces de poissons.

Les destructions sont variables en fonction de la profondeur. On observe ainsi :

- de 0 à 6 mètres de profondeur : un état de destruction critique. La majorité des colonies éparses en vie ont été brisées à la base. La zone est totalement recouverte d’un feutrage d’algues fin de couleur jaune clair indiquant un début de « bloom algal » (une augmentation relativement rapide de la concentration d’algues). Le pourcentage de recouvrement en corail vivant est nul.

- de 6 à 10 mètres de profondeur : de nombreuses colonies branchues vivantes sont abîmées mais leur base est encore en place, ce qui laisse supposer une reprise possible.

- de 10 à 15 mètres de profondeur : les contreforts de cette zone sont en état de destruction critique. Les colonies massives et branchues (en grande majorité déjà mortes suite à l’épisode Acanthaster mais encore en place avant le cyclone) ne sont plus visibles mais aucun recouvrement algal n’est observable.

- de 15 à 30 mètres de profondeur : elle est anormalement recouverte de débris coralliens de petite taille (moyenne 5 cm).
De plus, les peuplements associés de poissons, de mollusques et d’oursins ont également beaucoup souffert. Ainsi, de nombreux coquillages sont en état de décomposition entre 6 mètres de profondeur et la surface. Parallèlement, d’autres observations effectuées sur les îles de Raiatea-Tahaa (Iles sous-le-vent) et à Tubuai (Iles Australes) révèlent une situation encore plus critique sur les côtes les plus exposées à l’action cyclonique.

Bien qu’il soit encore trop tôt pour évaluer l’impact du cyclone sur les autres espèces (poissons, étoiles de mer mangeuses de corail...) on peut là aussi s’attendre à des modifications de la diversité et de l’abondance des êtres vivants. Des données plus précises sur les peuplements de poissons sont en cours de collecte, ce qui permettra de quantifier l’impact réel du cyclone sur ces populations animales, mais Oli semble être le cyclone de trop pour les récifs de certaines îles de Polynésie (Moorea, Tahiti, Raiatea, Tahaa, Bora-Bora entre autres).
Deux scénarios sont maintenant envisageables : soit les algues perdurent et dominent le système en prenant le dessus sur le corail (entraînant la mort du récif), comme c’est le cas sur de nombreux récifs dans le monde, soit il repart de zéro (son état actuel) et redémarre avec des assemblages de coraux probablement différents (en termes d’espèces présentes, d’abondance...) comme il l’a toujours fait.

Les résultats sont cependant sans appel : le cyclone Oli a raboté les peuplements coralliens et porté le coup de grâce à un récif déjà fragilisé.
Depuis les années 1980, les scientifiques ont pu enregistrer une résilience du récif corallien. Si les leçons du passé montrent qu’il est toujours reparti, les successions de stress actuels (blanchissement des coraux, cyclones, pollutions locales...) sont de nature à un peu moins d’optimisme.

Pourtant au-delà de la catastrophe environnementale que représente cette situation, on ne peut s’empêcher de redouter les possibles conséquences que pourraient avoir la mort des récifs coralliens pour les iles de Polynésie et les polynésiens …

Pour aller plus loin :
www.ifrecor.pf
www.cnrs.fr
 
copyright photo : argoul.blog.lemonde.fr/files/2008/06/taramea...
 


1 réactions


  • vivien françoise 4 mars 2010 23:02

    Bonsoir Servane,
    Votre article est très beau mais aussi très instructif.
    Il me semble que l’on puisse faire du corail d’élevage ? comme les poissons ? 
    Bonne soirée
    VF 


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