LES OGM, des poisons ? Questions autour de la nouvelle affaire Séralini…
Les faits
Le Nouvel Observateur nous indique que la revue scientifique « Food and Chemical Toxicology », revue que l’on peut qualifier de sérieuse, publie dans son édition du 19 septembre un article de l’équipe du professeur Gilles-Éric Séralini, qui démontrerait la toxicité de variétés de maïs OGM tolérantes à un herbicide. Celui-ci est accompagné de photos inquiétantes de rats nourris de rations constituées de maïs OGM tolérant, et dans certains cas d’eau additionnée de glyphosate. Ceux-ci sont affectés de tumeurs volumineuses généreusement mis en évidence.
Curieusement, à la date de rédaction de cet article, il a été impossible de se procurer dans la revue en question l’article mentionné, qui n’apparaît ni dans la liste des articles du numéro en cours, ni dans celle des articles acceptés pour publication. Peut-être s’agit-il là d’un point la technique, qui fait cependant qu’il est vain de tenter de s’appuyer sur une base solide pour évaluer l’étude concernée.
Ce qui est intéressant en revanche, c’est la publicité faite autour cet article, avec publication du « Nouvel Observateur », du « Monde », de « Libération », du « Parisien » et de « France Info » ! Le tout sous des titres inquiétants tels que « des OGM tuent » ou « les OGM, des poisons ». Cette publicité est d’ailleurs concomitante avec la parution d’un livre rédigé par Gilles-Éric Séralini, et intitulés "Tous cobayes !" (édition Flammarion, a paraitre fin septembre). Etrange coïncidence, en tous cas…
Qui est Gilles-Éric Seralini ?
Gilles-Éric Séralini est professeur à l’université de Caen, et biologiste moléculaire. Avec d’autres scientifiques il a demandé en 1996 un moratoire sur les cultures OGM et en 1999 avec Jean-Marie Pelt et Corinne Lepage, il crée le CRII-GEN. Depuis, il s’affiche ouvertement, et c’est son droit, comme un « anti- OGM »militant. Cet élément de contexte posé fait que les résultats de l’étude pâtissent immédiatement d’une suspicion de biais. Ce biais est d’ailleurs le même que celui qui affecte les travaux publiés par des scientifique des entreprises telles que du Pont de Nemours, Syngenta, ou Monsanto, et qui suggèrent une totale innocuité des lignées OGM. Gilles-Éric Seralini est également présenté comme un « lanceur d’alerte » ; il s’inscrit dans la même mouvance intellectuelle de personnalités comme le très controversé Christian Vélot, où Éric Meunier, tous deux militants anti-OGM.
Il faut ajouter à cela, au passif de G-E Séralini, que plusieurs de ses travaux ont été invalidés ou tout au moins fortement critiqués par la communauté scientifique, en dépit de leurs publications dans des revues scientifiques à comité de lecture. Pour les lecteurs peu habitués aux protocoles scientifiques, toutes les revues sérieuses proposent à 2, 3 voire 4 experts du domaine, de relire de façon critique les articles qui leur sont soumis. Cette procédure limite le risque de voir publier des articles scientifiques déficients mais ne l’abolit pas complètement. La réelle validation de la découverte et de la validité de la publication, se fait au travers de la répétition de l’expérience par d’autres en d’autres régions du monde. Par ailleurs, certains experts peuvent laisser passer des erreurs qui sont ensuite repérées par d’autres membres de la communauté scientifique et c’est assez fréquemment ce qui s’est produit pour les publications de l’équipe de Caen, en particulier au niveau de l’analyse statistique. Malheureusement, ces invalidations n’ont pour ainsi dire jamais fait l’objet d’une publicité aussi importante que celle qui a concerné les travaux invalidés. Ce sont donc ces derniers, qui en dépit de leurs faiblesses méthodologiques, ont laissé une trace dans l’opinion publique.
En attendant d’en savoir plus…
En attendant que l’article en question soit disponible – et encore une fois il est particulièrement surprenant que celui-ci soit absent du site de la revue scientifique qui le publie – il faut donner quelques éléments d’information concernant le maïs en question, et au-delà ce qu’il est convenu d’appeler un OGM.
Ce maïs a été rendu tolérant à un herbicide total, le glyphosate. Comme de nombreux herbicides, le glyphosate a pour cible une enzyme du métabolisme général de la plante. Parce que l’herbicide pénètre dans la cellule végétale, il va se fixer sur l’enzyme, et empêcher la plante de produire telles composées indispensables à sa survie, d’où sa mort. Les lignées en question ont été rendues tolérantes herbicides par introduction d’un gène qui permet à la plante de produire une enzyme cible naturellement insensible à l’herbicide, entendons que la plante tolérante. Les études menées sur la variété OGM ainsi obtenue montre que son métabolisme général est faiblement affecté par la modification génétique, bien moins que ne l’est le métabolisme de la plante non OGM équivalente lors de périodes de sécheresse. Il est donc très surprenant que les animaux de laboratoire nourris avec du maïs OGM ait développé des pathologies particulières. Il faudra néanmoins attendre la publication de l’article concerné et les vérifications expérimentales qui s’en suivront pour essayer de comprendre s’il s’agit d’une erreur, somme toute triviale, ou d’un phénomène avéré.
En revanche, un herbicide reste un toxique et il n’est donc pas forcément surprenant que celui-ci puisse induire des effets cellulaires délétères. La dose (comme la répétition de l’exposition) faisant le poison, Il faudra en revanche s’intéresser aux concentrations de glyphosate qui ont été administrées aux animaux de laboratoire, et bien vérifier que celles-ci représentent des concentrations équivalentes à celles que l’on peut retrouver dans les résidus végétaux, qu’ils soient OGM ou non d’ailleurs, traités avec cet herbicide. Des concentrations 100, 1000 voire 10000 fois supérieures n’auraient en effet aucun sens toxicologique.
Par ailleurs, une conclusion majeure sur laquelle s’accorde l’ensemble des équipes ayant travaillé sur les risques associés aux variétés OGM, et ce depuis 20 ans partout dans le monde, est qu’un OGM donné diffère d’un autre OGM. En d’autres termes, ce qui est peut-être vrai pour le maïs tolérant au glyphosate peut ne pas être vrai pour du maïs tolérant à un herbicide, ou pour du colza tolérant au glyphosate. En conséquence, chaque étude relève du « cas par cas ». La généralisation en la matière qui transparaît sous le titre « les OGM, des poisons » est donc abusive, ne correspond parfaitement à la façon de procéder des anti-OGM, comme à celle d’ailleurs, des pros OGM.
Il faut aussi rappeler que la directive européenne 2001/18 CE définit comme OGM « un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». A ce titre, les variétés végétales issues de mutagenèse sont effectivement des OGM, mais elles échappent à la réglementation concernant les OGM obtenus par transfert d’ADN (opération dite transgenèse), comme l’ont été les maïs évoqués plus haut. La mutagenèse est un processus qui permet d’augmenter artificiellement la fréquence des mutations dans une espèce donnée. Dans le cas de l’amélioration végétale, elle permet d’accroître la diversité génétique (qui est d’ailleurs une forme de biodiversité) et de sélectionner plus facilement des caractères intéressant pour l’agriculture. Cette technique fait d’ailleurs l’objet d’une opposition forte des anti-OGM avec des épisodes récents d’arrachage de mais ou de tournesols obtenus de la sorte. Il se trouve cependant que de tels OGM (ou leurs produits dérivés) sont dans nos assiettes depuis plus de 40 ans sous forme de riz, de pamplemousse, de blé, le colza, de tournesol, etc. Ainsi, aujourd’hui, toutes les lignées d’orge cultivée en France (et dans le monde), y compris en agriculture biologique, sont des OGM au sens où elles résultent toutes d’un travail d’amélioration fondée sur la mutagenèse. Nous buvons donc tous (ou tout moins tous les consommateurs) de la bière ou du wisky élaboré à partir d’OGM ! Cet état de fait permet à Graham Scoles, du département des Sciences végétales de l’Université de Saskatchewan, d’affirmer qu’établir « une liste des variétés de plantes améliorées par mutagenèse reviendrait, à quelques exceptions près, à établir une liste de toutes les variétés de plantes cultivées dans le monde [2] ».
On voit donc bien que le dossier des OGM végétaux est bien plus complexe que ne le laissent supposer à première vue les affirmations péremptoires de tel ou tel lobby pro ou anti-OGM, les uns jouant faussement de la fibre de la malnutrition, les autres des peurs liées à la symbolique de l’alimentation. Dans ce contexte délétère, on ne peut que regretter que les essais en champ des équipes scientifiques indépendantes de ces lobbys soient régulièrement détruits empêchant ainsi toute évaluation impartiale des conséquences de la culture de variétés génétiquement modifiées.
Références
2. http://www.agriculture-environnement.fr/edito,2/ogm-et-alors,764.html
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