vendredi 16 avril 2010 - par Didier Barthès

Les Shales Gas vont-ils changer la donne ?

Notre Terre étant finie, nous nous dirigeons inévitablement vers un épuisement (1) des réserves d’énergies fossiles : pétrole, gaz et charbon manqueront complètement à l’échelle d’un siècle ou deux. Quelques éléments pourraient cependant provisoirement changer le cours des choses et ralentir ce phénomène de déplétion.

Nous avons déjà évoqué pour le pétrole un éventuel apaisement des tensions lié au possible retour de la production irakienne à un niveau plus élevé (6 millions de barils/jour par exemple). L’Irak qui possède les secondes ou troisièmes (2) plus grandes réserves mondiales d’or noir, est un acteur déterminant. Cette hypothèse (qui toutefois ne modifiera en rien l’avenir énergétique de la planète) a été fortement défendue lors d’un récent colloque de l’Institut Français du Pétrole (3). 

Mais aujourd’hui, et en réalité depuis le début des années 2000, quelque chose de beaucoup plus important bouleverse le secteur du gaz naturel.

Ce phénomène, c’est l’exploitation grandissante d’une variété de gaz appelés " shales gaz " c’est-à-dire les gaz de schiste.

A vrai dire, ces réserves ne constituent pas des nouveautés. Il s’agit bien du même produit que le gaz dit conventionnel (3) : pour l’essentiel du méthane de formule CH4, mais ici stocké dans les roches (des schistes donc) de façon diffuse ce qui en rend, ou devrions-nous dire, en rendait l’exploitation fort délicate.

Pour cette raison, ces ressources, quoique déjà connues, n’étaient généralement pas comptabilisées. Ces gaz font partie de l’ensemble plus large appelé "gaz non conventionnels" qui comprend également le gaz de houille (coalbed gas) associé aux gisements de charbon ou les gaz stockés dans les carbonates et les sables (tight gas).

Depuis le début de notre nouveau millénaire, les progrès dans les technologies d’exploitation : essentiellement l’élargissement des potentialités des forages horizontaux et l’amélioration des techniques de fracturation des roches (4), ont permis d’avoir accès à ces ressources et l’on assiste à une véritable explosion des mises en exploitation, aux Etats-Unis en particulier. Là-bas, il est vrai, la propriété du sous-sol est liée à celle des terrains et ces initiatives s’en trouvent favorisées.

Aux USA, les réserves de shales gas pourraient, selon certaines sources, représenter entre le tiers et la moitié des réserves totales de gaz. Bien entendu, les Etats-Unis (et le Canada qu’on peut ici associer) ne possèdent pas les principales réserves mondiales, et rien n’indique que leur cas est généralisable. Toutefois s’il s’avérait quand même qu’un ratio identique entre "shales gas" et gaz conventionnels se retrouve dans les grandes régions gazières internationales, en Russie et au Moyen Orient notamment, les données mondiales devraient être sensiblement révisées et les réserves exploitables fortement rehaussées. En France même, quoique pour des quantités marginales à l’échelle planétaire, un permis de recherche a récemment été attribué à la société Total pour faire des études à l’Ouest de Montélimar.

Rappelons qu’aujourd’hui les réserves mondiales semblent représenter environ 60 fois la consommation annuelle (6). Un doublement porterait ces ressources à plus d’un siècle. C’est loin d’être négligeable.

Même si cette hypothèse est probablement excessive, cela n’est pas une bonne nouvelle pour la planète. Comme il est probable que nous allons consommer toutes les réserves fossiles, toute nouvelle découverte ne fait que repousser la mise en place de solutions plus propres et augmente la quantité de CO2 que l’homme s’apprête à rejeter dans l’atmosphère.

  1. Voir en bibliographie les ouvrages de Jean-Marc Jancovici, Jean-Luc Wingert ou Yves Cochet.
  2. A peu près à égalité avec l’Iran, l’Irak posséderait environ 120 milliards de barils de réserves exploitables, soit près de 4 années de consommation mondiale de pétrole au rythme actuel.
  3. Colloque de l’ IFP  : Panorama 2010.
  4. La plupart des réserves de gaz conventionnels comprennent de vastes poches indépendantes et assez facilement exploitables (on peut couramment récupérer 75% ou même 80 % du gaz présent). On trouve aussi beaucoup de gaz conventionnel en association avec les réserves de pétrole. Ces réserves sont parfois, hélas, brûlées sur place par des torchères faute de moyens d’exploitation ou d’acheminement adéquats. Pratique en régression, admettons-le.
  5. Par utilisation d’explosifs ou par insertion de gaz sous pression ou d’azote liquide.
  6. En ordre de grandeur, les réserves mondiales représenteraient aujourd’hui environ 180 000 milliards de m3 et la consommation approximativement 3 000 milliards de m3, soit à peu près un soixantième.


9 réactions


  • jef88 jef88 16 avril 2010 12:22

    Peut être vrai ?
    Mais cependant un oubli majeur : l’évolution.
    L’homme a toujours su s’adapter !
    Rien ne nous dit que les combustibles fossiles sont l’avenir.
    Par contre ils sont la base de notre civilisation actuelle


    • Didier Barthès 16 avril 2010 13:12

      Bien sûr, je ne prétends pas que de façon certaine cela va changer la donne, je prétends juste que la question mérite d’être posée.
      Quant à l’évolution, ce n’est pas un oubli, je ne partage pas votre optimisme, le fait que l’homme s’en soit toujours sorti n’est pas une garantie. « Invaincu mais non pas invincible » disait quelqu’un...

      Pour ma part je ne pense pas que l’humanité s’en sorte en maintenant au niveau actuel ni ses effectifs, ni sa consommation. Il faudra une régulation et mieux vaudrait l’organiser que la subir. Voilà pourquoi je milite pour une démographie plus modeste c’est à dire une natalité plus réduite via l’association démographie responsable

      Les énergies fossiles ont, en quelque sorte, constitué un miracle, rien n’indique qu’il se reproduira ni que les solution alternatives auront la capacité nécessaire à en prendre le relais pour les 9 milliards d’individus qui peupleront la planète en 2050.
      Bien cordialement.


  • Pierrot Pierrot 17 avril 2010 10:04

    Exact.
    Une autre possibilité de prolonger l’exploitation des hydrocarbures est d’en extraire plus par site de production.
    passer d’une valeur d’environ 30 % actuelle à 50 % par injection de vapeur d’eau surpressée permettrait de repousser le « pic » de production.

    Bien sûr cela a un coût élevée mais c’est certainement l’avenir pour un baril à plus de 150 dollars.

    Cela permettrait, à mon avis, de faire plus facilement la jointure avec les nouvelles technologies : réacteurs nucléaires de quatrième génération (surgénérateur) et photovoltaïque sans silicium ultra pur donc moins coûteux.


    • Didier Barthès 17 avril 2010 10:38

      Bonjour,

      Oui vous avez raison d’évoquer cette possibilité. Toutefois elles présente deux limites.

      La première est que cela se fait déja et que bien sûr, les exploitant tentent d’extraire le maximum par différentes techniques, il semble toutefois qu’on ne progresse pas énormément et les chiffres que vous citez sont exacts mais n’évoluent pas sensiblement depuis plusieurs années.

      D’autre part, et plus fondamentalement, cette pratique ne peut être menée très loin. En effet, extraire du pétrole c’est extraire de l’énergie et ces technqiques auxquelles vous faites allusions consomment de l’énergie. Il arrive un moment où l’énergie dépensée pour extraire le « baril marginal » est supérieure à l’énergie que l’on pourra tirer de la combustion du contenu de ce baril.
      A ce moment là alors, et quel que soit le prix du pétrole, la mise n’est plus remboursée. Ce n’est pas comme l’or dont le prix peut monter s’il devient plus difficile à extraire, car pour le pétrole d’une certaine façon, il s’extrait avec du pétrole (de l’énergie) si l’entrant devient supérieur au sortant, il y a limite absolue indépendamment du prix
      On pourrait imaginer dépasser cette limite si l’on voulait du pétrole pour le matériau lui meme et non pour le brûler, alors là oui, en utilisant de l’électricité par exemple pour chauffer l’eau que l’on va injecter, on pourrait admettre de dépenser plus pour récupérer moins, en admettant que cette électricité ne soit pas d’origine fossile. Les limites sont quand même très fortes.
      Bien sincèrement.


    • Pierrot Pierrot 23 avril 2010 15:55

      Merci Didier Barthès pour vos explications justes.

      A long terme, il me semblerait judicieux de n’utiliser le pétrole (et le méthane) comme matière première chimique et non comme combustible.

      Il conviendrait de mieux extraire le pétrole avec de l’eau surchauffée et donc surpressée grace à une autre énergie que les combustibles fossiles, nucléaire ?


  • Bertrand Cassoret snow62fr 17 avril 2010 11:02

    juste une remarque : que les réserves actuelles représentent 60 fois la consommation annuelle ne signifie pas qu"’on a 60 ans de gaz devant nous : la consommation augmentant, le pic de production se produirait vers 2050. Ces réserves supplémentaires pourront repousser un peu cette date, mais comme le pic de productiobn de pétrole va se produire avant, la conso se reportera sur lz gaz donc...


    • Didier Barthès 17 avril 2010 11:49

      C’est une précision utile, vous avez raison de le souligner.
      Je n’ai d’ailleurs pas affirmé cette égalité.
      Les réserves de gaz, représenteraient (ne soyons pas trop affirmatifs, surtout avec ces fameux shale gas) environ 60 fois ce que nous consommons chaque année, mais nous n’allons pas consommer au même rythme pendant 60 ans et brutalement nous arrêter du jour au lendemain et passer d’une consommation annuelle de 100 % de ce soixantième à 0 %.
      Les problèmes arriveront avant, et inversement il restera un peu de gaz après. mMême raisonnement pour le pétrole et pour le charbon, bien sûr.
      Bien cordialement


    • Didier Barthès 17 avril 2010 12:11

      J’ajoute que je suis également d’accord avec ce que vous dites sur la question de la substituabilité du gaz au pétrole. Quand le pétrole se fera très rare, nous consommerons un peu plus de gaz qui lui est substituable pour plusieurs usages. Cela tendera à égaliser la durée des réserves de ces deux sources fossiles. Ainsi le pétrole durera un peu plus longtemps et le gaz un peu moins.
      Le même phénomène ensuite devrait se reproduire avec l’ensemble pétrole + gaz (ce qu’il en restera) face au charbon dont les réserves sont plus importantes.
      Bien cordialement.


    • Pierrot Pierrot 23 avril 2010 16:00

      En fait, actuellement, la production de pétrole augmente peu : de l’ordre de 1 % par an.

      On peut imaginer que pour le futur proche (2020-2040) elles seront stables et pour le futur plus lointain (2040-2060), elles diminueront de 1 % par an.

      Le raisonnement de la durée d’exploitation commerciale est donc juste.

      La principale faille est que, par définition, on ne peut évaluer la quantité de gisements qui n’ont pas été découvert.
      Soir un nombre d’années complémentaires inconnu.


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