Nos rivières abandonnées
La peste urbaine
Je ne sais si le même phénomène s’est produit chez vous mais ici, les petites rivières qui vont se donner à la Loire ont subi bien triste sort. Elles avaient le malheur de déplaire à ceux qui pensaient leur cité sans la présence insidieuse, désagréable, dangereuse peut-être, d’un petit filet d’eau qui sillonne loin des préceptes de la géométrie qui affirment que le plus court chemin est la ligne droite. Pire encore, les pauvres rus faisaient obstacle au désir toujours plus croissant d’expansion humaine par l’édification de routes, bâtiments et espaces bétonnés.
Se couvrant ainsi de honte devant tant de griefs à leur encontre, les ruisseaux, maigres affluents de notre Loire, se sont enfouis sous terre, disparaissant à jamais à la vue des citadins, totalement oublieux de leur existence passée. Ils sont subi le sort de leurs désormais cousins aqueux, les égouts, devenant des flux d’immondices et de détritus ; la seule offrande que les humains sont capables de faire aux cours d’eau.
Les malheureux rongeaient leur frein, n’ayant plus le bonheur de jouir du spectacle de la nature, ni même de profiter de l’air pur (un vieux souvenir celui-là aussi). Ils coulaient à l’étroit dans des tuyaux au diamètre pensé d’abord dans un souci d’économie, se sentant méprisés et surtout largement déconsidérés. Il est vrai qu’avec toutes ces terres privées d’écoulement des eaux de pluie par le bitume, le béton, les pavés, les maisons et autres fantaisies urbaines, leurs niveaux frisaient la peau de chagrin.
La rébellion eut lieu pourtant il y a deux années de cela à pareille époque. Je m’en souviens parfaitement, j’étais à ramer sur la Loire et durant 21 jours, je reçus sur la tête, les cataractes du ciel. Que d’eau ! Que d’eau ! se seraient sans doute exclamés les égoutiers et autres responsables des flux souterrains. Mais qui donc pouvait les écouter ? À la surface, rien ne se passait vraiment, du moins pour le moment.
Quand une colère gonfle, il lui faut du temps avant que d’exploser. C’est souvent alors trop tard et les enfouisseurs de rivières allaient le découvrir à leurs dépens. Les eaux s’évadaient, se libéraient de leurs gaines, retrouvaient la surface et envahissaient les campagnes et les villes, sans distinction. Ceux qui avaient acheté une maison, découvraient avec stupeur, qu’elle était en zone inondable et désormais inondée. Quelle surprise !
Ce fut catastrophique d’autant que le canal d’Orléans, vieux canal oublié des responsables, se signala lui aussi par quelques débordements de grande ampleur. L’Orléanais était devenu un vaste cloaque, un marécage, une immense zone humide. On se désolait tandis qu’un expert de la chose ligérienne, prétendait devant les caméras complices de la télévision régionale que la crue était une fiction ; les sinistrés apprécieront !
Autoroute et routes coupées, zones isolées, maisons abandonnées, circulation paralysée, dégâts considérables, les rues et les ruisseaux avaient montré combien leur pouvoir demeurait intact malgré des années d’enfouissements et d’ignorance. Leurs noms apparaissaient enfin au grand jour : Retrève, Chilesse, Cens, Bionne, Égoutier. Puis la colère des dieux fut vite oubliée, seuls les assureurs se chargeant de minimiser les conséquences pour ne pas trop cracher au bassinet.
Depuis, tout le monde ou presque les a oubliés. Ils sont retournés dans leurs tombeaux de béton. Le pauvre Égoutier quant à lui, subit les pires traitements qui soient. Pollutions multiples et avariées, il a le malheur de couler sous des zones industrielles où la considération de la nature n’est pas la priorité. Il transporte tout ce qu’il convient de dissimuler pour finir par tout rejeter à la Loire, loin du regard des promeneurs.
Un homme ne cesse de se battre pour que la vérité soit faite, pour découvrir d’où proviennent ces écoulements blanchâtres qui font tâche d’huile dans la Loire, pour comprendre pourquoi tant de lingettes échappent à la petite station d’épuration installée juste avant son embouchure, pourquoi personne ne daigne lui répondre ? Il est vrai que c’est un marginal et qu’au royaume des décideurs, il convient de ne pas perdre son temps avec des êtres aussi peu présentables.
Alors, je vous invite à me répondre ici. L’Égoutier est-il devenu l’égout du dépôt de transports publics qui lave tramway et autobus chaque jour au dessus de lui ? Est-il victime d’autres entreprises voisines dont un pétrolier douteux ? Pourquoi les lingettes ne sont-elles pas stoppées par les filtres mis en place ? Quelle est la nature exacte de cette eau blanchâtre, visqueuse, nauséabonde qui se dilue dans la Loire ? Nous aimerions savoir et surtout Georges à qui vous avez toujours opposé un silence méprisant. Merci.
Ruissellement vôtre.