lundi 3 avril 2006 - par Olivier FRIGOUT

OGM : un pas est franchi vers la culture en champ.

Le sénat n’aura pas « fauché » le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés (OGM), qui vise à en encadrer les cultures et les essais. Menacée d’une astreinte de 168 000 euros par jour par les directives européennes de 2001 et 2003, la France entend mettre en place un dispositif permettant à la recherche et aux industriels des semences de progresser dans ce domaine. Un fait est que le retard pris est colossal, à peine plus d’un millier d’hectares de maïs OGM ayant été cultivé secrètement en champ en France en 2005, contre 90 millions d’hectares répartis dans 21 pays. Mais les anti-OGM restent opposés à cette loi, car ils considèrent que le risque de dissémination de gènes dans la nature est trop grand, et que l’innocuité des OGM vis-à-vis de la santé n’est pas prouvée.

Pour contrecarrer ce risque, le texte de loi préconise la mise en place de distances de sécurité, de zones tampons, d’obstacles et de décalages de floraison. Les cultures en plein champ seraient alors autorisées, sous réserve pour les agriculteurs concernés de déclarer les parcelles qu’ils consacrent à des plantes transgéniques. Il soumet à autorisation, accordée pour 10 ans maximum, la mise sur le marché des OGM et instaure une obligation d’étiquetage. « Tout élément nouveau susceptible de modifier l’appréciation du risque » doit être déclaré, et les autorisations peuvent être retirées. L’indemnisation des agriculteurs non-OGM, dont les récoltes seraient contaminées au-delà de 0,9%, sera assurée par un fonds doté d’une taxe à l’hectare de cultures OGM. Un fonds mis en place pour 5 ans maximum. Un projet de loi qui soulève quelques interrogations.

La première est suscitée par le chiffre de 0,9%, que l’on retrouve dans le projet d’harmonisation européenne des labels bio. Cette limite ne garantit plus en effet qu’un produit alimentaire soit exempt d’OGM, puisque l’étiquetage ne serait obligatoire qu’au-delà de ce niveau de contamination. Cette tolérance est une porte ouverte à une contamination insidieuse de toutes les filières de production, bio ou non-bio.

La seconde porte sur les conséquences de l’introduction de semences transgéniques dont les brevets déposés font de leurs détenteurs les propriétaires d’une partie du monde vivant. On semble s’acheminer, compte tenu des outils juridiques que sont les certificats d’obtention végétale et le catalogue officiel, vers un verrouillage des espèces utilisables par l’agriculture. Le procès intenté à l’association Kokopelli est de ce point de vue emblématique.

Les OGM n’en restent pas moins un des outils d’avenir capables d’apporter des réponses aux problèmes alimentaires présents et à venir, que ne manquera pas de poser la croissance démographique mondiale. Mais la mainmise des industriels sur ce secteur pourrait en restreindre l’usage à la mise en place d’un monopole commercial. Ils ne seraient alors plus qu’une invention de plus détournée de son but premier et réduite à ces seuls inconvénients.

Quoi qu’il en soit, la France ne peut pas rester isolée dans un monde où les OGM progressent à grands pas. La pression qu’exercent les USA, les grands semenciers et l’OMC est trop forte ; l’Europe ayant cédé, la France devra faire de même. Mais il serait opportun d’imposer une réglementation protectrice des autres modes de cultures, plutôt que de niveler par le bas les labels existants. La Chine s’est, elle aussi, lancée dans cette course en avant, et le peu de précautions prises pour éviter la propagation des gènes introduits dans le riz et le coton en particulier laisse présager le pire. On est en droit de craindre, si la réglementation évoluait dans le sens de ce qui se dessine aujourd’hui, que le combat pour la biodiversité et sa préservation soit perdu d’avance. La nature deviendrait alors une nature de synthèse, où le chaos génétique prendrait le pas sur l’équilibre naturel, et où l’homme, quoi qu’il en pense, n’aurait plus forcément sa place.



15 réactions


  • Yaarg (---.---.66.238) 3 avril 2006 16:33

    Votre article me rend extrêmement triste. L’OGM semble gagner contre le grès des consommateurs, contre la méfiance naturelle du peuple pour tout ce qui est artificiel. Cela me rappelle avec douleur l’immense échec de l’écologie lorsqu’il y a 30 ans nous manifestions contre les centrales nucléaires. On voit le résultat aujourd’hui : 75% de notre électricité est d’origine nucléaire, et quoi qu’on nous dise, le danger d’un autre tchernobyl est possible. Imaginons simplement qu’avec la croissance économique de la Chine l’Europe et donc la France soient mises à genoux ?! Il arrivera un moment où nous nous trouverons dans la même situation de délabrement que l’ex-Union Soviétique : plus d’argent, plus de main d’oeuvre spécialisée, vieillissement des centrales nucléaires qu’il faudra désengager. Sans parler des déchets radioactifs qui s’accumulent et dont on ne sait que faire, beau cadeau pour les générations futures.

    Ainsi en sera-t-il des OGM que l’on devrait pourtant qualifier de « crime contre la nature ». Pourquoi la décision doit-elle être soumise à la volonté des puissances financières ? Pourquoi n’écoute-t-on pas la sagesse populaire ?

    L’appropriation du « vivant » sous forme de brevets est quelque chose d’ahurissant, de révoltant, d’inacceptable. Et tout cela va se passer dans le dos des citoyens, parce qu’aucun homme politique n’a eu le courage jusqu’à présent de faire descendre le débat au niveau des peuples.

    La mondialisation de la connerie devrait avoir pour effet un contre-balancier de la mondialisation de la prise en compte des désir des peuples, au-delà des langues, nationalités et frontières. Je suis sûr qu’une fois exposés objectivement les avantages et les inconvénients (tous les inconvénients, non seulement pour la santé, mais en terme de mafia économique) personne de sensé ne peut accepter la prolifération de ces monstres sortis de laboratoires.

    Paradoxe de la situation : de plus en plus de consommateurs se tournent vers les produits BIO, qui, par essence et par nature, ne peuvent en aucune manière contenir des OGM. C’est quand même significatif. Cela prouve que les gens, dans leur for intérieur, ne veulent pas introduire n’importe quoi dans leur corps !

    Ci-dessous un lien vers un site montrant que l’agriculture BIO serait une solution autant performante que les OGM, mais sans les OGM...


  • Aedan Aedan 3 avril 2006 17:30

    Je suis heureux de constater qu’un article sur ce sujet est né. Merci en tout cas car c’est un sujet d’actualité qu’il ne faudrait surtout pas passer sous silence.

    Je pense que le consommateur fera reculer les OGM, ainsi que le manque d’avantages pour le paysans/agriculteur. La biodiversité en aura pris un coup mais au final on se rendra compte de l’inutilité de ces semences.

    Nous n’aurions jamais dû accepter l’examen d’un pareil projet de loi mais on ne plaisante pas avec les directives européennes qui sont obligatoires. On pourrait se demander si les élus prennent en compte les intérets des consommateurs ou des industriels dans l’histoire.

    >>> le texte de loi : http://www.senat.fr/leg/pjl05-200.html

    >>> site sur les OGM de greenpeace : http://www.greenpeace.fr/detectivesOGM/index.php3

    >>> émission de france inter sur les OGM : http://www.radiofrance.fr/chaines/france-i...missions/coffe/


  • J ;(e (---.---.234.253) 3 avril 2006 23:03

    Je suis plutôt d’accord avec l’article en dehors de la phrase : « Les OGM n’en restent pas moins un des outils d’avenir capables d’apporter des réponses aux problèmes alimentaires présents et à venir ».
    Il me semble que le problème majeur des pays souffrant de manques alimentaires est le fait que les pays « industrialisés » ne sont pas partageurs (la planète produit déjà ASSEZ de nourriture pour subvenir aux besoins de la population mondiale) et préfèrent investir dans leur armement (dont le budget au niveau mondial tourne autour de 1000 milliards de $) plutôt que dans l’agriculture des pays qu’ils ont su exploiter sans mesure grace à une colonisation réussie.
    Au contraire de l’auteur de l’article, je pense que les OGM, loin de lutter contre la malnutrition dans le monde, ne feront qu’amplifier le phénomène tant il est vrai que Monsanto ou Novartis ne m’ont jamais impressionné par leur philanthropie.


    • Olivier FRIGOUT Olivier FRIGOUT 4 avril 2006 09:00

      Je comprends votre réticence à cette phrase. Je m’explique d’ailleurs à ce propos dans un dernier article visible sur mon propre site.

      Ce que je veux dire, c’est que c’est plus la main-mise des multinationales des semences sur ce secteur qui est dangereux que le concept lui-même. Or cette main-mise est le résultat de l’action des anti-OGM qui ont contraint la recherche publique d’arrêter ses travaux alors qu’aucun brevet n’était alors déposé. Si nous avions été capables d’attendre de maîtriser à la fois le transfert de gènes et leur expression avant de se lancer dans la production (plus rentable que la recherche) et si nous avions mis en place des gardes fous pour que l’on ne fasse pas n’importe quoi en la matière, imposant une réflexion préalable sur l’intérêt de chaque OGM, alors oui, les OGM auraient pu apporter des réponses aux problèmes de malnutrition présents et à venir. Et même si ces problèmes sont la conséquence de l’activité humaine (réchauffement climatique ou acharnement à imposer notre vision moderne de l’agriculture par exemple), ils ne peuvent être ignorés.

      J’insiste sur le fait qu’opposer sciences et environnement ne conduit qu’à une impasse et à des positions figées et non constructives. Et surtout, en l’absence de dialogue et de concession, à des choix qui hypothèquent l’intérêt commun que l’on pouvait trouver. Les OGM, comme de nombreuses avancées scientifiques, n’ont pas assez mûris dans les laboratoires pour être profitables à l’humanité. Pourtant, ils auraient pu, à condition d’être encadrer par une loi éthique et non transformer en potentiel économique, être une avancée et non une bombe à retardement.

      Cordialement.


    • J ;(e (---.---.224.131) 4 avril 2006 19:11

      Je ne prendrai pas position sur le bien fondé ou non de la recherche dans le domaine des OGM ni même sur leur commercialisation même si j’ai un avis assez tranché dans ce domaine.
      Le sens de ma réaction était de dire que, OGM ou pas, si les pays industrialisés souhaitaient réellement apporter une solution aux problèmes de malnutrition dans le monde, cela serait déjà fait depuis longtemps. Les études du PNUD le montrent suffisamment clairement.
      Le développement des OGM ne changera strictement rien à l’affaire dans ce domaine.
      Par contre, en dehors de cette remarque marginale, je suis d’accord avec votre position.


  • alberto (---.---.33.235) 4 avril 2006 12:17

    Merci pour votre article, M. Frigout qui a, entre autre, pour vertu de relancer la question sur cette affaire d’OGM.

    Pour ma part, je pense que la cause est entendue depuis longtemps quand on voit les reptations des hommes politiques français quand on leur demande ce qu’ils pensent du sujet ! (qu’a dit Sarkosy sur le sujet ?)

    Quand on constate l’attitude faussement navrée des représentants de la commission européene qui se retarnchent derrière la sacro-sainte liberté du commerce pour justifier les autorisations qu’ils concèdent à la présence d’OGM dans les cultures et l’alimentation humaine. (quid de l’alimentation animale ?)

    Quand les quelques opposants présents à Bruxelles font état des « pressions » (sonnantes et trébuchantes) exercées par les lobiistes pro-OGM. 

    Bref c’est un peu la lutte du pot de terre contre le pot de fer dans laquelle le bon peuple qui sent bien qu’on essaie de lui enfiler les OGM quoiqu’il arive n’a que ses quelques pétitions à opposer aux bulldozers financiers qui arrosent tout ce qui décide et légifère en France et en Europe.

    Bon quiqui’il en soit s’il n’en reste qu’un, j’espère être celui-là !

    Bien cordialement.


  • Dominique Giraudet Dominique Giraudet 9 avril 2006 11:05

    Les OGM sont une aberration agronomique comme le nazisme est une aberration idéologique . La consultation d’experts environnementaux comme Jean-Marie Pelt s’avère indispensable et urgente, la nature n’est pas un gadget pour biotechniciens en panne d’inspiration : là ,c’est l’ensemble de l’intégrité du monde biologique vivant qui est en danger ,l’ ètre humain en faisant intégralement parti . On ne joue pas avec le vivant , on l’aime et on le respecte . La santé humaine est en jeu liée d’une manière intrinsèque à la santé écologique de l’environnement mème .

    Amicalement, Dominique


  • skypreacher (---.---.126.55) 9 avril 2006 11:25

    dire que parce qu’ils connaissent à peine l’alphabet ils croient savoir lire et écrire. il y a loin entre ce que nous connaissons et la multitude de conneries que l’on va en faire avant de s’apercevoir qu’il est trop tard. jouer avec les gènes, lorsqu’on ne connait que leur nom.... il y a quelques années on entendait que 98 % de l’adn était de l’adn poubelle inutile... et maintenant c’est l’inverse... on ne sait pas ce que l’on fait ni quelles vont être les répercussions. l’appat du gain et du profit est la SEULE raison du dévellopement des ogm tel qu’on nous le propose.. aucun argument ne peut faire changer cet état de fait. la recherche sur les ogm sera de toute façon financée par des fonds privés donc interessé. quand on voit qu’il faut piocher dans la poche des contribuables pour financer la recherche : neurodon, téléthon, sidaction.... alors qu’un mois de salire du pdg de nike rapporterait deux fois plus... et il y a encore des illuminés pour croire que la recherche privée n’est pas dangereuse... qu’avait dit oppenheimer lorsque la prmeière bombe atomique a explosée ?


  • kerkdlac (---.---.185.24) 9 avril 2006 17:53

    ET LES ABEILLES DANS TOUT CA ! En France une parcelle d’au moins 50 mètres doit être respectée entre les cultures OGM et non-OGM. Ceci à été décrété par des experts après moultes études semble t’il, financées par qui d’ailleurs ? J’espère qu’ils ont aussi prévu le budget nécéssaire afin d’apprendre aux abeilles à respecter cette distance car ces insectes ont tendance à n’en faire qu’à leur petite tête et à rechercher le pollen sans distinction de provenance à plusieurs kms de leurs ruches... quand au miel ??? sera t’il garantit sans OGM ?


  • (---.---.118.252) 9 avril 2006 18:33

    Le procès contre Kokopelli et le symptôme de quelque chose d’encore plus grave !! et qui menace la Civilisation tout entière (ET la nature), et lisez ceci : http://www.loindevant.be/modules.php?name=News&file=article&sid=112 Loindevant asbl - Les légumes interdits c’est fou non ?!


    • Olivier FRIGOUT Olivier FRIGOUT 9 avril 2006 18:52

      Très bon article du The Independant. J’ai d’ailleurs abordé cette question pour ce qui est de la situation de l’autre coté du channel, soit en France, dans le dossier de décembre 2005 sur mon site Sciences&Nature :

      http://www.sciencesetnature.org/dossiers.php?menu=dossiers

      (en bas de page), et dans un article consacré à ce procès :

      http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=7565

      Il est essentiel pour la sauvegarde de ces variétés et pour permettre aux uns et aus autres de redécouvrir la diversité culinaire que ces pratiques d’échanges et de ventes associatives soient maintenues.

      Les OGM sont l’un des moyens utilisés par les industriels pour faire main basse sur le vivant, le catalogue officiel en est le moyen juridique et financier.


  • Le blog du monde qui avance (---.---.33.53) 26 avril 2006 11:30

    Il ne vous reste que deux jours pour dire au gouvernement si vous ?s pour ou contre les essais d’OGM en plein champ. Organis ?du 14 au 28 avril, cette consultation en ligne et en catimini sera probablement aussi peu entendue que celle de l’an dernier


  • Aurélien (---.---.128.86) 26 avril 2006 20:37

    Les politiques actuelles se meuvent et se développent dans un système clos sous-tendu par des représentations mentales fausses car parcellaires et fragmentées. La réalité est qu’il n’y a aucune coalition collective en faveur d’un développement entier de l’humanité. Les nationalismes, idéologies, les séparations ethniques ou religieuses représentent objectivement le désordre à l’origine du fossé énorme existant entre les différentes populations à l’échelle globale.

    Les OGM s’inscrivent dans ce système clos, visant l’uniformisation d’une pratique agricole historiquement en adéquation étroite avec le développement de l’humanité se comprenant comme partie d’un tout plus évolué. Cette inversion de pensée, caractérisée par un paradigme technique d’une maîtrise infinie et toujours grandissante de la nature, et qui suggère que l’homme doit se constituer en unique propriétaire de la nature et d’en disposer pour satisfaire ses désirs les plus fous, semble aller de pair avec l’idéologie matérialiste ambiante de libéralisation des échanges au bénéfice d’une minorité d’industriels détenteurs des pouvoirs.

    Développer l’agro-écologie à échelle planétaire et dépropriétariser les semences semble un chemin indispensable vers plus d’équité dans le monde.


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