mercredi 13 janvier 2010 - par Damien Perrotin

Retour sur le Club de Rome

Le Rapport Meadows sur les limites de la croissances, publié en 1972, est sans doute un des documents les plus controversés et les plus mal connus de l’histoire de l’écologie politique. Rédigé par Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows, Jørgen Randers, et William W. Behrens III à la demande du Club de Rome, un think-tank italien qui d’ailleurs existe toujours, il représente la première tentative de modélisation informatique de la trajectoire de la civilisation industrielle.

Et contrairement à ce qui a souvent été affirmé il ne prévoyait pas son effondrement à la fin du vingtième siècle.

Ce que faisait le Rapport Meadows c’est présenter un certain nombre de scénarios quant à l’évolution future de notre société sur la base d’un modèle informatique – World3 – prenant en compte la pollution, l’épuisement des ressources naturelles et de la fertilité du sol ainsi que leurs effets sur l’économie. Ces scénarios n’étaient en rien des prédictions. Ils ne faisaient que décrire les tendances lourdes qui façonneront notre avenir. La quasi totalité de ces scénarios – en fait tous à l’exception d’un seul – aboutissait à un effondrement de la population, de la production industrielle et de l’espérance de vie entre 2030 et 2080, les premiers symptômes apparaissant au cours des deux premières décennies du vingt-et-unième siècle.

World3 ayant été calibré sur les deux premiers tiers du vingtième siècle il est évidemment impossible de jauger sa valeur prédictive en le comparant au passé. Nous avons cependant suffisamment de recul pour comparer ses prédictions à l’évolution de ses trente dernières années. C’est ce qu’a fait le scientifique Australien Graham Turner dans un papier intitulé « A comparison of Limits to Growth with Thirty Years of Reality ». C’est un travail plus compliqué qu’il n’y paraît car, pour rester gérable par les ordinateurs de l’époque, World3 est très abstrait et réunit, par exemple, tous les type de pollution dans une seule variable.

Pour cela Graham Turner examine les trois scénarios clés du rapport de 1972 :

Sandard Run

Ce scénario assume que les tendances observées au cours des années 70 se poursuivent. La croissance économique continue pendant tous le vingtième siècle et les premières décennies du vingt-et-unième. Le modèle montre cependant des tensions croissantes qui aboutissent à un effondrement sous l’effet combiné de la pollution et de l’épuisement des ressources au milieu du vingt-et-unième siècle.

Comprehensive technology

Dans ce scénario, qui correspond plus ou moins aux programmes écologistes, notre civilisation tente de parvenir à la soutenabilité grâce à la technologie. Il suppose que 75% des matières premières sont recyclées, que la pollution est réduite de 25% par rapport à son niveau de 1970 que le rendement des terres est doublé et que le contrôle des naissances est généralisé. Ces efforts ne font cependant que retarder l’effondrement qui survient à la fin du vingt-et-unième siècle.

Stabilized world

Dans ce scénario, le modèle est forcé à l’équilibre en terme de population, de richesse et de ressources alimentaires. Cela suppose des politiques visant à un contrôle strict des naissance et de la pollution, à une limitation de la consommation de biens matériels et à des investissement massifs dans l’agriculture durable au détriment du secteur manufacturier. Dans ces conditions, la croissance économique s’interrompt pour laisser place à une société de croissance zéro et la civilisation industrielle évite l’effondrement, tout au moins jusqu’en 2100.

En confrontant ces trois scénarios à l’évolution du monde au cours des trente dernières années, Turner ne peut que constater que celui qui correspond le mieux est le standard run. Le scénario dit de comprehensive technology est beaucoup trop optimiste pour ce qui concerne la croissance de la production alimentaire et industrielle et la réduction de la pollution. Le scénario dit stabilized world, suppose, lui, le maintien d’un niveau de population, de production industrielle et de pollution qui a déjà été dépassé.

La conclusion de Turner est double :

1° World3 décrit correctement la dynamique de la société industrielle puisque les tendances décrites dans le scénario de base correspondent à ce qui s’est passé au cours des trente dernières années.

2° la civilisation industrielle est sur une trajectoire qui la conduit à l’effondrement au cours de la première moitié du vingt-et-unième siècle.

Les limites du modèles

Ces conclusions ne valent, naturellement que dans les limites du modèle. World3 a, en effet, été conçu à une époque où les ordinateurs avaient des capacités de calcul trop limités, ce qui a obligé à simplifier considérablement le modèle.

  • Les ressources non-renouvelables ne sont pas différenciées, ce qui revient à considérer qu’elles sont totalement substituables les unes aux autres à un coût nul, ce qui est loin d’être le cas. Dans la réalité la croissance n’est pas limitée par le total des ressources non renouvelables mais par les ressources indispensables les moins abondantes.

  • Le modèle considère que les investissements industriels ont un rendement fixe alors que dans la réalité ils subissent la loi des rendements décroissants.

  • Le modèle ignore les effets de rétroaction positive, notamment en ce qui concerne les effets de la baisse des ressources sur la capacité de la civilisation à maintenir ses infrastructures et à garder un haut niveau de technologie.

  • Il ignore, enfin, l’aspect politique des choses. Tous les phénomènes d’effondrement dans le passé ont été marqués par la dislocation des états existants,des guerres, des migrations et des changements de régime généralement au profit de chefs militaires locaux. Cela a contribué a amplifier le phénomène en détruisant les infrastructures et en diminuant les capacités de la société à réagir. Les effets en sont souvent plus prononcées dans des des sociétés politiquement divisées – Bretagne post-romaine, Basses Terres Mayas, Grèce Mycénienne – que dans de grandes structures impériales - Empire Romain, Ancien Empire Egyptien.

La prise en compte de ces limites, cependant, n’invalide pas les conclusions générales du modèle, mais rend le pronostic général plus sombre.



2 réactions


  • rastapopulo rastapopulo 13 janvier 2010 15:25

    Trop partial et trop parcellaire.
     
    D’abord cette fixation du contrôle des naissances chez les élites financières, le malthusianisme. Ce sera justement la pression populaire qui forcera une redistribution des richesses, gage de stabilité.

    Ensuite cette manie de penser que notre époque est technologiquement épuisée. Les marges de progrès sont énormes pour peu que les budgets soit débloqués et aussi que la culture soit celle du progrès (mais bon les écolos sont souvent retrogrades et sont soutenus au niveau mondial par les mêmes que le Club).

    Enfin il y a déja des éffondrements et des migrations, en ville c’est l’invasion (le pire c’est évidement celle de la finance anglosaxonne qui corrompt nos élites continentales) qui met la pression sur les salaires.
     
    Bref rien de nouveau, toujours les mêmes acteurs depuis 200 ans, toujours les mêmes techniques (divertir, diviser, terroriser) les mêmes objectifs (les ressources et la fin des nations souveraines enquiquineuses).

    De quel droit juger l’utilisation des ressources pour le dévelloppement des nations souveraines qui représente plus les peuples que les Club de bildelberg et trilatéral ? Ce sera plus un gage de stabilité que l’option actuel avec pourtant profusion. 

    La question n’est pas combien de ressources restent-t-il a ouaaaain (la créativité est inépuisable et les connaissances en constante évolution) mais vont -t-elles servir à stabiliser les peuples ou au contraire à les déstabiliser (comme maintenant alors qu’il y en a encore) ? 


  • Eloi Eloi 13 janvier 2010 20:02

    De ce que vous dites, le modèle ignore les effets de seuils liés à des développements technologiques inédits et à « fort effet de levier ».

    Quand le premier réacteur thermonucléaire produira de l’énergie, qu’en sera-t-il de ces prédictions ?
    Quand on construira le premier ascenseur spatial ?

    Le coût d’ITER : 10 milliards de $
    Le coût du premier ascenseur spatial : 100 milliards de $

    à comparer aux plans de relance américains, au budget de la pub, des cosmétiques...

    Même si le développement de ces outils coûte dix fois plus, c’est une broutille par rapport au « budget mondial ». Le modèle du club de rome compte - espère - qu’aucune de ces innovations aboutisse, par manque de volonté politique. Mais le premier construit, les ressources deviendront virtuellement infinies quand comparées à ce que l’on consomme aujourd’hui.

    Qu’aurait prédit un modèle World3 avant la première voiture à explosion ?


Réagir