lundi 26 septembre 2011 - par Krokodilo

Deux rapports sur les langues dans l’UE

A l'occasion de la journée européenne des langues (26 septembre), signalons deux rapports relativement récents de l'UE (2011), l'un sur le thème de la lingua franca, l'autre sur la promotion du multilinguisme dans l'UE. Ils contiennent quelques éléments habituellement passés sous silence par feu le service du plurilinguisme - maintenant rattaché à un autre.

Rapport sur le thème lingua franca :
Sur le site Emilangues, lien en bas de page :
http://www.emilangues.education.fr/actualites/2011/lingua-franca-reve-ou-realite

Et le plus récent, en pdf : Recommandations pour la promotion du multilinguisme dans l'UE (juin 2011)


Petite faiblesse : aucun des deux rapports ne fait l'état des lieux du plurilinguisme dans l'UE... Trop cruel ? Établissons donc brièvement le diagnostic : l'UE est anglophone à 95%, quasiment tous les instituts coopératifs européens fonctionnent en anglais, à l'exception dit-on du juridique (n'oublions pas que l'anglais qui a failli être imposé au concours d'entrée de la magistrature), tandis qu'un minuscule îlot de plurilinguisme subsiste ; le Parlement européen et son service de traduction et d'interprétariat qui fait le maximum mais ne peut compenser un problème d'ordre structurel – et idéologique.

L'absence d'état des lieux est une démarche anti-scientifique, mais passons.

Deuxième petite faiblesse : le jargon propre à chaque domaine. Ici la didactique des langues, outre la phraséologie administrative, la citation de précédents et laborieux rapports, la sempiternelle référence aux sondages d'Eurobaromètre rebaptisés "études sur le niveau de langue", la pensée magique...

Ces deux longs rapports se distinguent malgré tout par la mention de points jamais abordés officiellement :

La confirmation de l'immense avantage économique et politique conféré à la GB par l'usage de l'anglais comme lingua franca, avec mention et références des auteurs de ces analyses.

« Recent publications have shown that the hegemony of English leads to disadvantages for non-Anglophones in general and in academia in particular. »

« The Language Planning sub-group diverged in its opinion with one NGO strongly supporting English as a lingua franca, in contrast to other members pointing to the disadvantages, particularly over costs, and the financial benefit to English speaking countries - at the expense of everyone else. »

La confirmation du profond clivage entre ceux qui souhaitent l'officialisation de l'anglais dans ce rôle et ceux qui trouvent cela inéquitable et contraire aux principes de l'UE.

La mention que de nombreuses personnes préfèreraient apprendre une « grande langue » extérieure à l'union comme le chinois ou l'arabe plutôt qu'une langue minoritaire telle que le finnois ou le catalan – ce qui en clair signifie que l'Européen standard veut apprendre "utile", pour se comprendre entre Européens ou dans le monde, pas dans le seul but de sauver des langues minoritaires.

La mention de l'espéranto, du rôle qu'il pourrait jouer comme lingua franca de l'UE , des études qu'on pourrait lancer dans ce but - en évoquant aussi ses réussites, ses expérimentations déjà réalisées avec succès.

« There was also a big response to the topic on English as a lingua franca with some variance in opinion. One NGO opined that English should be encouraged as a lingua franca while others pointed to the problems that this raises. Another NGO proposed an objective cost-benefit analysis, comparing English, Esperanto and any other putative EU lingua franca. »

« Research also suggests that the biggest effect of the implementation of the common market principles outlined in the Lisbon strategy has been to increase the dominance of English as a European ‘lingua franca’. Opinion varies as to whether language policies should aim principally to reduce the influence of English, or to support English as a platform to promote mobility and competitiveness. There is a need for more research on whether language skills (...) »

« We think that Europe should focus on mechanisms and tools to promote cooperation and a single market policy including an open area for study and work. For this reason, we need a lingua franca, known by all citizens. This however, distracts nothing of the importance and rights of lesser used languages. »

Cette inhabituelle franchise est peut-être la générosité des vainqueurs envers les vaincus ! Compte-tenu des quelques vérités qui émergent là de façon inhabituelle, on ne s'étonnera pas que ces rapports ne soient disponibles qu'en anglais (à notre connaissance.

Ils auraient pu ajouter que la plupart des Européens n'ont aucune envie d'apprendre une langue étrangère, travail immense s'il en est, ou qu'après le boulot la plupart de ces fainéants préfèrent regarder un film dans leur langue, plutôt que de ramer sur une VO !

On ne peut débattre d'un sujet en se basant sur des prémisses fausses, en niant des évidences ou en se payant d'illusions.

La problématique de la communication entre les humains, qu'elle soit mondiale ou européenne, demeure complexe et non résolue, d'autant que s'y rajoute la question des langues régionales, elle aussi délicate, politique, et très différente selon les pays – question qui a été récemment évoquée dans le Monde des livres en ligne.

« Quoi qu'il en soit, on aimerait bien savoir quelle politique linguistique les divers candidats à la présidentielle mettraient en place en cas de victoire en 2012. » (Conclusion de l'article du Monde des livres en ligne à l'occasion de la publication par Louis-Jean Calvet de Il était une fois 7 000 langues.)

Saluons donc ces deux rapports européens qui tranchent sur la langue de bois habituelle sur le mur de Babel, et abordent quelques délicates questions que nos médias nationaux censurent avec constance.

Il peut sembler étrange qu'un sujet qui engage l'ensemble des Européens dans ce qu'ils ont de plus élevé dans l'ordre des animaux - le langage - soit absent et des médias et des assemblées, mais c'est ainsi, du moins pour l'instant. Restons optimistes !



13 réactions


  • Robert GIL ROBERT GIL 26 septembre 2011 10:00

    voici une langue qui est courante en Europe, surtout dans le monde politique :


    • pepin2pomme 26 septembre 2011 12:27

      Robert, vous êtes donc parfaitement xyloglote ?


    • skirlet 26 septembre 2011 13:20

      Pas tout à fait d’accord. L’anglais est comme toute autre langue, avec son lot de difficultés et de subtilités. La qualification de « pragmatique » est fausse : c’est un moyen de plus pour persuader les gens de la soi-disant supériorité et incontournabilité de l’anglais.

      De l’autre côté, les langues ne dominent jamais pour leur qualités linguistiques : seuls jouent les facteurs extérieurs, tels que économiques, politiques, militaires etc. Le français n’est pas plus subtil ou moins pragmatique que l’anglais : chaque langue est un outil polyvalent. Si chaque langue est respectable dans son rôle de langue nationale ou ethnique, elles le deviennent nettement moins quand on essaie de leur faire jouer le rôle qui n’est pas le leur : celui de la communication internationale.


    • Wàng 28 septembre 2011 23:00

      @ Musima : je n’ai jamais vraiment compris ce qu’on entendait par « langue pragmatique ».

      « Toute démarche scientifique est de type intellectuel, alors que le pragmatisme, si souvent vanté, n’est qu’un refus de penser et de comprendre. »
      (Pascal Salin)


  • docdory docdory 26 septembre 2011 13:48

    @ Krokodilo

    Heureusement, il y a fort à parier que l’entité « union européenne » aura complètement disparu d’ici une dizaine d’années, précédée d’une disparition de l’euro dont tout porte à croire qu’il aura disparu dans les trois ans qui viennent.
    « L’empire de la satrapie ploutocratique européenne » est dans un état de décrépitude et de pourrissement analogue à celui de « l’empire soviétique » en 1988
    Une fois l’UE disparue, le besoin d’une « lingua franca » disparaîtra par la même occasion !

    • Krokodilo Krokodilo 26 septembre 2011 14:33

      Hormis le besoin d’une langue internationale !
      Je regretterai néanmoins l’euro dans son rôle de monnaie de réserve, place qu’il a grignotée en partie au dollar-roi.


    • Catherine Segurane Catherine Segurane 26 septembre 2011 17:14

      Moi aussi, je suis favorable à l’espéranto.


      J’avais commencé à l’apprendre il y a quelques années. C’est vraiment une langue facile (suppression de toutes les irrégularités) et qui peut en même temps tout exprimer.


    • Τυφῶν בעל Perkele Τυφῶν בעל Perkele 26 septembre 2011 17:40

      Je vous trouve bien optimiste Docdory. Puisse l’histoire vous donner raison.

      Typhon


  • Jean-paul 26 septembre 2011 14:15

    @ Krokodilo
    Have a nice day !


  • aspic aspic 26 septembre 2011 22:38


    Eh bien, l’histoire se répète alors, mais cette fois-ci en sens inverse !
     smiley
    La France à pu exercer durant une certaine époque une hégémonie sur les peuples Européens, par sa langue, par l’attraction qu’elle à eu dans les milieux intellectuels.

    Tout avait bien commencé avec la Révolution :
    Et le député Bouchette de dire : « Ainsi, tout le monde va être le maître de lire et écrire dans la langue qu’il aimera mieux. »
    ... De cette façon, la République croyait qu’il fallait recourir au multilinguisme parce que toutes les langues de France avaient droit de cité. Toutefois, la traduction fut rapidement abandonnée devant les coûts financiers et l’absence réelle de vouloir conserver les langues régionales. Aussitôt, les patois devinrent l’objet d’une attaque en règle ! Les révolutionnaires bourgeois ont même vu dans les patois un obstacle à la propagation de leurs idées. »

    http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s8_Revolution1789.htm

    Il ne faut cependant pas oublier que la France a du, pour imposer sa langue nationale s’en prendre violemment aux différents langues existantes dans son propre sein puis dans les territoires annexées.

    Je crois que certains semblent oublier que la hégémonie de la langue Française à été imposé par la force brute, niant le droit aux peuples de parler « la langue du pays ».
    Voici ce qu’écrit l’ancien évêque de Blois, Henri Grégoire, vers 1794 :

    « Il n’y a qu’environ quinze départements de l’intérieur ou la langue française soit exclusivement parlée... et nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms. »
    Ensuite il cite :
    -le bas -breton
    -le normand
    -le picard
    -le rouchi ou wallon
    -le flamand
    -le champenois
    -le messin
    -le lorrain
    -le franc-comptois
    -le bourguignon
    -le bressan
    -le lyonnais
    -le dauphinois
    -l’auvergnat
    -le poitevin
    -le limousin
    -le provençal
    -le languedocien
    -le velayan
    -le catalan
    -le béarnois
    -le basque
    -le rouergat
    -le gascon
    « Au nombre des patois, on doit placer encore l’italien de la Corse, des Alpes-Maritimes, et l’allemand des Hauts et Bas-Rhin, parce que ces deux idiomes y sont très-dégénérés »
    « ..On peut assurer sans exagération qu’au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale ; qu’un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ;qu’en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent purement n’excède pas trois millions ; et probablement le nombre de ceux qui l’écrivent correctement est encore moindre »
    http://portal-lem.com/documents/langues/occitan/rapport_gregoire.pdf

    Sous Robespierre, le décret du 2 thermidor, an II (20 juillet 1794) sanctionna la terreur linguistique.

    C’est ainsi que par exemple en territoire annexé, la Flandre, une interdiction d’établir des actes en la langue du peuple (le néerlandais) fut établi pour la première fois dans son histoire !

    Pourtant, en 2011, certains de ces « patois » existent toujours, je peux encore écouter ici même des émissions en « occitan », des vieux m’ont dit qu’ils étaient punis par le maître à l’école s’ils s’exprimaient en occitan, mais ils ont résisté à cette hégémonie, comme bien d’autres exemples que l’on pourrait donner ici. (corses, basques, bretons...)

    Conclusion :
    -Imposer des langues par la force ne fonctionnera jamais, seulement l’attirance par les sciences, la culture, la liberté, l’ouverture d’esprit...


    • Krokodilo Krokodilo 27 septembre 2011 08:49

      Il y a la force brute, et la force tranquille, discrète, les énormes investissements financiers étasuniens dans la culture et la promotion de la langue dans le monde entier, hypocrite même dans l’UE puisque sans débat, et cela a très bien fonctionné avec l’anglais depuis que la GB est entrée dans l’Union : Erasmus mundus et ses subventions attribuées presque exclusivement aux cursus anglophones, les relations avec l’Asie uniquement en anglais, la totalité des instituts européens qui fonctionnent en anglais, tout ça sans auucne réflexion ni discussion sur les autres possibilités (par exemple, une langue différente pour chaque type de coopération, ou l’espéranto comme langue commune, la solution la plus rationnelle, neutre et efficace)


  • Jean-paul 27 septembre 2011 01:28

    Aspic
    Votre exemple francais est valable dans le monde entier .Combien de langues parlees en Inde .
    Mais comme dit krokodilo nous avons besoin d’une langue internationale pour se comprendre et avant c’etait le francais qui etait parle maintenant c’est l’anglais quoi que le francais soit toujours parler dans le milieu intellectuel .
    It is snob to speak french.


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