jeudi 30 mars 2006 - par Argoul

Economie : pourquoi les Anglais réussissent-ils mieux que nous ?

La dernière note de conjoncture de l’INSEE (mars 2006) livre un tableau comparatif intéressant. Pourquoi donc les Anglais réussissent-ils mieux que nous, alors qu’ils ont subi les mêmes chocs et qu’ils sont dans la même Europe ? La réponse de nos agents publics de la statistique est : parce que leur pouvoir d’achat est resté le double de celui des Européens continentaux, permettant une consommation des ménages en croissance du double (2% par an, au lieu de 1%). Et pourquoi ce pouvoir d’achat supérieur ? La dépense publique a joué, mais de façon marginale ; elle a été plus forte au Royaume-Uni qu’en Europe continentale (eh oui ! quand on a les moyens...), mais ce sont bien les progressions des revenus qui ont permis la croissance. Nous n’avons pas été capables de faire pareil. Voyons pourquoi.

Ecarts_de_croissance_uk_ue_1

1/ La banque d’Angleterre (qui n’a pas rejoint la BCE) a baissé son taux d’un tiers, de 6 à 4%, ce qui a allégé les remboursements des ménages britanniques, endettés le plus souvent à taux variables, comme aux Etats-Unis ; dans le même temps, la Banque centrale européenne n’a baissé son taux que d’un cinquième, de 4,75 à 3,75%. Sa contrainte a été la divergence persistante des économies : fort rattrapage des économies en retard des pays de la périphérie (Espagne, Irlande, Grèce, Portugal) avec inflation forte, et lourde stagnation des économies engluées dans un modèle obsolète (Allemagne, France, Italie) avec inflation faible et comportements de récession. Une monnaie indépendante donne plus d’inflation et plus de fragilité à l’économie, mais permet une politique dotée de tous ses instruments : monnaie, budget, change. La solidarité européenne a un prix. La solution est peut-être dans l’approfondissement de la zone euro, avec une politique budgétaire plus convergente et un budget commun plus consistant.

Conso_prive_et_emploi_zone_euro

2/ Le taux de chômage anglais a baissé de façon continue, de 5,1% en 2001 à 4,7% en 2004, tandis que celui de la zone euro a augmenté de façon tout aussi continue, de 7,9% en 2001 à 8,9% en 2004 (9,6% pour la France). Des emplois privés ont été créés en Angleterre alors qu’ils stagnent en France, la diminution du chômage ne provenant, selon l’INSEE, que de « l’augmentation du nombre de bénéficiaires d’un contrat d’aide à l’emploi non marchand » comme de la stabilisation des demandeurs sur un an. Notre exceptionnelle incapacité française à créer un environnement favorable à l’emploi est constante : est-ce dû à l’interventionnisme jacobin qui alimente une persistance incertitude ? Au poids trop lourd du secteur public dans la mentalité nationale, syndicale, intellectuelle, suscitant une façon de penser plus « théologique » que pragmatique ? A la formation scolaire inadaptée au monde économique, que ce soit l’apprentissage ou l’université ? A autre chose ?

3/ La dynamique des salaires a été plus favorable au Royaume-Uni en raison du plus faible chômage : là où il y a de la croissance, il y a des bénéfices, donc de la distribution possible ; là où il y a surtout emplois aidés et fonction publique prépondérante, il y a peu de bénéfices venus de l’extérieur (mais des bénéfices collectifs, utiles, qui doivent cependant être financés par les productions vendues à l’extérieur). La distribution salariale en Angleterre est négociée par des syndicats puissants et responsables, qui n’ont pas la volonté affichée de changer totalement la société à chaque réunion (tout le contraire de chez nous, où ils sont faibles, divisés et radicaux, laissant donc seul le salarié face au patron - sauf face à l’Etat où joue à plein le lobbying des statutaires). En France, les baisses d’impôts ont joué, mais c’est surtout « la décélération des prix qui emmène l’accélération modérée mais régulière du pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages : il a augmenté de 1,8% en 2005 après 1,6% en 2004 », selon l’INSEE. Uniquement du négatif : on gagne de l’argent parce qu’on en perd moins, pas parce qu’on le produit. Rien à distribuer, seulement à « re »distribuer, sûr que ça aide le pacte social...

Eco_compare_euro_zone

4/ La vigueur de dépense des ménages anglais a soutenu la production de services domestiques, ce qui explique « l’essentiel de l’écart de croissance » avec la zone euro, car l’écart industriel n’est que de 0,4%. Soumis à une même mondialisation, important le pétrole, les mêmes produits électroniques et d’habillement, ayant donc un commerce extérieur en déficit tout comme nous, les Anglais ont mieux tiré parti de la conjoncture en renforçant ce qu’ils savaient faire, et en le faisant chez eux. La France exporte peu de services et ses exportations de produits manufacturés n’ont cru que de 2,3% (aidées en plus par une petite dépréciation de l’euro), alors que la demande mondiale a cru du double (5,5% ). L’effritement des parts de marché est particulièrement net dans l’industrie automobile et les biens intermédiaires (peu d’innovation collant à la demande, un service après-vente qui laisse à désirer). Les entreprises françaises, étant donné les blocages de la société, hésitent à investir comme à embaucher sur le territoire national ; les meilleures vont produire ailleurs, les autres font des efforts encore plus grands de productivité pour supporter la concurrence des produits étrangers, mais pas d’efforts de capacités, dit l’INSEE. Quant aux services, longtemps délaissés au profit d’une vision productiviste de la société (où se rejoignaient ingénieurs de terrain et intellectuels marxistes), ils sont si émiettés qu’ils doivent se regrouper. Or toute fusion se fait dans un premier temps au détriment de l’emploi : les banques en sont le meilleur exemple.

5/ Contrairement aux anglaises, nos PMI se découragent rien qu’à l’idée d’exporter : « Avec nos charges et les 35 heures, vous n’y pensez pas ! ». Il s’agit d’un effet plus psychologique que réel, mais la psychologie est primordiale dans la confiance que nécessite tout investissement : il serait temps que les technocrates qui nous gouvernent, inventeurs d’usines à gaz telles les 6 SMIC et les 30 contrats de travail différents, s’en rendent compte. Etablir la confiance, cela veut dire arrêter l’activisme des non-concernés, économiquement peu formés ou technocrates-qui-savent-tout-mieux-que-tous.

Pour que la société soit en forme, laissez-la respirer, tel est peut-être le secret des Anglais.



104 réactions


    • (---.---.129.167) 2 avril 2006 15:03

      Cet endettement dépasse 100% du PIB !

      Précision : en réalité l’endettement est de 150 %


  • l1dit (---.---.54.30) 2 avril 2006 12:03

    Une des supercheries économico-politique est de faire croire qu’il existerait un modèle unique satisfaisant : le Japon, l’Allemagne,l’Angleterre maintenant... Il y a des problèmes partout - différents, pas à cause des cultures ou des mentalités comme on veut le faire croire mais du fait de contraintes propres aux systèmes. Si l’on n’accepte pas de prendre le risque de dérégler momentanément un système on ne peut pas y introduire de nouveauté. Il n’y a pas de « star » au pays des Nations. 1) si celà été, celà se saurait aujourd’hui et l’on verrai une nation se détacher de l’ensemble par ses progrés sociaux, économiques et politiques. Dites-moi où se trouve ce pays de Cocagne ! 2) cette idée ne permet qu’une seule chose c’est de stériliser les cerveaux : suivez comme des moutons, ne posez pas trop de questions, et si vous avez des idées attendez qu’elles soient à la mode ! C’est l’imagination, la souplesse, la capacité d’adaptation et une certaine prise de risque qui pourront modifier les situations. Peu m’importe que les entreprises en France soient dirigées par des étrangers : pourvu qu’elles tournent, produisent du travail, des salaires corrects, et donc des conditions de vie honorables. Il y aura sans doute en contre-partie des dirigeants français à Singapour ou ailleurs. Ce qui pourrait peut-être produire des effets positifs serait de rechercher ce qui marche dans chaque pays(et il y a des choses qui marchent un peu partout) et de l’adopter collectivement et/ ou progressivement(sur toute l’Europe) pour une certaine durée. En gros faire au plan social et économique ce qui a été fait pour l’€uro. On finirait peut-être par obtenir quelques résultats, plutôt que de vouloir tout faire à l’anglaise, à la japonaise, ou à la nouveautaise !


    • Simplet (---.---.210.105) 2 avril 2006 19:25

      Justement, il me semble que le fait de ne pas être dans la zone Euro est un plus pour la Grande Bretagne. Cela lui permet d’avoir une politique monétaire gérée par le politique et de pouvoir coordonner les déficits publics, les relances de type Keynésienne et les taux d’intérets en fonction des problêmes rencontrés. Par example, on vit probablement en se moment les début d’un krach immobilier ; la Grande Bretagne à augmenté ses taux d’intéret pour essayer de maitriser le problême : Dans la zone Euro, c’est impossible car il faudrait baisser les taux d’intérrêt en Allemagne et les augmenter fortement en Espagne et en Irlande (entre autre) qui partent dans un mur spéculatif !


    • madeleine (---.---.58.215) 5 avril 2006 21:02

      Juste une petite réaction sans prétention pour vous dire que votre commentaire m’a plu et le néologisme « nouveautaise » m’a faite rire toute seule devant mon ordinateur. c’est tout.


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