Européennes 2009 : et toujours la question turque !
J’avais écrit ce texte le 12 mai 2007 sur Voie Militante. A 15 jours du scrutin du 7 juin 2009, à l’occasion des élections européennes, il conserve toute son actualité.
Un sujet central au coeur de la question européenne !
C’est un sujet sur lequel la France, la gauche et les socialistes sont aujourd’hui divisés. Sur cette question, plusieurs visions s’affrontent.
Les tenants de l’entrée de la Turquie déploient deux types d’arguments. Dans le prolongement de la construction économique et commerciale actuelle, l’entrée de la Turquie fournirait un marché supplémentaire. C’est la vision défendue par la Grande Bretagne, Tony Blair, Gordon Brown et le Labour dont la volonté d’intégration européenne reste à démontrer. Rappelons que La Grande Bretagne n’a toujours pas adopté l’euro ! Ce serait un comble de se faire imposer la vision d’un pays qui a, en grande partie, refusé l’Europe.
Certains socialistes français évoquent la nécessité d’ancrer un grand pays laïque dans une communauté de valeurs afin de l’éloigner des tentations obscurantistes de l’Islam. L’arrivée au pouvoir des Islamistes en 2002 a certes de quoi inquiété. Mais ce parti est arrivé au pouvoir par le suffrage universel. Il a donc toute la légitimité de mener les réformes que les Turcs lui ont confié.
La question de la Turquie pose en réalité plusieurs questions :
- l’entrée de la Turquie permet-elle la construction d’une Europe politique ?
- quelles sont les frontières de l’Europe ?
- quelle est la vocation de l’Europe ?
- quelles sont l’histoire et la culture de l’Europe ?
L’élargissement de l’Europe de 15 à 25, puis à 27 vient de signer l’arrêt de mort de l’Europe politique. Sans réforme institutionnelle préalable, l’élargissement nous condamnait à une vision réductrice de l’Europe : la constitution d’un grand marché acceptant de s’imposer de manière unilatérale les règles de l’OMC. Par les mécanismes de dumping fiscal, social, environnemental, l’Europe, aujourd’hui, nous plonge irrémédiablement dans la spirale du "Toujours moins", chère à notre nouveau Président. L’adhésion de la Turquie ne ferait que contribuer à accélérer encore un peu plus le mouvement. Au point où nous en sommes...
La question des frontières dans l’hypothèse de l’adhésion de la Turquie est clairement posée. La Turquie est située en Asie mineure. Si nous acceptions d’étendre les frontières de l’Europe à l’Asie, pourquoi ne pas accepter l’entrée de la Russie, du Maghreb, d’Israël ? La Turquie n’est pas en Europe. C’est une évidence qu’il est ici important de rappeler !
La possibilité aujourd’hui de signer un accord de partenariat renforcé visant à faciliter les échanges commerciaux entre les pays de l’Union et la Turquie devrait pouvoir satisfaire les tenants de la vision libérale de l’Europe. Si leur objectif est d’en faire un grand marché, en aucun cas, le grand marché n’est synonyme d’intégration politique, monétaire, culturelle. C’est même un contre-sens absolu de croire que l’Europe économique peut être constitutive de l’Europe politique. C’est hélas cette vision, celle des pères fondateurs, à laquelle se sont ralliés de nombreux socialistes au premier rang desquels il faut citer François Mitterrand, Jacques Delors et peut-être Lionel Jospin.
La dernière question est de loin la plus délicate, les partisans de l’entrée de la Turquie se chargeant vite de diaboliser leurs adversaires en les taxant d’islamophobie et de racisme. Pour autant, cette question n’est pas réductible à celle de l’Islam et de la laïcité. L’Europe a intégré les valeurs de l’universalisme et de l’humanisme prônées par les Lumières et la Révolution française. Ces valeurs sont fondées sur la séparation des champs privés et publics. L’Islam peut être compatible avec cette vision. Mais l’arrivée au pouvoir d’un parti islamiste dont l’objectif est d’abolir ces frontières anciennes, la légitimité qui est la sienne de mettre en oeuvre un régime islamiste nous donnent-ils le droit de croire à l’universalité de nos valeurs ? Les Turcs sont libres de leur destin. Laissons-les en décider. Ce chantage exercé sur l’hypothétique adhésion de la Turquie à l’Europe est un leurre. Les Turcs, dans leur immense majorité, ont compris qu’ils avaient leur destin entre leurs mains. De quel droit, irions-nous dicter aux Turcs une vision, un comportement, une société qu’ils semblent rejeter massivement ? Quelle image donnons-nous de nous-mêmes à la Turquie ? N’avons-nous pas à balayer devant notre porte ?
Crédit photo : Atlas géographique mondial