jeudi 12 juillet 2012 - par Laurent Simon

L’A330 vole vers de nouveaux succès

Retour sur ce qui a fait le succès de l'A330, depuis son prédécessur A300 et face aux concurrents, et pourquoi il a été annoncé ces jours-ci une extension de rayon d'action, de 500 à 2200 km.

Ce qui lui permettra de concurrencer encore plus fortement les 777 de Boeing qui, biréacteurs, consomment moins que les quadriéacteurs A340 d'Airbus destinés aux mêmes lignes aériennes.

Et selon Airbus, « l’A330 devient une alternative très économique face au B787 sur de nombreuses lignes, avec des coûts d’exploitation directs par vol inférieurs de 5% à ceux du B787″ pourtant de nouvelle génération.

Succès (pas immédiat) de l'A300...

Dans la guerre commerciale que se livrent Boeing et Airbus depuis des décennies, Airbus a marqué des points dès le début, avec l'A300 puis l'A310, tous deux bi-moteurs à rayon d'action allongés ETOPS [1], face aux tri-réacteurs et quadriréacteurs du moment, plus gourmands en kérosène.

Pour concurrencer les avions américains des gammes Boeing et Douglas (notamment DC10), 9 variantes avaient été envisagées, nommées A300B1 à A300B9. Faute de disposer d'un moteur suffisant, l'A300 finalement lancé ne pouvait emmener qu'environ 250 passagers, et non 300 comme souhaité initialement (d'où son nom, maintenu cependant).

Pour atteindre la capacité initialement souhaitée de 300 passagers, il fallut attendre : A330-300 original
- l'adhésion de British Aerospace au consortium Airbus en 1979, pour assurer le financement du projet A300-B11, variante quadriréacteur de l'A300 étudiée dès la création d'Airbus en 1970 (projet baptisé TA11), pour concurrencer les Boeing 707 et Douglas DC-8 et remplacer à terme les tri-réacteurs à long rayon d'action
- les lancements de l'A310 (1978) et de l'A300-600 (1981), pour approfondir les études d'un bi-réacteur disposant d'une voilure nettement plus grande (projet baptisé TA9), ayant les mêmes charges et rayon d'action que le DC-10, mais consommant 25% moins de carburant.

Les deux projets furent finalement réunis en un seul, avec utilisation des mêmes éléments, pour la plupart. Le projet mixte A330/A340 est officiellement dévoilé en 1987, soit 15 ans après la premier vol de l'A300 en 1972.

... lancement de l'A330-A340, éviction des DC10 et MD11 du marché...

Les nouveaux avions d'Airbus furent un temps menacés par les futurs MD11, dérivés du DC10 [2] de Douglas mais à commandes de vol électriques et pilotés à deux comme les A330-340 ; le développement débuta en 1986, et l'avion fut lancé en décembre 1986 au niveau commercial, avec 52 commandes fermes.


Il y eut d'ailleurs en 1988 une tentative de rapprochement Airbus-Douglas (utilisation de l'aile A340 pour le futur MD11, et remplacement des anciens MD-80 par les futurs A320), mais qui fut arrêtée du fait de Douglas. [3]

L'importante commande en 1990 de 20 MD11 par Singapour Air Lines (en défaveur d'Airbus) sembla donner raison à Douglas. Mais elle fut finalement convertie un an plus tard en 20 Airbus A340-300, quand il fut clair que l'avion ne pourrait être utilisé pour les lignes aériennes prévues. SIA n'était pas la seule à critiquer le projet, pour American Airlines aussi, l'avion ne pouvait tenir les performances annoncées, et McDonell Douglas dut lancer en 1990 avec la Nasa un programme d'améliorations, qui dura jusqu'en 1995. Mais ceci n'avait pas permis la reprise des commandes, et cette annulation de SIA fut le signal du déclin de McDonell Douglas.

Avant même le premier vol, le projet A330/A340 contribua donc à l'affaiblissement puis la disparition d'un concurrent majeur, qui fusionnera avec Boeing en 1997.

Ce faisant, la commande de Singapour Air Lines conduisait Airbus à renforcer l'aile de l'A340 pour étendre le rayon à 13 900 km.

... apparition et succès du 777...

Le choix de deux avions ayant des ailes très proches [4], était-il pertinent à terme ? Il a en tout cas permis de réduire les coûts de développement (d'environ 500 millions de dollars [5]), d'industrialisation, de production et de maintenance, et il a surtout permis le financement des deux avions [6] grâce aux fameuses aides remboursables des états européens concernés. [7]

Un autre avantage, selon le directeur de planification stratégiques d'Airbus, Adam Brown, était la préférence des compagnies asiatiques pour un quadrimoteur, des américaines pour un bi-moteur. [8]

Toujours est-il que l'A340, permettant un long rayon d'action (11 000 km à l'origine) et dont les versions allongées ultérieures (-500 et -600) devaient permettre d'entamer le monopole du très gros porteur Boeing 747, n'a pas rencontré le succès escompté par rapport aux avions de Boeing. En partie au moins du fait de la sortie, 2 ans plus tard, du bi-moteur B 777, qui a rencontré pour sa part un succès croissant, devenant une "machine à cash" pour Boeing, grâce au remplacement progressif des 747 quadrimoteurs à la fois vieillissants et gros consommateurs en carburant.

Les versions A340-500 et -600 n'ont pas empêché la montée en puissance du 'Triple 7', avion incontestablement très réussi qui finit par tuer l'A340 (novembre 2011, décision Airbus d'arrêter ce modèle), tout comme l'A330 en avance d'une génération avait évincé le biréacteur B 767.

...l'arroseur arrosé...

Paradoxalement c'est donc Boeing qui imposa le bi-réacteur dans les plus gros porteurs, avec le 777 à la fin des années 1990, alors qu'Airbus avait initié le mouvement avec l'A300 trente ans auparavant.

Depuis quelques années, les points faibles d'Airbus sont le segment correspondant au Boeing 777, et le fret (777, 747-8), pendant que ses points forts sont :
- la famille A320 (plus de 50% du marché des monocouloirs)
- l'A380 (qui continue d'attirer les voyageurs et contribue fortement aux bénéfices des compagnies qui l'utilisent) [9]
- l'A330 (qui ne s'est jamais mieux vendu que depuis le lancement du 787 !)
- et l'A350 (qui malgré son prix plus élevé que le 787 s'est quand même vendu à près de 600 exemplaires).

L'A350 lui-même est d'ailleurs une suite du programme A330-A340, puisqu'il vise à concurrencer surtout le 787, mais aussi le 777, notamment avec sa version A350-1000, qui sortira en dernier (2017).

...nouveau défi pour Airbus : un A330 de plus long rayon d'action, pour rivaliser avec le 777...

Cette dernière version de plus grande capacité n'est cependant pas parvenue jusqu'à présent à contrer le 777, malgré les gains très importants de consommation : depuis plusieurs années l'avion est perçu par certaines compagnies comme sous-motorisé, et ce malgré le développement par Rolls Royce d'un modèle plus puissant de son réacteur Trent.

Échaudées par l'écart entre les promesses du 787 et ses performances finales (surpoids important), les compagnies aériennes attendent probablement le premier vol de l'A350-900 pour avoir une meilleure idée du programme d'Airbus, également très novateur. D'autant qu'en matière d'utilisation des matériaux composites pour le fuselage, les choix sur l'A350 (assemblage de panneaux sur un squelette en métal) n'ont pas été ceux de Boeing (création d'un cylindre d'un seul bloc).

Tant et si bien que le retrait fin 2011 de l'A340 a créé une lacune temporaire dans la gamme, qu'Airbus a cherché à combler depuis plusieurs mois.

Etant donné le succès prolongé de l'A330, quoi de plus naturel que de chercher à remplacer le quadrimoteur A340 par un bi-moteur A330 capable de rivaliser avec l'actuel 777 ?

Deux pistes principales ont été explorées :
- une 'simple' remotorisation façon "NEO" de l'A330 (comme sur la famille A320), qui permettrait à la fois une moindre consommation, et donc un rayon d'action plus élevé
- un allongement du rayon d'action en augmentant l'emport total, donc la quantité de carburant utilisable.

C'est cette dernière possibilité qui a été choisie, en intégrant notamment une avancée du programme A350, et en permettant 5 tonnes supplémentaires sur l'A330-300, premier visé par la transformation. Ce qui augmente son autonomie de la bagatelle de 2200 km, passant à 11 000 km.

Airbus mettra en place un nouveau système appelé « Load Alleviation Function » (LAF) qui permet l'allégement structural des charges sur les ailes, efficace en phase de turbulence ou pour une masse au décollage plus importante.

Pourquoi ce choix, plutôt que d'utiliser de nouveaux réacteurs ? Nous y soyons plusieurs raisons très probables :
- l'utilisation de nouveaux réacteurs suppose plusieurs éléments dont : disponibilité des moteurs (sinon surcoûts importants), modification de l'aile d'autant que les moteurs seraient plus lourds, travail avec les motoristes déjà très occupés.
- les coûts risquent d'être assez élevés, et supposent aussi des compétences fortement sollicitées actuellement chez Airbus, alors que le nombre d'avions concernés sera très loin de celui des A320 NEO
- en revanche les aménagements prévus sur l'aile ne concernent qu'Airbus (ne dépendant pas des motoristes), ils s'appuient sur les avancées du programme A350, dont ils pourraient être une application relativement rapide. [10]
- la valorisation des enseignements des deux projets en cours (A350, NEO) peut se faire dans cet ordre chronologique (l'A350 va voler très bientôt), et on voit mal faire deux remotorisations en parallèle. D'ailleurs la première commande (CIT group, voir plus bas) avec livraison dès 2014 renforce cette hypothèse
- enfin, last but not least, la remotorisation risquait plus de faire ombrage au nouvel avion A350, et s'il y a quelque chose qu'il faut bien éviter, c'est que les produits se canabalisent.

... un 'plus' significatif pour les compagnies, une concurrence en sandwich pour le 777, et le 787 !

Vingt ans après son premier vol, l'A330 s'offre une deuxième jeunesse, avec une version A330-300 améliorée qui permettra, à partir de 2015, de réserver l'A330-200 à de plus grandes distances, tout en permettant plus de capacité sur les lignes où actuellement l'A330-200 est utilisé.

"Par exemple, ce nouvel A330-300 pourra désormais relier Londres à Tokyo, Francfort au Cap, Pékin à Melbourne, Pékin à San Francisco, Kuala Lumpur à Paris et Los Angeles à Dublin", selon Airbus.

Ce faisant, l'A330-300 rivalisera plus efficacement avec le 777-200 ER [11], avec une consommation annoncée en baisse de 15 % par rapport à ce dernier, selon Airbus qui ajoute : «  L'A330 devient une alternative très économique face au B787 sur de nombreuses lignes, avec des coûts d'exploitation directs par vol inférieurs de 5% à ceux du B787″. [12]

Et la nouvelle version A330-200, qui sortira peu après, aura son rayon augmenté de 270 nautiques (500 km, pour atteindre 13 060 km), avec une augmentation de l'emport de 2.5 tonnes, couvrant 90% des lignes partant de Londres Heathrow [13], pour rivaliser avec le 777-300 ER.

L'A330 reprend ainsi le flambeau de l'A340, tout en restant biréacteur, rattrapant et dépassant avec 1200 exemplaires commandés le 767 lancé par Boeing plus de 10 ans avant et produit à 1027 exemplaires ; même si l'on tient compte des 179 ravitailleurs KC-46 dérivés du 767 et encore en développement.

Et la version cargo A330-200F bénéficiera à son tour (+500 km ?) du même aménagement, marquant ainsi des points décisifs dans sa compétition avec le 777F.


Les avions militaires A330 MRTT de transport et de ravitaillement ne sont pas cités par Airbus, mais ils pourraient bénéficier ultérieurement de cette extension de rayon d'action.

L'amélioration proposée ces derniers jours par Airbus, ajoutée aux très nombreuses innovations et qualités des A300 et A330 à leur sortie font que l'A330 reste 25 ans après sa conception très attractif, y compris par rapport au 787 pétri de matériaux composites.

Ce qui nous semble particulièrement intéressant avec ces nouvelles versions, c'est le prolongement ainsi obtenu de l'offre d'Airbus à un prix inférieur au 787, et au 777, alors que tous les modèles A350 sont réputés plus chers à l'achat que les 787, car plus grands et réalisés en grande partie en zone euro, donc à un coût de fabrication plus élevé que si c'était en zone dollar.

+25% de rayon d'action, pour seulement 2% de masse supplémentaire

L'extension de 25% (+ 2 200 km) du rayon d'action de l'A330-300 est obtenue par une augmentation de seulement 2% de sa masse, et avec finalement très peu de différences de fabrication et de coûts de maintenance par rapport aux A330 actuels.

On reconnait bien là la volonté Airbus de proposer des avions aux meilleurs coûts d'exploitation pour les compagnies, grâce à une communité (commonality en anglais) de pièces maximale, comme entre la famille A320 actuelle et la future famille NEO.

Souhaitons donc à ces nouveaux A330 un succès comparable à celui de la famille des monocouloirs A320 NEO, dont plus de 1400 exemplaires ont déjà été commandés [14], obligeant Boeing à réagir avec les 737 Max !
Et de toute façon, même si ce n'était pas le cas, la seule disponibilité de ces avions A330 devrait augmenter la part de marché d'Airbus sur ce segment encore préservé de Boeing.

Un mouvement stratégique majeur pour Airbus

Contrairement à certaines apparences (amélioration d'un avion sorti il y a 20 ans), cette amélioration est un mouvement stratégique majeur pour Airbus, car elle va limiter grandement les apports importants et réguliers de trésorerie que représente l'actuel 777 pour Boeing, par la baisse de prix inéluctable que cette irruption de l'A330 provoquera sur ce segment.

Et ceci pour des investissements qu'Airbus n'a pas rendu publics mais qui devraient rester très limités, grâce à une optimisation continue et à la valorisation d'une avancée du programme A350.

De plus cela rassurera les compagnies qui hésiteraient à commander des A350, craignant un retard plus simportant que les 6 mois annoncés, à l'image de ceux constatés ces dernières années avec les A380, 787 et 747-8. Car Airbuus pourrait toujours alors fournir des A330 à long rayon d'action, et rapidement. On le voit ici, loin de cannibaliser l'A350, l'A330 amélioré peut en augmenter le nombre d'exemplaires commandés.

Enfin, en période de crise économique de la zone euro, il serait logique de constater des commandes d'A330 améliorés, au moins par les loueurs comme vient de le faire CIT Group, car ces avions sont à la fois économiques à l'achat et à l'usage.

Évidemment, Boeing ne restera pas inactif (projet 777x en développement), mais comme Airbus, l'avionneur est très occupé avec ses programmes en cours (cadences du 787 à augmenter, 787-10 à sortir, ravitailleur KC-46, 737Max à préciser [15]).

De son côté, à la question "Le segment des longs courriers, dominé par Boeing avec ses B777 et B787 ?", Fabrice Brégier, nouveau patron d'Airbus répondait aujourd'hui : "Boeing domine, mais nous avons annoncé une amélioration de l'A330, et si nous faisons du bon travail sur l'A350, nous les rattraperons." [16]

Le premier client est l'entreprise de location "CIT Leasing", avec la commande de 10 Airbus A330-330 à plus longue portée. Livrables à partir de 2014, ce qui est au moins 6 mais avant la date (été 2015) annoncée le 9 juillet, ce qui montre l'intérêt pour cette version. [17]



14 réactions


    • Laurent Simon 13 juillet 2012 12:48

      Plusieurs remarques :
      1. Soyons précis : la construction d’une usine d’assemblage aux Etats Unis n’est pas une délocalisation (soustraction d’une production en France ou en Europe), mais une localisation aux Etats Unis, pour permettre une augmentation de la production, offrir de nouveaux ’slots’ (permettre aux compagnies US d’acquérir des avions avant les dates très lointaines sans cette nouvelle usine).

      Et OUI, cette localisation aux US est une bonne nouvelle. Le marché des avions de ligne est un marché mondial, et Airbus est de ce fait une société ’globale’, et cela oblige à construire des usines ailleurs qu’en France, et qu’en Europe. Voir les détails donnés un peu plus bas, sur l’usine en Chine, qui a permis d’étendre largement les ventes en Chine.

      2. Et il ne faudrait pas diaboliser les délocalisations non plus, qui sont un élément clé de la réussite des entreprises industrielles allemandes. Voir par exemple l’excellente émission d’hier Cdansl’air, France5, 12 juillet sur PSA « le redressement qui fait débat »
      la fiche : http://www.tv-replay.fr/12-07-12/c-dans-l-air-france5-pluzz-10037691.html
      en replay : http://www.pluzz.fr/c-dans-l-air-2012-07-12-17h48.html
      et « 

       »Redressement productif« en France et en Europe...Halte à la démagogie, vive les délocalisations ! » dont voici un extrait : "Si l’industrie allemande, malgré tous ses atouts, a quand même fait appel à des délocalisations massives, en faisant fabriquer des éléments en Europe de l’Est ou en Asie, c’est qu’il n’y a pas d’autre solution ! Il ne faut donc pas raisonner en tout ou rien, en blanc et noir, en diabolisant les délocalisations, mais au contraire voir que ces délocalisations n’empêchent pas, tout au contraire, l’Allemagne de continuer à produire des parties très importantes en Allemagne, et bien entendu les pièces à plus forte valeur ajoutée..."

      ---------- Précisions complémentaires :
      OUI donc, cette usine à Mobile (Alabama) est une nouvelle majeure, même si ou parce que la décision a été longuement mûrie (et repoussée par Louis Gallois). Car la direction d’Airbus a voulu se prémunir des risques de bulle (1400 exemplaires commandés en un peu plus d’un an pour les A320 NEO, c’est historique, mais attire nécessairement les questions).

      Car c’est effectivement une chance supplémentaire pour Airbus de vendre plus aux compagnies aériennes US (la part de marché Airbus est de l’ordre de 20% aux Etats Unis, alors qu’elle était supérieure à 50% dans le monde - elle devrait croître comme elle l’a fait suite à l’installation d’une usine en Chine, où elle est désormais d’environ 50%).

      Et une chance aussi pour le groupe Eads, notamment pour vendre des produits et services pour la Défense US. La construction de l’usine devait se réaliser dès 2008 à la suite de la sélection par le Pentagone des ravitailleurs A330 MRTT (KC45) -et aussi pour assembler les A330 F de fret, pour que l’opération reste rentable pour Airbus, puisqu’il fallait un nombre minimal d’A330 par an-, mais le contrat a été cassé et c’est finalement Boeing qui réalisera les 179 ravitailleurs KC46.

      Evidemment c’est aussi un risque pris par Airbus, au cas où la situation se retournerait, mais le risque est faible, d’autant que l’usine peut servir à assembler toute la gamme A320 et ses dérivés ’corporate’ (avions d’affaire) et qu’elle est probablement très proche de celle qui avait été prévue pour assembler les A330 nettement plus grands, voire des A400M pour les Etats Unis, ce qui donne une souplesse importante pour s’adapter à toutes sortes de situations.

      Les affaires sont de toute façon indissociables d’une prise de risque, le tout est de ne pas prendre des risques inconsidérés. Cette décision me semble excellente, y compris par le fait qu’elle n’a pas été précipitée, comme d’ailleurs de très nombreuses décisions très importantes prises dans le passé par Airbus. Le caractère multinational d’Airbus l’y oblige peut-être, mais l’expérience chez Airbus semble bien prouver que la prise en compte de points de vue (nationaux) différents est un atout.

      Et si le repli sur soi, dans chaque pays, était un moyen de réussir en économie, cela se saurait : toutes les tentatives faites en ce sens ont conduit à des effondrements, voire à des guerres (2e guerre mondiale, suite en grande partie aux mesures protectionnistes prises dans les années 1920).


  • diverna diverna 13 juillet 2012 13:20

    Un article complet sur l’histoire récente des avions Airbus. Des luttes au plus haut niveau qui ont placé la France et l’Europe sur un savoir faire qu’on nous envie MAIS le niveau Euro / Dollar nous a plombé (nous - français !) et si nous avons la maîtrise technologique et des emplois, le temps où le nombre d’avions vendus influait considérablement la balance des paiements du mois en cours est révolu. Nous vendons, semble-t-il, le plus souvent sans dégager de bénéfice (hors la capacité à payer les salaires et à rembourser le coût des études). Bref, le combat Airbus Boeing ici rappelé est un peu comparable aux luttes entre tribus gauloises quand l’empire romain était aux portes. 


    • Laurent Simon 13 juillet 2012 14:04

      Votre message comprend plusieurs points :
      1. Oui, le niveau très élevé de l’euro tend à plomber notre économie française, et à un déficit extérieur énorme (70 milliards en 2011). Avec la crise en zone euro, cela change (vers 1.25 $ au lieu de 1.40 voire plus), mais cela sera-t-il durable ?

      En tout cas il est temps de faire les réformes nécessaires dans la zone euro, pour remédier à cette exception qu’est l’euro, à savoir une monnaie sans état ni gouvernement. Les décisions récentes (fin juin 2012 notamment) vont dans le bon sens, mais il faut aller beaucoup plus loin et vite, sinon la situation pourrait redevenir très grave !

      2. Du coup effectivement, même si l’aéronautique compte beaucoup (et de plus en plus) dans nos échanges, cela ne permet plus d’avoir une balance à peu près équilibrée, étant donnée l’ampleur des dégâts. Mais cela déborde les questions Airbus Eads...

      3. Vous évoquez aussi les faibles marges dégagée par Airbus, avec raison. C’est en partie une conséquence de l’euro trop fort, mais c’est aussi une conséquences
      - d’énormes investissements récents (A380 et A350 notamment)
      - des problèmes lors de l’industrialisation de l’A380, dont Airbus commence à sortir
      - sans compter les problèmes liés à l’A400M (qui a souffert surtout d’une très mauvaise gestion au niveau des Etats européens qui l’ont commandé, voir la série d’articles : « Les surcoûts de l’A400M en 21 questions. (1) Les délais et retards » ... . « (7) Tous les problèmes enfin réglés ? » )

      Cela devrait s’arranger dans les années qui viennent, puisqu’il n’y a pas d’avion majeur à sortir d’ici peu, et aussi parce que la production très importante d’A320 va probablement finir par rapporter un peu d’argent. Et Thomas Enders (nouveau patron d’Eads) semble vouloir remédier à ces faibles bénéfices.

      4. Le combat Airbus / Boeing « comparable aux luttes entre tribus gauloises quand l’empire romain était aux portes » ? Oui, c’est vrai, et Boeing ne semble par exemple pas se rendre compte des aspects très négatifs (y compris pour eux-mêmes) du renouvellement des attaques contre Airbus auprès de l’OMC, avec comme conséquence la divulgation d’informations essentielles aux autres concurrents (émergents).
      Alors que les sommes dépensées en juridique par les deux parties seraient bien plus utilement utilisées ailleurs.

      Cependant, si la menace est réelle, les deux entreprises du duopole détiennent encore de nombreux atouts, la meilleure preuve étant la réussite exceptionnelle des ventes A320 NEO, et la très probable réussite dans les mois à venir des ventes 737 MAX, alors que les ventes des chinois COMAC, canadien BOMBARDIER (qui d’ailleurs ont fait un accord entre eux deux), des russes SUKHOI et IRKUT et du brésilien EMBRAER sont beaucoup plus limitées.


  • les cafards les cafards 13 juillet 2012 13:35

    et PSA qui n’arrive pas à décoller, un comble !


    • Laurent Simon 13 juillet 2012 14:10

      Voir ma réaction ci-dessus, avec l’émission Cdansl’air d’hier, excellente comme la plupart, dans laquelle il est clair que si la situation est si grave actuellement pour Peugeot, c’est en grande partie parce que Peugeot n’a pas délocalisé plus une partie de sa production.

      Comme l’ont fait les entreprises automobiles allemandes, avec l’ex Allemagne de l’Est, les ex pays du bloc soviétique et la Chine notamment.


  • moonmartre 13 juillet 2012 23:45

    Mr Simon,

    merci pour votre article est très bien documenté !

    Je trouve extrêmement bien joué de proposer 25% d’autonomie en plus pour seulement 2% de poids supplémentaire.

    Je suis seulement surpris que cette décision n’ait pas été prise avant. 
    Cela fait un paquet de temps que Tony Fernandez (patron d’Air Asia) titille thomas Enders sur ce point.

    Boeing vent ses 777 en rafale qui reste le meilleur long courrier grande capacité actuellement, et demeure une cash machine. 

    Je dirais que c’est le retard prévisible de la sortie de l’A350 qui a précipité la décision.




    • Laurent Simon 14 juillet 2012 17:29

      extrêmement bien joué : oui.
      surpris que cette décision n’ait pas été prise avant : je ne suis pas dans le secret des dieux, mais il n’est pas sûr qu’il soit évident de penser à cela pour l’A330.
      Notamment quand les personnes les plus concernées (A350, si c’est effectivement une retombée de ce programme) sont à la bourre. (et qu’il y a malheureusement probablement un certain cloisonnement entre les programmes).

      A ma connaissance, Tony Fernandez (patron d’Air Asia) demandait une remotorisation (genre NEO), et il est possible que certaines personnes n’aient pas identifié que l’A330-300 avait un tel potentiel (remarquez que l’avantage pour l’A330-200 n’est « que » 500 km suppl. au lieu de 2200)
      Un réflexe d’ingénieur (j’en suis) est de raisonner en ratios (un peu trop ?), et il est possible que certains aient trop vite évacué cette possibilité, par simple comparaison avec l’avantage d’une remotorisation ; probablement plus important en économie de carburant, mais aussi nettement plus coûteux en investissements.

      Enfin, et l’on retrouve un autre aspect cité plus haut, le principal est probablement la très faible disponibilité des ingénieurs compétents, du fait de leur sollicitation sur plusieurs programmes (A380, A350, A320, A400M, plus la réflexion sur l’opportunité + l’installation de l’usine aux US).


    • Laurent Simon 8 août 2012 18:34

      Oups, une erreur dans mon article : le supplément de rayon d’action n’est pas 2 200 km (ce qui était énorme), mais 400 nautiques, soit environ 740 km, ce qui ne fait que 7,2% (et non 25%). 

      Ce qui explique aussi pourquoi cette information n’a pas fait la une des journaux, même si elle est plus importante qu’il n’y paraît : si l’A330 concurrence, en partie, le 787 plus cher, car faisant appel massif aux composites, et le 777-200, cela ne peut qu’activer la compétition entre les deux avionneurs.

      Et avec le prochain A330-200, la famille A330 couvrira désormais 90% des lignes partant de Heathrow, à comparer aux 39% lors de la mise en service de l’A330-300, il y a 20 ans. (Voir L’A330 vole vers de nouveaux succès)


    • Laurent Simon 1er mai 2013 13:39

      Une précision complémentaire. Depuis la parution de cet article, Airbus a annoncé le 29 novembre 2012 étendre encore la masse maximale, à 242 tonnes, pour les deux types d’A330 à produire à partir de 2015 :
      - A330-200 : rayon d’action étendu à 13 350 km, ou 3,5 tonnes de fret supplémentaires
      - A330-300 : rayon d’action étendu à 11 200 km, ou 5 tonnes de fret supplémentaires.

      Et cela s’est révélé très positif pour Airbus : en 2012, d’après Wikipedia (A330), , Airbus enregistra finalement 61 A300-300 de commandes fermes ainsi qu’un appareil de conversion, soit 62 commandes nettes, alors que son concurrent le B777-200 ne connut aucune commande nette pendant deux ans.
      Réciproquement, l’extension du rayon d’action de l’A330-300 a coupé l’herbe sous le pied de l’A330-200 (version à plus long rayon d’action), don t les commandes fermes n’ont augmenté que de 4 exemplaires en 2012.

      En fait, ces extensions de masse maximale permettent d’exploiter davantage le très grand potentiel de l’A330, un peu bridé pendant 20 ans par la nécessité d’avoir deux avions (A330 et A340) les plus proches possibles à produire (et à entretenir) ; ce qui n’est plus vrai depuis que l’A340 a été retiré du catalogue.
      C’est aussi indirectement une preuve de plus qu’Airbus n’a pas bénéficié d’énormes avantages (par rapport à ses concurrents américains), sous forme d’énormes subventions étatiques : les avances des Etats ne permettaient tout simplement pas de lancer deux avions (différents, bi et quadriréacteurs, apparemment souhaités par deux marchés différents) !
      Et Airbus a contourné cette difficulté grâce à cette astuce (A330-A340 très proches), qui avait des inconvénients, mais dont l’importance diminue donc désormais avec cette augmentation de masse maximale du biréacteur.


  • Laurent Simon 14 juillet 2012 17:43

    Complément à l’article écrit après les chiffres donnés par Boeing (salon de Farnborough) :

    "Boeing a enregistré depuis une semaine des commandes et des engagements d’achat pour 396 avions, a-t-il annoncé jeudi au salon de Farnborough, dont les journées professionnelles s’achèvent. Tous les contrats portent sur des avions moyen-courriers de la famille 737, dont une bonne partie pour des appareils remotorisés 737 MAX.« 

    (si ces chiffres sont véridiques, voir ici »Boeing est vraiment passé maître en communication..." ; ou peut-être ces chiffres sont justes, mais pas ceux AVANT le salon, avec également un doute sur les chiffres APRES salon, qui sont probablement encore une exagération des vrais chiffres ; pourquoi Boeing ne dit - il pas qui a commandé, et si c’est une commande ferme ou un engagement ???)

    Donc de toute façon aucun 787, et aucun 777... au contraire de ce que Boeing réalisait au dernier salon (Dubai). Le seul avionneur à vendre dans ces deux gammes est Airbus, avec des A330 et des A350-1000, ce sont des excellentes nouvelles.

    Et c’est probablement en partie lié à l’annonce d’Airbus en début de salon, au sujet de cette amélioration décisive de l’A330-300 (dans un premier temps) : cela peut avoir suffi à interrompre la signature de contrats de 787 ou de 777, pour vérifier si l’A330 ne serait pas une alternative plus intéressante... et / ou pour négocier un prix plus intéressant pour les avions Boeing...

    Donc, comme indiqué dans l’article, cette proposition est un mouvement stratégique majeur pour Airbus, même si la presse n’a pas relevé ces aspects très positifs pour l’avionneur européen.


  • francoyv francoyv 18 mars 2013 22:23

    Tout cela est bel et bon en effet et merci pour cet article documenté.
    Mais on eût aimé que l’A330 revampé solutionnât au moins une partie des difficultés de pilotage dans des conditions inextricables telles que celles survenues sur le Rio-Paris vol AF 447. Vous n’en dites pas un mot, ce n’est pourtant pas tabou et vous êtes ingénieur. L’avionneur a-t-il au moins fait des propositions au lieu de se reposer sur la responsabilité de ces trois très mauvais pilotes, vieux comme jeunes ?


    • Laurent Simon 1er mai 2013 12:59

      Le vol Rio - Paris AF-447 pose effectivement de nombreuses questions. Le BEA a rendu son rapport, l’enquête judiciaire est en cours.
      Je ne sais pas si Airbus a identifié une façon d’améliorer les choses. Comme dans la plupart des accidents d’avion, il ne semble PAS y avoir UNE SEULE cause, mais une conjonction d’événements.

      Pour autant que je sache, d’après l’analyse des boîtes noires :
      - la défaillance des sondes Pitot a bien joué un rôle, mais elle n’a duré finalement que pêu de temps (une minute ?)
      - du fait de résultats divergents de mesures, le pilote automatique s’est désengagé
      - l’alerte de décrochage (STALL) a bien retenti, très souvent, mais (paradoxalement) il ne semble pas que les pilotes aient vraiment compris ce qu’il se passait
      - en tout cas l’un des pilotes a fait exactement l’inverse de ce qu’il fallait faire, par réflexe : il aurait fallu pousser sur le manche (en piquant du nez, pour reprendre de la vitesse) alors qu’il a tiré fortement, renforçant le problème ; l’autre pilote n’était pas apparemment au courant de cette manoeuvre, et là figure probablement une erreur d’ergonomie.
      - comme l’avion était (très) loin des paramètres normaux, et que certains résultats de mesure étaient non pertinents, les alarmes ont pu donner l’impression aux pilotes qu’ils faisaient ce qu’il fallait.
      En effet, les alarmes avaient cessé (situation tellement aberrante), et quand l’un des pilotes a pu pousser sur le manche (ce qu’il fallait faire), les paramètres du vol redevenaient plus cohérents, l’alarme de décrochage retentissait à nouveau... ce qui laissait penser qu’il fallait tirer sur le manche... C’était donc le contraire de ce qui aurait dû se passer !

      Il est hautement probable que cette situation (aberrante) n’avait jamais été envisagée par les équipes d’Airbus, j’imagine qu’ils sont en train d’essayer de trouver (si ce n’est déjà fait) une réponse appropriée. Mais le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas évident, et il ne faudrait pas apporter une ’solution’ à ce problème (rarissime heureusement) n’apporte plus d’inconvénients, dans les situations plus normales, donc plus fréquentes...

      Pour le reste, il semble bien que les pilotes n’ont pas eu une attitude exemplaire, à commencer par le Commandant de Bord, dès le début du vol :
      - au contraire des autres équipages d’avion dans les parages, il n’a pas cherché à contourner les cumulonimbus, très dangereux, disant même avec force quelque chose comme « ce n’est pas des cumulonimbus qui vont nous dicter notre trajectoire »
      - par suite des règles internationales (temps de travail), ils étaient plus que deux dans le cockpit, et il était normal que le Commandant aille se reposer. Mais il est parti exactement au moment où les difficultés apparaissaient, laissant les autres se débrouiller avec les conséquences de sa décision antérieure.
      - et quand il est revenu, réveillé par les autres, il n’a pas repris les commandes, ce qu’aurait fait (paraît-il) n’importe quel Commandant de Bord ; ce qui lui aurait alors permis d’éviter à l’avion de continuer à lever le nez, et à décrocher (car l’attitude aberrante du pilote qui tirait sur le manche serait apparue nettement).

      il est probable que cet accident jouera un rôle important, proche de ce point de vue de celui, il y a 40 ans, du Vol 401 Eastern Air Lines sur la conception de l’ergonomie du pilotage des avions. Mais les règles qui président à l’ergonomie des Airbus ne sont pas celles des Boeing, avec des avantages (l’amerrissage très réussi de l’A320 (Vol 1549 US Airways), à New York, en 2009, sur le fleuve Hudson, et peut-être des inconvénients.

      Il reste que le transport par avion est de plus en plus sûr, et qu’il est avec le rail le plus sûr des moyens de transport, incomparablement plus sûr que la voiture, ce qui n’empêche pas les conducteurs de prendre leur voiture.


    • Laurent Simon 2 mai 2013 13:21

      Complément à ma réponse récente :
      Parmi les avantages du système d’Airbus, la surveillance (automatique) du domaine de vol, pour éviter différents problèmes, y compris l’erreur de pilotage (ou le suicide d’un pilote).

      Les problèmes évités pourraient inclure le changement brutal de position des charges dans l’avion, qui pourrait avoir été la cause de l’accident récent du 747 cargo en Afghanistan (tous les membres d’équipage morts, soit 7 ou 8 morts).
      voir la vidéo, impressionnante : Vidéo du crash du 747-400 cargo à Bagram et les extraits suivants : « Des témoins affirment que le 747-400 passant 1.200 ft en montée a brutalement cabré avant de décrocher. Il se pourrait que sa charge ait brutalement glissé dans la soute »

      Infos ou hypothèses à confirmer, mais il me semble qu’accuser Airbus pour le vol AF447 est un peu rapide. Voir aussi : « Crash du Rio-Paris : la fatigue des pilotes mise en cause »

      dont l’extrait : « Pourquoi cette fatigue ? Le Figaro avance des explications. Selon le journaliste chargée de l’enquête sur le drame, l’équipage »montre des signes d’épuisement«  dès le matin de la catastrophe. Un des pilotes  »s’est rendu à Rio en compagnie de sa femme«  et »le commandant de bord (...) est également accompagné de sa maîtresse". Selon lui, "on peut penser qu’ils se rendent à Rio dans un esprit plus festif que professionnel, et que ce jour-là, après une nuit trop courte, le commandant de bord n’était pas en état de réaliser ce vol".


    • francoyv francoyv 30 juin 2013 23:09

      Merci pour toutes ces précisions, je les avais déjà lues, ce qui avait donné lieu à mon article

      http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=105747


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