jeudi 16 février 2006 - par L’enfoiré

L’euro comme bouc émissaire

L’euro, ce bouc émissaire bien venu pour voiler la réalité vraie. Le Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (CRIOC) a fait son enquête.

L’euro vient de fêter ses quatre ans, mais plus il grandit, moins les Européens l’aiment. A sa naissance, en 2002, ils étaient 60% à trouver que l’euro, c’était un bon coup. Aujourd’hui, c’est tout juste s’il décroche encore une majorité. Son pire péché serait d’avoir « apparemment » fait flamber les prix. Et même si toutes les mesures de l’inflation prouvent le contraire, plus de 80% des consommateurs en restent convaincus. Le mécontentement est donc partout, dans des proportions différentes et avec une intensité dépendant du pays, pour dire que les prix ont flambé à cause de son utilisation.

Le coût de la vie n’a, en principe et d’après les statistiques, pas été touché, en dehors d’une indexation de 2% par an. Rien donc d’extraordinaire. Pourtant, la perception est toute contraire.
Pour 4/5 d’entre eux, les Belges ressentent le problème de leur pouvoir d’achat qui a diminué.
Mais on n’est pas tous égaux devant la consommation. Le sacro-saint index des revenus relié aux salaires et qui compense la hausse du coût de la vie n’a pas permis de conserver le pouvoir d’achat. Sur dix ans, les prix ont augmenté de 19%, ce qui représente quantitativement jusqu’à 3% de perte et, qualitativement, les habitudes de consommation ont complètement changé. Les employés ont des plans barémiques et de carrière qui ont reçu une augmentation complémentaire. Chez les ouvriers, par contre, cela se négocie. Les fonctionnaires et les allocataires sociaux sont pénalisés, parce qu’ils n’ont pas eu d’augmentation et qu’un indice santé lissé est appliqué. Les revenus d’insertion ne modifient rien si ces consommateurs ne consomment rien parce qu’ils n’ont rien. Leurs dépenses de loisirs sont 14 fois moins importantes que celles des autres catégories.

Pour supprimer le problème des centimes de l’euro, les prix ont souvent été arrondis avant son introduction. Pas de scandale a priori. Mais la valse des étiquettes a bien eu lieu dans les grandes surfaces.

Les augmentations de prix les plus fortes se retrouvent dans les produits pétroliers et leurs dérivés, l’alimentation de consommation courante. Le pain, dont le prix a été libéralisé (31% pour les petits pains), et les pommes de terre (56%) ont explosé. L’offre et la demande avec, en plus, la raréfaction, poussent le poisson vers des sommets.
Les restaurants et les cafés, secteurs sensibles, sont en effet sortis de cette limite de 2% d’augmentation et sont montés à 50% pour la tasse de café.
Les prix des nouvelles technologies, des vêtements, ont baissé ou n’ont pas évolué dans les mêmes proportions. Ce genre d’achat reste marginal, ou non quotidien. Cela fait donc une belle jambe !

Auparavant, il y avait trois catégories de consommateurs, les pauvres achetaient les produits blancs et simplifiés, les moyens se fournissaient dans les marques, et les riches dans les produits haut de gamme. Aujourd’hui, les pauvres restent aux premiers prix, mais les revenus moyens papillonnent en achetant des produits très chers pour les grandes occasions, gardent les marques mais ont ajouté les produits blancs. Les riches, qui ont des actifs financiers en placement, s’en tirent très bien, les autres, qui ont des revenus du travail, descendent d’un cran également. La classe moyenne s’en retrouve donc grignotée. Revanche du pouvoir, qui a dû se plier aux revendications de plus en plus nombreuses des classes inférieures ? A chacun de se poser la question.

L’index, baromètre du coût de la vie, qui régule les rentrées d’argent n’est plus nécessairement fiable. Il a été raboté et ne comprend plus les produits dangereux pour la santé (le tabac, l’alcool et les produits pétroliers). Cependant, ces produits ne reflètent pas nécessairement la consommation réelle. Un compromis entre patrons et syndicats est à la base de cette répartition. La modération salariale est voulue par les sociétés et les gouvernements, par souci du maintien de la compétitivité. Ceux-ci tentent d’éviter une augmentation des salaires pour limiter cet indice qui est déjà une moyenne de moyenne. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante quand les loyers augmentent de 18%, quand ce n’est pas beaucoup plus dans les grandes villes. Ce loyer est aussi dépendant de la proportion que le locataire va devoir accorder à ce poste, lorsqu’on considère que 6% en moyenne doit être destiné à ce poste de frais, parce que les propriétaires de leur bien font baisser la moyenne. Un plan pour le gel de l’augmentation des loyers est en projet, mais il est déjà contesté par l’Office des propriétaires qui rappelle que le blocage précédent en 1985 n’avait pas été couronné de succès, ou que ce serait tout à fait insuffisant si le gel n’était pas accompagné par beaucoup d’autres limitations. Le parti libéral préconise plutôt l’encouragement à l’accès à la propriété. Des déductibilités de prêts hypothécaires, la rénovation taxée à 6%, des mesures contre les immeubles insalubres sont de bonnes initiatives. Encore faut-il avoir un surplus, en fin de mois, pour y consacrer une partie du salaire. Des chèques logements sous forme d’allocations, c’est une proposition honnête, et une autre voie que celle du logement social parfois mal géré.

Une adaptation dans la composition de l’index est néanmoins nécessaire de manière régulière tous les 2 ou 3 ans, pour coller au mieux à la réalité. Les revenus d’un ménage défavorisé avec enfants, c’est environ 1000 euros. Le blocage des prix a fonctionné dans le passé, parfois vaille que vaille. Mais quand les prix sont libérés, il faut une meilleure intégration dans l’indice des prix. Dans le cas contraire, les moins bien lotis se surendettent de plus en plus. Plus grave, ils ne peuvent plus choisir ce qu’ils consomment, et tous les produits simplifiés ne sont pas nécessairement bons pour la santé.

En fonction de cette enquête, la méfiance vis-à-vis de l’euro et son rejet devraient donc provenir d’ailleurs.
La mauvaise humeur de la population contre l’euro n’a-t-elle pas été volontairement fomentée pour cacher cette vérité, bien moins hypothétique ?

"Faut-il brûler l’euro ?", titrait une émission de la RTBF, dans l’émission "Question à la Une".

Londres pousse un soupir de soulagement, d’être restée accrochée à sa livre, et dénonce une mauvaise gestion de l’euro.
En France, 95% de la population se sent plus pauvre qu’avant l’euro. Elle n’a jamais connu auparavant une période ininterrompue de chômage important.
L’Italie serait prête, s’il était possible, à repasser à la « bonne vieille lire », dont elle savait auparavant utiliser les leviers si besoin, facilité précieuse, qui avec l’euro, a été perdue. Elle a ressenti un désastre dans le pouvoir d’achat des classes inférieures, et proteste contre cette vie chère inhabituelle, non compensée par des salaires ajustés. Ceux-ci ont été quasiment bloqués depuis plusieurs années.

L’insatisfaction est donc générale. L’euro est devenu le bouc émissaire de leur mécontentement.
Mais l’euro, qu’on le veuille ou non, c’est la réussite la plus éclatante de l’Union depuis dix ans. Dans l’opinion publique, il n’échappe pourtant pas au marasme qui frappe l’Europe. Et ce n’est qu’à moitié paradoxal.
Parce que la réalité n’est pas vraiment drôle. Ce n’est qu’une coïncidence, mais au moment même où l’euro résonnait dans nos poches, la croissance économique était frappée de paralysie. Et depuis, le chômage flirte obstinément avec des sommets. On rêvait d’une monnaie européenne pour ne plus dépendre des soubresauts du dollar. Or, si l’euro est cher, c’est uniquement parce que le dollar est faible. Et pendant que l’euro cher handicape nos entreprises à l’exportation, les patrons américains, eux, peuvent compter sur ce dollar faible pour doper leurs ventes à l’étranger.
Les Etats-Unis ont toujours su jouer de leur monnaie pour servir leur croissance. L’Europe en est incapable. "La faute à la banque européenne", diront certains. Mais c’est plutôt de la faute de l’Europe, et de ceux qui la gouvernent. Ils ont eu la drôle d’idée de confier le gouvernail aux banquiers centraux, en les priant de lutter contre l’inflation.
Comme si on pouvait gérer la monnaie européenne sans se préoccuper de l’état de l’Union. Aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, le pilotage de la monnaie se fait en coopération entre la banque centrale et le gouvernement. En Europe, la banque centrale indépendante n’a pas d’interlocuteur. L’Europe est une sorte de club qui surveille, analyse, recommande, mais ne décide pas. Il y a dix ans, les plus optimistes prédisaient que l’Europe monétaire entraînerait forcément l’Europe politique. C’est tout le contraire qui se présente à l’arrivée. De ce fait, l’euro n’a pas empêché la montée de l’euroscepticisme. A en croire les sondages, il serait même dans le coup.
L’Europe navigue dans le brouillard, et sa cause est en recul. Comment vendre encore cette idée européenne ?
L’Europe politique est en panne, et les prix qui ont augmenté ne tiennent pas la route de la concurrence des Chinois. Barroso propose d’améliorer l’éducation civique, "pour aider les personnes de tout âge" à utiliser des outils tel qu’Internet, et ainsi leur donner accès au débat européen. La Commission suggère également la création d’une Charte de l’information et de la communication, pour redorer le blason de l’UE. Le social, dans tout cela, est passé au bleu. La directive Bolkestein est de retour, avec les ongles un peu limés mais toujours dans toute sa "splendeur" et son "innocence fictive". Ce 16 février 2006, un vote à la Commission décidera de son sort, mais, indépendamment du résultat, il laissera des traces.

L’Europe a intégré l’euro dans l’unification, mais pas la politique qui aurait dû l’accompagner. Elle n’est pas fédérale. Son budget, vingt fois moindre que celui des Etats-Unis, est bien maigre pour donner le punch décisif à l’économie. La Banque centrale, indépendante, gère les biens de tous les pays assujettis, et agit souvent de manière incompréhensible à première vue. Des taux d’intérêts en hausse ne peuvent pas contrecarrer les 10% de chômage en moyenne. Voilà le problème : une politique économique qui va à contre-courant de la politique financière. Moins de pouvoir d’achat veut dire moins de consommation. Moins de consommation : pas de relance de l’économie. Une diminution drastique des impôts pour espérer un meilleur niveau de vie ne peut s’envisager tant que la dette publique restera importante.

En attendant, le Belge épargne, et un Belge sur trois déclare plus de 50 000 euros en dehors des actifs immobiliers. Sans qu’il le sache, le Belge est devenu l’épargnant le plus riche d’Europe. La belle tenue de la Bourse de Bruxelles et le système de sécurité sociale ne sont pas étrangers et apportent une partie d’explication. Mais dans le même temps, parmi les autres concitoyens, on compte 15% de pauvres, coïncidence, juste le même pourcentage que pour ceux qui ne parviennent pas à épargner.

Le plan Marshall, - après un autre qui "marche mal" -, supposé redonner du tonus à la Wallonie pourra-t-il corriger la situation ? Un milliard d’euros prévu. Créer des pôles de compétitivité, stimuler la création d’activités en allégeant la fiscalité des entreprises par des incitants pour attirer les investisseurs privés, doper la recherche et susciter des compétences pour l’emploi. Pour créer de l’emploi, tous ces points seront les priorités. Le pouvoir est à l’imagination, mais, de toute manière, il faudra "aller au charbon", et ça, ça connaît la Wallonie.

Les intérêts notionnels devraient attirer les investisseurs d’après la bonne prestation de vendeur du Premier ministre belge aux Etats-Unis et la visite d’Etat, non moins influente, du Roi Albert II en Chine.

Le coeur de l’Europe, comme certains appellent notre petit pays, va-t-il battre plus fort ?
On ne demande qu’à voir, et on rêve.

"Quand on aime, on ne compte pas. Quand on n’aime pas, on compte. Et quand on n’aime pas compter, on fait quoi ?", Philippe Geluck



6 réactions


  • Cergy - Osny 2008 (---.---.234.70) 16 février 2006 19:00

    Par Yvon Collin S ?teur PRG de Tarn-et-Garonne Membre de la d ?gation du S ?t pour la Planification Pendant que les parlementaires adoptaient le projet de loi de finances pour 2006 avec un d ?cit de 46,947 milliards d’euros, la Mission p ...


  • Franck (---.---.14.57) 16 février 2006 20:21

    Bonsoir J’ai de plus en plus le sentiment que nous nous sommes fait manipulés dans les grandes largeurs,l’europe qui devait nous apporter un certain bien-être,une sécurité pour l’emploi etc...actuellement c’est tout le contraire.Dès la création de l’europe,l’objectif était de faire une europe avec une économie libérale,pourquoi Bruxelles n’aide t-il pas financiérement les pays de l’est à obtenir un niveau de vie plus ou moins égal aux autres pays afin d’éviter ce décalage au niveau des salaire ? ,pourquoi la fameuse directive Bolkestein n’est t-elle pas purement et simplement rejeté ,Pourquoi le monde est-il divisé en 4 grands blocs économique:l’europe(UE),l’amérique du nord (EUA),l’amerique du sud(ALCA) et l’asie Il ne faut pas oublier non plus qu’en France et certainement dans les autres pays il y a deux pouvoirs,celui du patronnat et celui du gouvernement qui ne sais plus quoi faire pour l’emploi et sert tout juste de garde-fou (rmi...etc..) Ces toutes ses questions et interrogations qui me font dire que la belle idée de départ se retourne contre nous.Bruxelles veut établir petit à petit une économie libérale pure et dure. Franck


  • www.jean-brice.fr (---.---.172.167) 17 février 2006 09:15

    Dans la création de l’Euro, il y a deux erreurs de base qui rendent son avenir incertain : 1) au lieu d’une monnaie unique, il aurait fallu faire une monnaie COMMUNE, quitte à la trans- former en monnaie unique ultérieurement. 2)Cette monnaie commune devrait avoir une CONTRE-PARTIE : quelle meilleure contre- partie que l’OR. N’en déplaise aux anglo- saxons et à tous les faux monneyeurs que sont les banques centrales...


    • L'enfoiré L’enfoiré 17 février 2006 11:20

      Bonjour, Merci, pour votre commentaire que j’aime bien dans son concept idéologique. Bien sûr, il faut quelque chose de « commun » comme monnaie d’échange pour ouvrir un commerce dont les valeurs sont reconnues des deux côtés d’une barrière artificielle ou non. La fluctuation de cette valeur dans le temps est la pire des situations pour envisager le futur dans la sérénité. Si je me rappelle bien, c’est en 1974 que Nixon a décidé de rendre le dollar flottant. La valeur refuge de celui-ci en a tout à coup pris un fameux coup. Sur quoi se réfugier, ce fameux dollar est resté le cas dans la pratique. L’or, dont vous parlé, aurait pu servir mais il est obsolète et trop dépendant physiquement de l’endroit où on l’extrait : c’est-à-dire, malheureusement dans des endroits où on se sentirait exclu « naturellement » et anormalement en fonction du pouvoir dont on dispose. L’Euro a une valeur de contre poids au dollar. C’est « sa » raison d’être. Commune ou unique, c’est variable dans le temps de toute manière en pratique. La véritable valeur refuge est le PIB et son cortège de chiffres que l’on « trafique », je suppose, si besoin est. Non, vraiment ce n’est pas vraiment pas simple d’avoir son poids étalon dans notre civilisation moderne !


  • www.jean-brice.fr (---.---.154.40) 14 mars 2006 09:14

    C’est vous qui êtes idéologique, car l’Euro est actuellement une monnaie sans contre-partie à la remorque de l’étalon/dollar : on le voit tous les jours dans les cours du pétrole qui, pour le moment, se font en dollar... Une monnaie sans contrepartie est une monnaie de singe, d’où les chocs pétroliers. Pour en savoir plus, questionner Paul FABRA des Echos qui est un des meilleurs spécialistes de la question.


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