mardi 30 mars 2010 - par Jacques

L’Europe des industriels n’est pas en panne

Dans un article paru le 24 mars, le Corporate Europe Observatory (CEO) [1] examine la proposition de nouvelle stratégie décennale de l’Union européenne, présentée aux chefs d’Etat et de gouvernement lors du sommet européen du 25 et 26 mars 2010.

Le verdict est sans appel : La Commission remet une fois de plus une copie sur mesure pour les grands groupes européens. Le message est clair, et pourrait se résumer ainsi : « big business as usual ». La stratégie Europe 2020 reprend en effet les grandes lignes de la « Vision 2025 » de la Table Ronde des Industriels européens (la douce invention du Vicomte Davignon) [2]. Les Dessous de Bruxelles reviennent sur cette stratégie qui promet des lendemains qui chantent.

Vous avez aimé la Stratégie de Lisbonne, et son ambition de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde d’ici à 2010 », qui impliquait notamment de « réduire le pouvoir de l’Etat et du secteur public en général à travers la privatisation et la dérégulation [1] » ?

Vous apprécierez sans aucun doute la nouvelle partition de l’Union européenne, inspirée par la Table Ronde des Industriels (ERT) : la stratégie « Europe 2020 », présentée par la Commission Barroso aux chefs d’Etat et de gouvernement lors du sommet européen du 25 et 26 mars 2010.

La Commission n’avait pas ménagé ses effets pour donner un lustre démocratique à sa nouvelle stratégie décennale, en organisant une « consultation » ouverte à la société civile européenne. Les « parties prenantes » se voyaient accorder quelques semaines, fin 2009, pour se prononcer sur le programme à venir pour les dix prochaines années.

D’après le compte-rendu de la Commission « les parties prenantes à vocation sociale sont dans une large mesure en accord avec les priorités identifiées ». Une interprétation... légèrement fantaisiste, qui a entraîné une avalanche de protestations de la part des nombreuses organisations qui avaient profité de la consultation pour faire part de leurs critiques sur le contenu social de la stratégie [2].

Même la Confédération Européenne des Syndicats, qui n’est pas vraiment réputée pour sa critique radicale des politiques européennes, semble perdre patience. Ainsi John Monks, le secrétaire général de la CES, est franchement colère : « Cet exercice 2020 est décevant, il n’est pas à la hauteur. Il est urgent que l’UE et le monde comprennent ce qui a causé la crise afin d’éviter que l’histoire ne se répète. [3] »

Il énumère les questions qui ne sont pas abordées par la nouvelle stratégie de la Commission : « comment enrayer le chômage des jeunes ; comment mettre en place une fiscalité qui déjoue les tendances court-termistes des marchés et de la spéculation au bénéfice du long-terme et de l’économie réelle ; comment dégager des financements publics, via une taxe sur les transactions financières, ou les Eurobonds ». Avant d’ajouter : « La Commission ne peut pas se contenter de jouer ”business as usual” en prolongeant la stratégie de Lisbonne. »

Le contenu de la nouvelle stratégie est un trésor d’euphémisme. Il s’agit de mettre en place une « société intelligente », de chercher la « croissance verte » et déployer une « régulation intelligente », qui ne manquera pas d’être « respectueuse des affaires » (« business friendly »).
Mais derrière ce vernis qui porte la marque des meilleures manufactures de relations publiques européennes, les propositions collent parfaitement avec les demandes de la Table Ronde des Industriels européens, rassemblées dans le rapport « Vision 2025 », comme le montre le CEO :

La Commission et l’ERT misent sur la « croissance intelligente et verte ». On ne parle plus de recherche, mais d’« innovation », qui a l’avantage de fleurer bon les euros - la « recherche » étant peut-être un terme sonnant un peu trop vieille école (surtout quand on lui adjoint l’adjectif « public »). Concrètement, il s’agit de « réduire le fossé entre marché et science », « des liens renforcés entre secteur public et privé dans l’éducation ».

D’une manière générale, pour approfondir (encore) le marché intérieur, Europe 2020 invite les gouvernements à favoriser les partenariats publics privés pour la gestion des services publics, et les fusions entre les entreprises publiques et privées.

Lutter contre l’effet de serre, c’est bien, mais faire rentrer des euros, c’est mieux. La Commission prend clairement position contre une régulation contraignante des industries polluantes en expliquant que le développement des technologies vertes (qui pourront être facilement refourguées aux pays en développement dans les prochaines années) devrait suffire pour faire face aux enjeux climatiques.

La Commission et l’ERT souhaitent voir les Etats membres se lancer dans la lutte contre la pauvreté, en déclarant la guerre aux protections des salariés « privilégiés » (qui « rigidifient » le marché de l’emploi) afin de permettre à ceux qui sont au chômage d’avoir accès à un emploi (sous-entendu, sous-payé et surexploité… mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un job).

Un programme qui répond au doux nom de « flexicurité », qui devrait s’accompagner de réformes des systèmes de sécurité sociale, pour une meilleure balance entre « cohésion » et « soutenabilité financière ». L’objectif : la « responsabilité de chacun sur les coûts de la santé ».

Les deux compères montrent combien ils ont tiré les enseignements de la crise, en reconduisant presque à l’identique une stratégie qui plaçait la croissance compétitivité comme leitmotiv de l’action publique européenne. Et visait à réduire à tout prix les moyens d’action du secteur public. Ainsi, le pacte de stabilité sort renforcée du sommet du 25 mars. La Commission et l’ERT appellent à trouver des moyens de faire respecter de manière contraignante les objectifs de déficit et de dettes publiques, en expliquant par ailleurs que « la fiscalité doit rester favorable à la croissance » (« growth friendly »).

Le souhait de la Commission de se voir accorder des pouvoirs supplémentaires en matière de contrôle des Etats membres est soutenu par les grands groupes industriels. Au terme du sommet, elle n’a pas trouvé entière satisfaction, puisque c’est au Conseil européen qu’il reviendra d’évaluer les progrès des Etats européens (notamment en termes de rigueur budgétaires) et de taper sur les doigts des mauvais élèves.

Au terme de son article, le CEO semble lancer un appel à l’aide : « Le processus et le résultat de la discussion sur la stratégie 2020 devrait montrer la nécessité d’un réveil d’un large éventail d’organisations de la société civile, syndicats, organisations environnementales, mouvements civiques de toutes sortes afin d’être mieux à même de contrer cette stratégie, et mettre un terme à l’arrogance et l’impunité avec lesquels les grands groupes arrivent à dicter les stratégies de l’UE. »

Et de conclure : « Cela prendra plus qu’une consultation de la Commission. Le travail à réaliser consiste à pousser le débat et le combat dans l’arène publique européenne. »

Chiche ?
 


3 réactions


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 30 mars 2010 12:25

    Bonjour,

    " Le souhait de la Commission de se voir accorder des pouvoirs supplémentaires en matière de contrôle des Etats membres est soutenu par les grands groupes industriels. " Si je puis me permettre, si les grands groupes industriels, doués d’un pouvoir reconnu, voulaient bien faire abstraction de leurs bénéfices, ils pourraient de ce fait combler les intérêts sure la dette des États qui leur font réciproquement don de leurs charges et impôts. 

    .« Le processus et le résultat de la discussion sur la stratégie 2020 devrait montrer la nécessité d’un réveil d’un large éventail d’organisations de la société civile, syndicats, organisations environnementales, mouvements civiques de toutes sortes afin d’être mieux à même de contrer cette stratégie ( et associations ), et mettre un terme à l’arrogance et l’impunité avec lesquels les grands groupes arrivent à dicter les stratégies de l’UE. » Ce qui est curieux dans ce bras de fer entre les États et les grands groupes est que les uns et les autres, c’est nous !


  • Daniel Roux Daniel Roux 30 mars 2010 15:10

    L’auteur révèle les dernières manoeuvres des multinationales contre les peuples. Elles jouent leur jeu et dans une démocratie, des débats contradictoires suivi d’un vote des représentants élus devraient aboutir à des décisions équilibrées. « Devraient » si l’Union Européenne n’était pas fondée sur le mensonge et l’illusion démocratique.

    Mensonges des fondateurs historiques rétribués par les USA (sources déclassifiées CIA), mensonges sur les buts poursuivis (fusion à terme avec les USA), même s’ils sont utopiques, mensonges sur le Traité de Maestrich, sur celui de Lisbonne. Mensonges sur le traité européen ratifié par les Versaillais au pouvoir, contre la volonté du peuple exprimé en dernier recours par le référendum sur la question.

    Ce dernier forfait dissipe l’illusion démocratique maintenue vaille que vaille par les médias sous contrôle, tant en ce qui concerne l’Union Européenne que la France.

    Nous avons été grugés. L’oligarchie a confisqué tous les pouvoirs. Ne reste que le droit de vote. Mais pour combien de temps encore, puisqu’on parle beaucoup de machine à voter ?

    Ne votez plus pour vos ennemis.


    • Jacques Jacques 31 mars 2010 00:52

      Permettez-moi d’en rajouter une couche sur le sujet de la démocratie. Quelques citations choisies :

      « L’œuvre accomplie fut celle d’une minorité sachant ce qu’elle voulait »
      Paul-Henri Spaak, 1969, « père de l’Europe »

      « Il y a des limites désirables à l’extension de la démocratie politique. »
      Rapport de la Commission trilatérale, 1975

      « Quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire »
      David Rockefeller, 1999 (dans Newsweek international)

      « Le problème, c’est que, dans leur pays d’origine, les politiciens doivent obtenir des voix. Tandis qu’au sein de l’Union européenne ils peuvent avoir une vision d’ensemble »
      Caroline Walcot, secrétaire générale adjointe de l’ERT

      « Est-ce qu’il faut pas violer des fois les peuples un tout petit peu pour leur bien ? »
      Sylvie Pierre-Brossolette, 2008, journaliste sur France Info

      Celle-là, je l’aime bien parce qu’elle reste d’actualité, spéciale dédicace aux copains ouiouistes :

      « La fédération des peuples d’Europe, l’abandon des souverainetés nationales était jusqu’à maintenant le rêve le plus hardi des hommes de gauche […] Aujourd’hui, les Etats-Unis d’Europe ont pour eux toute la réaction. »
      Jean-Marie Domenach, 1948, écrivain

      « La démocratie ne peut abdiquer entre les mains de quelques personnes censées compétentes, et dont les décisions peuvent comporter des conséquences sortant du cadre de leurs attribution et débordant largement sur le plan politique »
      Clement Attlee, 1950, premier ministre anglais

      « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes. Soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique. Au nom d’une économie saine, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une ‘politique’, au sens le plus large du mot, nationale et internationale »
      Pierre Mendès France, 1957

      Les citations et l’article sont tirés des Dessous de Bruxelles, le site préféré de Jacques Delors et Joao Durao Barroso. N’hésitez pas à y aller faire la promenade !

      http://dessousdebruxelles.ellynn.fr

      PS : si vous avez en stocks des citations délicieuses et/ou des articles :
      dessousdebruxelles arobase laposte.net


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