samedi 6 janvier 2018 - par Alain-Patrick Umucyo

L’identification juridique des lobbyistes-experts par la Commission européenne

Dans son règlement intérieur, la Commission assied la licéité du lien d’expertise établi par les lobbyistes avec la sphère publique en tant qu’espace de décision (I). Elle aménage cette licéité dans sa décision sur les groupes d’experts (II).

 

I/ La licéité implicite de l’influence des lobbyistes-experts dans le règlement intérieur de la Commission

 

L’article 249 TFUE prévoit que «  la Commission fixe son règlement intérieur en vue d'assurer son fonctionnement et celui de ses services. »1 Au règlement intérieur de la Commission est annexé le Code de bonne conduite administrative pour le personnel de la Commission européenne dans ses relations avec le public.2 Celui-ci précise en particulier que la conduite du personnel de la Commission européenne « n'est en aucun cas guidée par des intérêts personnels ou nationaux ni par des pressions politiques. »3

Le règlement intérieur de la Commission proscrit explicitement les pressions politiques. En revanche, il demeure silencieux quant aux relations fondées sur l’expertise. Ces relations bénéficient donc au moins d’une licéité implicite. La Commission européenne a essentiellement organisé cette licéité dans sa décision établissant des règles horizontales relatives à la création et au fonctionnement des groupes d’experts de la Commission (décision sur les groupes d’experts).4

 

 

II/ L’aménagement officiel de la licéité de l’expertise des lobbyistes dans la décision sur les groupes d’experts

 

La décision « établit les règles horizontales relatives à la création et au fonctionnement des groupes d’experts de la Commission et de leurs sous-groupes, ainsi que des entités similaires et de leurs sous-groupes, sans préjudice des dispositions figurant dans les actes législatifs portant création des entités en question. »5 Elle a donc une portée générale, à même de compléter les règles particulières établies par le législateur de l’Union. En conséquence, ses dispositions précisent la concession implicite du règlement intérieur relativement aux relations entre les lobbyistes et le personnel de l’institution fondées sur l’expertise des lobbyistes.

L’article 7 de la décision indique que « les groupes d’experts peuvent se composer de membres des types suivants :

[…]

b) les personnes nommées pour représenter un intérêt commun partagé par des parties prenantes dans un domaine d’action particulier, qui ne représentent pas une partie prenante en particulier, mais une orientation stratégique commune à plusieurs organisations de parties prenantes(‘‘membres de type B’’). Le cas échéant, ces personnes physiques peuvent être nommées sur la base de propositions formulées par les parties prenantes concernées ;

c) des organisations au sens large du terme, notamment des entreprises, des associations, des organisations non gouvernementales, des syndicats, des universités, des instituts de recherche, des cabinets d’avocats et des cabinets de consultants (‘‘membres de type C’’) ;

[...] »6

Au sein des groupes d’experts, les membres de type B et les membres de type C sont des intermédiaires entre un ou plusieurs intérêts particuliers et la sphère publique en tant qu’espace de décision, en l’espèce la Commission. Ce sont des lobbyistes à part entière. L’article 8 de la décision sur les groupes d’experts prévoit d’ailleurs que « les membres de type B et de type C ne sont nommés que s’ils sont inscrits dans le registre de transparence. »7 Il dispose en sus :

« Lorsque des membres de type B ou de type C sont suspendus ou radiés du registre de transparence, les services compétents de la Commission suspendent leur participation au(x) groupe(s) d’experts dont ils sont membres tant qu’ils ne sont pas réintégrés au registre de transparence. Pendant la durée de leur suspension ou de leur radiation, ces membres ne sont convoqués à aucune réunion du groupe et ne reçoivent aucun document. Les services de la Commission excluent d’un groupe les membres qui, à l’issue d’une période de six mois à partir de leur suspension ou de leur radiation du registre de transparence, n’ont pas été réintégrés à celui-ci. »8

 

 

Article extrait de L'officialisation des corps professionnels et la reconnaissance juridique des lobbyistes en Union européenne

 

 

1TFUE, art. 249, 1

JOUE C 202, 07 juin 2016, p. 157, <http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2016:202:FULL&from=FR> consulté le 03 août 2017

2Règlement intérieur de la Commission C(2000) 3614

Journal officiel des Communautés européennes L 308, 08 déc. 2000, p. 26, <http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=uriserv%3AOJ.L_.2000.308.01.0026.01.ENG> consulté le 03 août 2016

3Règlement intérieur de la Commission C(2000) 3614, CODE DE BONNE CONDUITE ADMINISTRATIVE POUR LE PERSONNEL DE LA COMMISSION EUROPÉENNE dans ses relations avec le public, 2

Journal officiel des Communautés européennes L 308, 08 déc. 2000, p. 26, <http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=uriserv%3AOJ.L_.2000.308.01.0026.01.ENG> consulté le 03 août 2016

4Décision C(2016) 3301 final de la Commission, 30 mai 2016, établissant des règles horizontales relatives à la création et au fonctionnement des groupes d’experts de la Commission <http://ec.europa.eu/transparency/regexpert/PDF/C_2016_3301_F1_COMMISSION_DECISION_PLUS_ANNEXES_FR.pdf> consulté le 04 août 2017



4 réactions


  • sirocco sirocco 6 janvier 2018 15:03

    Même les plus sordides magouilles du fonctionnement de la Commission européenne sont prévues dans les textes de son règlement intérieur ! C’est de la crapulerie institutionnalisée ! Dire que c’est ça qui nous gouverne !...

     
    Au point où nous en sommes, en fouillant plus soigneusement ces « articles » fondateurs, n’y trouverait-on pas « l’identification juridique » des établissements bancaires dans lesquels les membres de la Commission européenne (et nombre de députés européens qui les soutiennent systématiquement) sont habilités à détenir un ou plusieurs comptes anonymes sur lesquels les « experts lobbyistes » sont habilités, de leur côté, à effectuer des versements ?...


  • Jean-Marc B 6 janvier 2018 17:09

     Bonjour Alain-Patrick Umucyo

    Je vous remercie de bien vouloir dénoncer les problèmes posés par les lobbyistes dans les sociétés d’aujourd’hui. Vos analyses et vos articles sont très bien construits. Je vous encourage à poursuivre votre action. Vous portez la plume dans la plaie de ce que l’on ose encore nommer (à tort à mon avis) la démocratie.
    L’ influence des lobbyistes est grande sur ceux qui sont sensés nous représenter. Les élus qui ne dénoncent pas fortement le lobbyisme doivent immanquablement être soupçonnés de corruption.
    Car les sommes engagées par les lobbies sont colossales et une bonne partie finit certainement dans les poches de ceux qui acceptent de monnayer leurs voix. Ainsi on fait fi de la démocratie et des droits de hommes de nos nations.
    Les visiteurs de notre président , peu recommandables comme Erdogan ont beau jeu de déjouer les accusations pour atteintes à la démocratie et aux droits de l’homme dans leurs pays ... puisque c’est aussi le cas chez nous.

    Je souhaite soumettre à votre réflexion cette analyse que j’ai entendue sur une chaîne de télévision.

    L’hypothèse est la suivante. La politique agricole de l’Europe (comme d’autres choix politiques) est indirectement conduite par des groupes d’intérêts privés, et ici par ceux de l’industrie laitière.
    Démonstration. Le patron de Lactalis est aussi le président de cette association d’industriels revendeurs de lait et de produits lactés. Le scandale Lactalis dû à la présence de salmonelles dans les boîtes de laits en poudre conduit à retirer de marché des produits écoulés en France mais aussi en Chine et dans de nombreux pays africains. Pour que ces pays soient accessibles aux industries européennes, il faut que les prix soient très très bas. Mais la quantité fantastique de produits écoulés suffit à satisfaire largement les bénéfices attendus par les industriels comme Lactalis. Ce qui est désolant c’est que les agriculteurs français se demandent encore pourquoi on leur achète aussi peu cher le lait qu’ils produisent.... pourquoi il peut y avoir pénurie de beurre et pourquoi les élus ont accepté ces faits sans broncher.
    Conclusion. Les groupes industriels ont joué de leur pouvoir de corruption auprès des élus et décideurs de l’Europe à leur seul profit , au détriment des intérêts généraux des peuples de l’Europe.
     Non ?

    Lors de négociations récentes on a réuni producteurs de lait , syndicats, et représentants de la grande distribution en France . En cause , un prix d’achat du lait insuffisant qui ne peut assurer la viabilité du travail des agriculteurs et la perennité de leurs exploitations. On a tenté (en vain) d’accuser la grande distribution et de lui faire porter la totalité des responsabilités. Rien n’a été dit publiquement sur le commerce à l’export des groupes industriels laitiers .... Fiasco de la négociation évidemment.


  • Jean-Marc B 7 janvier 2018 14:23

    C’est curieux j’avais pensé qu’un tel sujet intéresserait davantage de lecteurs d’Agoravox.
    Il s’agit pourtant d’un élément crucial.


  • zygzornifle zygzornifle 7 janvier 2018 14:34

    Tant que les députés se battront pour leur lécher le cul espérant une bonne enveloppe ça continuera longtemps .... ils sont macron compatibles tous ces lobbys.....


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