vendredi 9 octobre 2009 - par A. Spohr

L’Irlande : No/Yes. Comment ?

L’Irlande va-t-elle finir par nous habituer à la douche écossaise ?

Depuis son entrée dans la CEE en 1973, après une période de franche adhésion économiquement très fructueuse, elle a débuté le millénaire par une valse-hésitation peu celtique.

 Elle vient de dire un oui franc et massif à un même texte, absolument identique, rejeté largement il y a moins de seize mois, avec un taux de participation enviable par ses partenaires.

Et les gouvernements européens de se féliciter de ce revirement tant attendu. Comment en si peu de temps tant d’électeurs ont-ils radicalement changé d’avis ? Par une adhésion sincère et éclairée ? Par une série de compromis ou d’opt-outs (abandons de certains points) ou encore en raison de la crise qui, après une extraordinaire période de croissance, a frappé très durement le pays ? Ou encore le repentir ou un souffle nouveau ?

Un parcours européen sinusoïdal et zigzaguant.

Référendums irlandais sur l’Europe, 1972-2002

Date 

Traité

Résultat 

% suffrages exprimés

Participation

Oui 

(% inscrits)

Non 

(% inscrits)

10mai 1972

Rome

Oui : 83,1

70,9

58,9

11,9

26mai 1987

Acte unique européen

Oui : 69,9

44,1

30,8

13,2

18juin 1992

Maastricht

Oui : 69,1

57,3

39,6

17,7

22mai 1998

Amsterdam

Oui : 61,7

56,2

34,7

21,5

7juin 2001

Nice

Non : 53,9

34,8

15,9

18,6

19octobre 2002

Nice

Oui : 62,9

49,5

31,1

18,4

Source : Irish Times et Radio Telefis Éireann (RTÉ)

 

La possibilité d’adhésion au marché commun avait déjà nécessité une réforme constitutionnelle par un referendum préliminaire, réforme qui fut acceptée de bonne grâce comme le fut, par la même voie, l’entrée dans l’Europe des 9. S’en suit un taux de croissance extraordinaire, bien qu’en dents de scie, qui atteint en 1997 11,68 %. Des économistes parlent alors de tigre celtique ou de modèle d’intégration, de premier de la classe etc. Tout naturellement, l’Irlande appose sa signature au traité de Maastricht qui instaure l’Union Européenne. Tout va pour le mieux jusqu’au traité de Nice, rejeté dans un premier temps et adopté seize mois plus tard. Miracle en cette terre très catholique ? En tout cas, surtout un gros effort d’information en 2002 qui a fait place à une nonchalance peu mobilisatrice. Ce sont en effet les abstentionnistes de 2001 qui ont permis ce score, les nonistes étant restés au même niveau.

Et « bis repetita placent » : c’est « NO » au traité de Lisbonne en juin 2008 par 53% des voix. Nonchalance encore ou désinformation ? Une explication peut-être un peu hâtive et partielle, mais qui trouve son illustration dans l’aveu consternant du Premier Ministre, Brian Cowen, nommé en mai 2001, confiant « qu’il n’a pas lu le texte du traité ». Il s’est largement rattrapé ce mois-ci ( seize mois après la première présentation) en menant une campagne acharnée pour le « YES » qui l’emporte comme on sait, avec 67%.

L’explication ici est plus subtile et mérite une réflexion élargie à l’ensemble de l’UE.

D’accord mais des exceptions... Un danger de contagion.

Quel esprit (saint) a soufflé sur les pieux Irlandais et même les autres ?

Commentant ici (sur Agoravox) le résultat du premier essai non transformé par les « Verts irlandais », j’osais fustiger l’irresponsabilité des peuples, précisément en raison de la nonchalance coupable avec laquelle le projet avait été présenté et perçu, plaidant une fois encore pour une démocratie éclairée.

Et la lumière fut ? Oui, car les Irlandais eurent droit à des clarifications rassurantes : l’IVG (protection du droit à la vie !) resterait bien sûr une question relevant de la souveraineté nationale comme la fiscalité et le droit des travailleurs ou encore l ’éducation ; bien sûr la sacro-sainte neutralité (donc pas question de participer à une éventuelle Défense Européenne) serait réaffirmée. Ajoutons à cela l’assurance qu’en tout état de cause, l’Irlande conserverait un commissaire européen et que ces garanties font partie d’un texte enregistré aux Nations Unies, comme un traité entre les 27 en quelque sorte. 

Ces dispositions pourront à terme constituer un protocole annexé aux traités européens (il y a des précédents danois, britanniques et autres). En clair, il semble bien qu’une perception nationale et pourquoi pas bientôt régionale de la construction européenne puisse apporter encore de la diversité, tant louée, dans un ensemble déjà hétéroclite et branlant. Chacun son truc, je veux dire Son UE.

Mais, comme le pensent les « fonctionnalistes », partisans d’une avancée au coup par coup, c’est un pas en avant, en attendant la signature d’un président tchèque quelque peu curieux et entêté.

Cette fois, ce ne sont pas les moins de 1% de citoyens de l’UE (les Irlandais) qui bloquent, mais un seul homme, Vaclav Klaus, qui de plus nie le réchauffement climatique dans un livre traduit en 18 langues. Et il sera à Copenhague !

Enfin, bien qu’aux yeux de certains, cela n’ait pas grande importance, le statu quo ante comportant déjà certaines dispositions comparables, la course à la présidence de l’UE est ouverte. Que pourrait-on bien négocier au sommet ?

A quel prix les Irlandais soutiendraient-ils Tony Blair plutôt qu’un quelconque Luxembourgeois ou Finlandais ou même Mary Robinson, leur ex-présidente. Et pour le Haut Représentant (alias le ministre des Affaires Etrangères) quel prix, quel échange ?

Et les « Eurocitoyens » dans tout cela ? Lisbonne, s’en souviendront-ils ? Oui, du tremblement de terre, mais il y a bien longtemps (1755). Mais, pour ce qui est du traité, pas grand chose.

Sans doute y aura-t-il encore d’autres traités, avec de multiples exceptions ou de opt-outs à l’Irlandaise. On est loin de l’esprit communautaire des pères fondateurs. Alors on s’autorise à penser, discrètement libre, à un noyau dur qui tirerait le char et abandonnerait des poids trop lourds. Ce délestage ne serait pas irrémédiable.

Ah si les Irlandais avaient dit non ! Il aurait bien fallu envisager une solution pour ceux qui y tiennent à cette construction européenne. Certains chefs d’Etat y étaient prêts, semble-t-il.

Paradoxe qu’autorise l’hétérogénéité toujours plus troublante de l’UE et la mise à mal de la Solidarité sans laquelle rien d’efficace et durable ne se fera.

Antoine Spohr.



3 réactions


  • Yannick Harrel Yannick Harrel 9 octobre 2009 10:30

    Bonjour,

    Ceux qui se réjouissent du Oui Irlandais se trompent lourdement. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons :

    * faire revoter deux fois un peuple sur une question déjà posée en employant le principe de l’épuisement électoral n’est pas à metttre au crédit du fonctionnement démocratique de l’Union Européenne

    * le différentiel de moyens et de supports entre les tenants du Oui et du Non procède plus de l’intimidation que du débat serein

    * l’Irlande a obtenu des garanties (et pis, les a fait constater devant l’ONU, bonjour la confiance !) qui privilégie l’Europe à la carte, adieu l’Europe puissance...

    * la zone Euro ne protège rien du tout contrairement à ce que l’on a martelé durant la campagne, dans le cas contraire que l’on m’explique pourquoi le FMI relève que la zone Euro se traîne dans le bas du classement de la croissance mondiale (merci les BRIC au passage) ? La monnaie unique n’arrête pas de s’apprécier face au dollar et ça plombe de plus en plus la compétitivité des entreprises, mais ça les Irlandais s’en fichent puisque eux ils veulent importer et non exporter.

    * et qu’est-ce que l’on va faire une fois que l’on va se rendre compte que les maux n’ont pas disparu avec ce Traité ?

    Cordialement


  • gnarf 11 octobre 2009 11:05

    Vaclav Klaus, sous des airs de provocation, est quelqu’un de tres perspicace. Il a parfaitement detaille le pourquoi de ses reticences envers l’UE lors de son discours a Bruxelles. Pour resumer, il a dit en substance :

    -L’Union Europeenne est une grande chose. Je n’imagine pas un seul instant l’avenir de la Republique Tcheque en dehors de l’Union Europeenne.

    - Il y a des choses qui ne me plaisent pas dans l’evolution actuelle de cette Union Europeenne, comme sa bureaucratisation galopante.

    Je le suis parfaitement. Les Irlandais ont eu raison de refuser de laisser Bruxelles nous mener vers une harmonisation fiscale. Il est evident que tous les politiques incapables de gerer financierement leur pays (comme en France) ont tout interet a pousser Bruxelles dans ce sens...rien ne ferait plus plaisir aux politiques Francais que d’imposer leur fiscalite excessive a tous les pays d’Union Europeenne....ca leur ferait l’economie de toute reforme de leur train de vie !

    Quand a son livre sur le rechauffement climatique...je suis scientifique et je suis de pres toutes les nouvelles...ca commence a barder serieusement pour la these du rechauffement climatique cause par l’homme. Rien que la semaine derniere la courbe de temperatures en « crosse de hockey » a ete definitivement reconnue FAUSSE.


  • Axel de Saint Mauxe Nico 15 novembre 2009 21:20

    Ceci démontre ce que je pense : il faut une Europe à géométrie variable, abandonner l’idée d’une Europe politique et se concentrer sur des projets scientifiques ou militaires.


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