jeudi 11 septembre 2008 - par
L’Union est morte, vive la Confédération !
« L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée : l’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne ». Tel était le discours de Robert Schuman, homme politique français considéré comme un des pères de l’Europe actuelle en 1950. Près de soixante ans plus tard, que reste-t-il de cette volonté ?
Une accélération incontrôlée
Initié le 18 avril 1951 avec la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), le projet dans un premier temps apporta prospérité économique et rapprocha les peuples brisés après l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale, considérée parfois à juste titre comme une guerre civile européenne. La CED (Communauté européenne de la défense) échoua cependant en 1954, par un trop grand excès d’optimisme ainsi que d’empressement mal calculé, du fait d’une détente avec le bloc communiste inhérente à la mort de Staline ainsi que d’une opposition farouche au réarmement allemand majoritaire en France.
Mutatis mutandis, la construction de l’Europe unie sous une même bannière se poursuivit principalement de façon commerciale [1] avec l’avènement de la Communauté économique européenne, CEE en 1957 puis de la CE, Communauté européenne en 1992.
Cette longue marche, que l’on qualifie effectivement de construction pour bien marquer le caractère progressif et inachevé du processus, s’est emballée cependant avec des élargissements géographiques de plus en plus conséquents par leur rapidité et extension. Ainsi des six membres de départ, l’adhésion de nouveaux Etats se fit de manière homéopathique : Irlande, Royaume-Uni, Danemark en 1973 ; Grèce en 1981 ; Espagne et Portugal en 1986 ; Finlande, Suède et Autriche en 1995. En 2004, fut opéré le « grand bond à l’Est » en absorbant l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie ainsi que deux îles méditerranéennes que sont Chypre et Malte. A peine trois ans plus tard, ce furent la Bulgarie et la Roumanie. Actuellement est en train d’être débattu pour 2009 la question d’une adhésion de l’Ukraine, 2e plus grand pays européen après la Russie. Et n’oublions pas la Turquie, éternelle candidate à l’entrée dans l’Union…
De cet emballement, il en ressort une curieuse impression de fuite en avant. Economiquement, les instruments financiers que sont les fonds structurels (FSE, FEOGA, etc.) furent mis à contribution pour pallier le déséquilibre économique criant des pays de l’Est vis-à-vis de leurs voisins de l’Ouest. Malgré ceux-ci, le gouffre restait tout de même énorme avec le reste de l’Union européenne (exemple : en 2004, le PIB de la Pologne, pays le plus en avance économiquement après les aides, était établi à 12 999 $/habitant alors que le Portugal, pays le plus « pauvre » de l’UE en était à 19 828 $/habitant la même année [2]). Ce n’était en définitive pas l’intérêt économique qui avait primé sur leur entrée, mais plutôt une forme de gloutonnerie territoriale. Il a été avancé à l’époque que l’on ne pouvait laisser les pays de l’Est fraîchement convertis à l’économie de marché sur le bas-côté de la route, ce à quoi on ne peut que souscrire, mais pourquoi en revanche ne pas en être resté à un partenariat tout en assistant une maturité plus conséquente sur ce plan ? D’autant que, dès 2004, plusieurs pays dont la France annoncèrent de façon relativement hypocrite des mesures restrictives à l’encontre des travailleurs des PECO (Pays d’Europe centrale et orientale). En outre, dernier point, les fondations juridiques craquaient déjà de partout et le Traité de Nice avait été accouché dans la douleur et l’on savait pertinemment que l’on ne pouvait aller plus loin sans une réforme profonde des institutions. Comment pouvait-on sérieusement croire qu’il aurait été plus facile d’effectuer cette réforme à 25, puis 27, plutôt qu’à 15 ?
La désunion européenne
Il s’est avéré par la suite que cette hypertrophie commença à amplifier les désaccords entre Etats-membres quant aux crises auxquelles devaient faire face l’Union européenne. Certes, il existait un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune depuis le Traité de Maastricht (1992), mais l’ensemble du processus reposait et encore de nos jours sur une coopération intergouvernementale sanctionnée par l’obligation d’un consensus ne favorisant à 27 en rien l’unité et accouchant le plus souvent de décisions diplomatiquement alambiquées masquant l’impuissance commune.
Tordons le coup par ailleurs à certaines idées reçues comme quoi seule l’Union européenne a permis la création de projets d’envergure comme Airbus, l’Agence spatiale européenne ou l’Espace Schengen. Non, ces remarquables avancées européennes ne proviennent en rien justement des institutions et ont au contraire toujours été le fait de pays sensibilisés et actifs quant à avancer rapidement et ensemble dans un domaine précis tout en s’entendant sur les moyens mis en œuvre.
Bien entendu, l’on pourra m’objecter que des projets ambitieux existent et sont supportés par l’Union européenne. Oui, mais ceux-ci n’auraient-ils pas été encore plus rapidement mis en œuvre et généré moins de gâchis que par une coopération plus restreinte et volontariste ? Je pense en particulier à l’exemple GALILEO qui supporte déjà un retard conséquent par suite de désaccords récurrents [3] et ne sera effectif qu’en 2013, là où le GPS Américain est déjà actif, le GLONASS Russe déjà déployé et que le COMPASS Chinois est en phase d’expérimentation. A l’heure où l’on ne cesse de louer la position dominante économique de ce grand ensemble qu’est l’Union européenne, admettons objectivement qu’elle n’a pas su tirer réellement profit de cette situation favorable.
De plus, chaque fois que l’Europe fut confrontée à des bouleversements politiques majeurs sur le globe, il fut malheureusement aisé de constater au mieux son impuissance (crise Yougoslave) si ce n’est sa désunion sur l’attitude commune à adopter (intervention américaine de 2003 en Irak) [4]. Le récent conflit du Caucase mettant aux prises la Russie et la Géorgie illustra une fois encore toute la difficulté de s’entendre lors du sommet européen du 1er septembre : les camps furent tellement tranchés qu’il en résulta une déclaration hybride d’admonestation sans sanctions. Sans omettre de signaler que l’Accord de partenariat et coopération avec les Russes est toujours gelé depuis fin 2007 alors qu’il aurait dû être renouvelé à cette date, néanmoins du fait du veto polonais puis lituanien, aucune entente ne put avoir lieu. Au grand dam à la fois des autorités russes comme des autorités françaises, allemandes et italiennes qui auraient souhaité un volet énergétique [5].
Le moteur franco-allemand grippé
Le 22 janvier 1963 fut une date historique puisqu’elle permit de réconcilier officiellement Allemands et Français par la volonté de leurs chefs d’Etat respectifs qu’étaient Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Certes, il y avait des arrière-pensées de chaque côté lors de l’élaboration de cet accord (appelé Traité de l’Elysée), mais aussi cependant une réelle volonté de faire progresser l’entente réciproque et de vider la querelle des frontières.
Cahin-caha selon les époques, le moteur fut cependant respecté dans les grandes lignes tant il apportait sécurité et prospérité aux deux pays (chacun devint le premier partenaire commercial de l’autre). Même Jacques Chirac et Gerhard Schröder qui ne s’appréciaient guère au début affichèrent peu à peu une réelle complicité, au point même de laisser, lors d’un sommet diplomatique européen, le président français expliquer le point de vue allemand (Gerhard Schröder était retenu à Berlin au même moment pour défendre un projet d’importance devant le Bundestag).
Or, depuis l’avènement du nouveau président français, les voyants ont changé de couleur, permutant du vert au rouge. Bien que les diplomates s’emploient autant que possible à cacher l’irritation de la chancelière allemande ou la volonté de distanciation du président pour ce lien d’amitié, les observateurs ne se laissent pas duper : EADS ou l’Union pour la Méditerranée aiguisèrent bien des ressentiments par la mauvaise gestion des dossiers. Les discours lénifiants n’y feront rien, le moteur franco-allemand a calé…
L’heure d’une Confédération des Etats européens ?
Les référendums de 2005 (France, Pays-Bas) puis de 2008 (Irlande) ont démontré une réelle défiance des Européens vis-à-vis des orientations bruxelloises. Il est aussi vrai que les dénégations du résultat de ces votes populaires corrélées à l’absence de vision stratégique claire pour la suite des événements contribuent à élargir davantage (si ce n’était possible) le fossé entre les représentants européens et les peuples des pays fondateurs.
Du reste, lorsqu’on a l’impudence de parler de mini traité simplifié [6] en désignant un ensemble indigeste de mesures n’étant qu’une émiettement de l’ancien traité établissant une constitution pour l’Europe, il devient patent que le but n’est plus de faire une Europe des citoyens, mais un ensemble accessible uniquement pour happy few. En ce sens, la technocratie étouffe à petit feu l’idée européenne et la décrédibilisera pour un long moment si rien n’est fait à temps. Des critiques de plus en plus acerbes n’hésitent plus à évoquer l’Union européenne comme une néo-Union soviétique [7].
A moins que… A moins qu’on ne se décide à repartir sur des bases plus saines, avec un ensemble géographique plus modeste, mais plus gérable. Et des relations entre pays n’étant plus régies par des moyens tellement coercitifs qu’ils en deviennent contre-productifs, mais sur la base d’entente solidaire et de grands axes majeurs communs que sont la justice, l’armée et l’économie. Moins d’ambition gargantuesque et plus de pragmatisme.
Des erreurs ont été faites durant la croissance de l’Union européenne, et certains pays ont prouvé qu’ils n’avaient manifestement aucune intention d’œuvrer dans un rapprochement mutuel, mais simplement de favoriser une zone de libre-échange ainsi que d’empêcher l’émergence d’une Europe puissance. En outre, il a été fait fi trop rapidement des peuples dont l’absence d’adhésion empêche désormais toute crédibilité et survie de l’entité présente.
Utopique cette Confédération des Etats européens ? Peut-être moins que cette volonté de persévérer à vouloir rester sur un radeau de la méduse au milieu d’un marais où tous s’échinent à ramer dans une direction différente. Les temps changent et l’ensemble actuel prouve son manque de souplesse comme son dédain pour les citoyens la composant. Un groupe d’Etats avec des meneurs décidés, une assise populaire réelle et un mécanisme de relations assoupli a toutes les chances de donner naissance à une véritable force européenne d’avenir.
Un tel schéma repose aussi sur un moteur franco-allemand remis en route et dopé par une volonté de promouvoir un modèle civilisationnel efficient.
Le gigantisme actuel loin de présenter un quelconque intérêt, empoisonne non seulement la réforme impérative des institutions, mais aussi les relations diplomatiques avec des pays comme la Turquie ou l’Ukraine à qui l’on ne sait quoi exactement proposer en les enfermant dans une antichambre tapissée de formules toutes byzantines en guise de réponses. Avant que Saturne ne dévore ses enfants, il conviendrait peut-être de tuer le père…
[1] L’exception étant EURATOM, ou Communauté européenne de l’énergie atomique instituée en 1957.
[2] Sources : World Perspective/Perspective Monde.
[3] Vous pouvez lire mon article consacré à ce sujet paru sur Agoravox.
[4] L’on se souvient de quelques échanges grinçants, tel celui de Donald Rumsfeld alors secrétaire à la Défense des Etats-Unis évoquant la « vieille Europe » (France, Allemagne) récalcitrante à suivre son pays pour une intervention militaire en Irak qu’il opposait à une « jeune Europe », celle des pays de l’Est, prompte à emboîter le pas des GIs américains. Le président français du moment, Jacques Chirac n’ayant pas hésité à sortir une formule cinglante « certains pays ont perdu une bonne occasion de se taire » en direction de ces mêmes nouveaux entrants dans l’Union européenne loués par le haut fonctionnaire américain.
[5] Discours de Mme Angela Merkel, chancelière allemande, le 15/04/2008 à Strasbourg : « Un rôle important revient aux problèmes de la sécurité énergétique dans la coopération, et c’est justement sur cette base que nous discuterons avec la Russie dans le but de signer un nouvel accord de partenariat et de coopération ».
[6] Pour vous permettre de juger par vous-mêmes, veuillez vous rendre sur le site d’Europa.
[7] Analyse de Vladimir Bukovsky sur la pertinence d’un tel rapprochement.