mardi 16 août 2011 - par M. Aurouet

Le fédéralisme européen, marche illusoire ?

Dans le contexte actuel de la crise des dettes souveraines et de la menace subséquente de désagrégation de la zone euro, d’aucuns interprètent les attaques en provenance des marchés financiers comme une défiance vis-à-vis de la structure même de l’Union. Celle-ci apparaît si faible, malgré une omniprésence normative bien réelle, qu’aucune des instances communautaires existantes n’a paru susceptible d’incarner un gouvernement européen à l’efficacité reconnue et donc crédible devant les marchés financiers. Aussi n’est-il pas surprenant que, dans la course contre la montre que vivent les gouvernements pour sauver la zone euro, il ait fallu aller plus loin que les traités ne l’autorisaient tout en affirmant que le saut vers le fédéralisme constituait l’inévitable chemin d’une difficile mais nécessaire sortie de crise « par le haut ».
 
Certes, des évolutions récentes, telles que la création d’un fonds de stabilisation ou les prérogatives de facto renforcées de la Banque centrale européenne, laissent croire que l’Union européenne tend effectivement vers un surcroît de fédéralisme. Et la France, de son côté, semble plaider sans relâche pour l’instauration d’un véritable gouvernement économique commun. A n’en pas douter, l’atmosphère intellectuelle est au fédéralisme et beaucoup s’y accrochent, non sans raison, comme à une bouée de secours. Dans la logique des fameux « pères fondateurs » de l’Europe, il est d’ailleurs normal que l’Union se façonne progressivement au gré des pressions plus ou moins fortes de la nécessité, sur le socle des fonctions d’ores et déjà mutualisées. On peut certes penser que le fédéralisme est à la fois l’aboutissement logique de l’aventure européenne tout autant que la solution politique la plus avantageuse à la crise des dettes souveraines. Il n’en faudrait pas moins garder à l’esprit ce que cet aboutissement fédéraliste implique et réclame.
 
Même en imaginant que les Etats membres conservent aujourd’hui les principaux pouvoirs régaliens (défense, diplomatie, police, justice), la perspective fédéraliste telle que revendiquée débouche, pour être crédible, sur la création d’un gouvernement économique dont la réalité ne peut être que la maîtrise commune d’une politique de change, la gestion d’un budget assis sur un impôt communautaire, la conduite d’une politique monétaire qui ne soit pas entièrement déléguée à des experts, ainsi, enfin, que la définition et la mise en œuvre d’une politique commerciale ajustable et donc, une diplomatie économique commune. On imagine combien ces quelques dimensions qui, seules, donnent un sens et un intérêt évident à l’idée d’un gouvernement économique européen, sans quoi il ne serait question que d’un organe de gestion déconnecté de tout contenu démocratique, chargé seulement d’appliquer, surveiller et punir, on imagine, donc, ce qu’un véritable gouvernement économique européen suppose de transformation des traités et de volontarisme politique. Il s’agirait d’envisager non plus des conduites à tenir, des règles auxquelles se conformer, mais une action politique fondée sur des moyens financiers et de vraies marges de manœuvre.
 
De toute évidence, un tel gouvernement économique a peu de chance de voir le jour. Non seulement parce qu’il faudrait remettre en cause le culte de la règle qui garde encore bonne presse en haut lieu, mais aussi et surtout, et voici la raison première de ce culte, parce qu’un gouvernement économique digne de ce nom supposerait une souveraineté communautaire qui n’est pas et n’a jamais été le corollaire des abandons de souveraineté consentis par les Etats membres.
 
Or, en dehors de la pression des circonstances, de la peur d’un retour à la case nation et de l’inconnu que l’idée d’un recul de l’intégration européenne engendre, on ne voit rien qui ressemble à un élan collectif des gouvernements des Etats membres en faveur d’une souveraineté européenne qui ait un véritable Agir. Il s’agit bien plutôt de « rassurer » les marchés financiers, de donner des gages de crédibilité pour sauver la zone euro, sans autre ambition à l’horizon. C’est donc une simple logique d’adaptation qui est à l’œuvre chez les gouvernements actuels, mêlant intérêts contradictoires et vues politiques divergentes à courtes vues. Pour le fédéralisme européen, il est permis de penser qu’il faudra un peu plus que cela, si l’on veut bien considérer qu’il aura fallu une guerre d’indépendance, l’occultation de la question de l’esclavage puis rien moins qu’une guerre civile pour qu’il s’impose outre-Atlantique, alors même que les ferments de division étaient sans doute moins importants dans la jeune Amérique qu’ils ne le sont aujourd’hui en Europe.
 
Le fédéralisme invoqué un peu partout ne naîtra pas d’ajustements de circonstance mais nécessitera un acte politique constituant, avec des transformations d’ampleur qui englobent la question des compétences, des institutions, des mécanismes de décision et des moyens d’action. Il supposera de trancher sur la finalité d’un « processus d’union sans cesse plus étroite » qui, précisément, s’était juré de ne pas aborder cette question pour ne pas diviser la famille européenne. Il impliquera aussi de vastes consultations populaires car la question est de trop d’importance pour n’être que le fruit d’une nécessité historique parée d’une prétendue légitimité ontologique. Bref, il prendra son élan véritable sur le tremplin d’une volonté politique collective dont l’absence évidente à ce jour ne promet d’aboutir, en fait de fédéralisme, qu’à un « surmoi » communautaire renforcé, brillant de tout l’éclat de ses multiples règles d’or sanctuarisées, laissant dans l’ombre le joyau terni de la démocratie.


7 réactions


  • Winston Smith 16 août 2011 10:34

    L’Europe est deja fédéral, mais on ne le dit pas pour ne pas énerver certaine personnes, on dit « communautaire »...


  • NeverMore 16 août 2011 12:01

    Le fédéralisme européen, marche illusoire ?

    OUI !


  • BA 16 août 2011 13:21

    Si un Etat européen lançait un emprunt à 10 ans aujourd’hui, en août 2011, quel taux d’intérêt devrait-il payer ?

     

    Allemagne : taux des obligations à 10 ans : environ 2,2 %.

     

    Finlande : taux des obligations à 10 ans : environ 2,6 %.

     

    Pays-Bas : taux des obligations à 10 ans : environ 2,6 %.

     

    France : taux des obligations à 10 ans : environ 2,9 %.

     

    Espagne : taux des obligations à 10 ans : environ 4,9 %.

     

    Italie : taux des obligations à 10 ans : environ 5,1 %.

     

    Irlande : taux des obligations à 10 ans : environ 9,8 %.

     

    Portugal : taux des obligations à 10 ans : environ 10,3 %.

     

    Grèce : taux des obligations à 10 ans : environ 15,5 %.

     

    - Les cinq Etats européens en faillite demandent la création d’euro-obligations : ils veulent que les 17 Etats membres de la zone euro empruntent tous à un taux d’intérêt unique. Avec des euro-obligations, tous les 17 Etats devraient payer le même taux d’intérêt. Pour les cinq Etats européens en faillite, ce serait une bouffée d’oxygène : ils pourraient emprunter à un taux d’intérêt bien inférieur à ce qu’ils paient aujourd’hui.

     

    - Mais les Etats européens riches, eux, ne veulent pas de ces euro-obligations. Si les euro-obligations étaient créées, l’Allemagne serait obligée de payer un taux d’intérêt bien supérieur à 2,2 %, la Finlande serait obligée de payer un taux d’intérêt bien supérieur à 2,6 %, les Pays-Bas seraient obligés de payer un taux d’intérêt bien supérieur à 2,6 %, etc, etc.

     

    - Conclusion : les euro-obligations seraient une bouffée d’oxygène pour les Etats européens pauvres, mais elles seraient une catastrophe pour les Etats européens riches.

     

    - Mon pronostic : il n’y aura jamais de mutualisation des dettes européennes, il n’y aura jamais la création des euro-obligations, car les Etats européens riches ne les accepteront jamais.

     

    Il n’y aura jamais de fédéralisme en Europe, car les Etats européens riches n’accepteront jamais de transférer des milliards d’euros supplémentaires vers le budget de l’Union Européenne.

     

    Lisez cet article :

     

    http://www.lepoint.fr/economie/plusieurs-pays-s-elevent-contre-la-proposition-de-hausse-du-budget-de-l-ue-30-06-2011-1347999_28.php


  • Scual 16 août 2011 13:48

    De toute façon l’UE, plus personne n’y croit.

    Les seuls qui la soutiennent ne le font pas par conviction mais par peur. Disons qu’on paie pour « notre sécurité ». Même si on sait que le parrain est un vrai sauvage quand on n’arrive plus à payer, il nous ferait surement encore pire si on se rebellait carrément.

    Je crois que j’ai bien résumé la pensée des européens sur l’UE là non ? La mafia c’est pas bien mais vaut mieux obéir et payer que se faire tuer.


    • pjf971 16 août 2011 18:12

      Plus personne n’y croit ?
      Ne prenez pas vos désirs pour des réalités.
      Il ne s’agit pas de peur, mais de bon sens.
      La disparition, ou même le simple retour en arrière de l’Union Européenne serait pour nous tous une catastrophe, et tout le monde le sait, même ceux qui disent et font semblant de croire le contraire.
       L’Union n’a qu’une perspective, son approfondissement, donc un VÉRITABLE fédéralisme, que cela plaise ou non.


    • Scual 16 août 2011 18:29

      Merci d’avoir exposé vos peurs démontrant brillamment la pertinence de mes propos.


  • Mor Aucon Mor Aucon 16 août 2011 23:29

    Ce qui est en jeu est un fédéralisme budgétaire et non pas un fédéralisme à l’américaine. Les tenants de ce dernier font un pari dangereux en lançant cette idée maintenant. Elle est peut-être légitime et mérite aussi d’être étudiée mais faire passer la nécessaire mutualisation de la dette et la création d’une politique budgétaire, même avec une sorte de ministre des finances européens, pour un gouvernement économique européen est excessif et dangereux. Cet amalgame ne sert que la propagande des souverainistes et partisans de la sortie de l’euro qui oublient un peu vite que les détenteurs de la dette des pays en difficulté sont aussi les banques des pays les plus riches. Qui doute du fait qu’une sortie de l’euro de la France suivie d’un défaut de la Grèce provoquerait une secousse terrible dans le système bancaire français ? Un défaut espagnol ou italien et c’est la faillite et la nationalisation pratiquement assurée. Alors, pourquoi les partisans de la sortie de l’euro ne vont-il pas jusqu’au bout de leur logique et ne font-il pas publiquement la corrélation très probable : abandon de l’euro -> défaut des PIIGS -> faillite bancaire -> nationalisation ?

    D’autre part il est faux d’affirmer, comme dans certains commentaires, que les taux des euro-bonds se situeraient quelque part au dessus des taux les plus bas. La solvabilité de la zone euro est bien supérieure à la moyenne des solvabilités des pays membres et aussi à la solvabilité des plus solides.

    Le problème principal pour une fédéralisation budgétaire est le gouvernement allemand, sa politique électoraliste et la défense acharnée qu’elle fait de la structure actuelle de la zone euro qui la favorise et lui permet de conserver sa balance commerciale excédentaire, son déficit face à la Chine et son excédent face aux USA s’annulant pratiquement. Beaucoup de critiques aux PIIGS, mais au bout du compte ce sont eux qui ont rempli les caisses que l’Allemagne rechigne, aujourd’hui, à ouvrir.


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