mardi 8 juillet 2008 - par Frederic Michon

Le modèle scandinave

Candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait expliqué les points positifs du modèle scandinave... Pourquoi les réformes engagées éloignent la France de ce modèle ?

Lors de la dernière élection présidentielle, les candidats présentaient tous les avantages du "modèle scandinave", pourquoi le nouveau président ne cherche pas à s’en rapprocher ?
 
La Finlande fait partie des pays où la grogne est peu courante, mais elle existe (grève des infirmières finlandaises pour demander des augmentations, il y a quelques mois). Les syndicats sont très puissants (4 travailleurs sur 5 sont syndiqués) ; les négociations patronat/syndicats/Etat ont lieu, et dans l’ensemble ça se passe en bonne intelligence.
 
Le taux d’imposition est le 3e plus élevé de l’OCDE (la France est 4e), la taxe audiovisuelle est élevée, mais dispense le téléspectateur de publicité ; et le système de santé est plus efficace que le français (système de petits dispensaires et les infirmières peuvent faire leur travail sans médecin tout en étant employées par l’Etat ; attention, pas de fonctionnariat...).
 
Ce pays est celui avec le moins de corruption (classement Transparency Internationale). Les sans-abris sont pris en charge par l’Etat et le taux de chômage est en période de décroissance (6,8 % actuellement)...
 
Le système finlandais est-il parfait pour autant ? Non, bien entendu. La situation géopolitique finlandaise est très difficile. Coincée entre l’ingérente Russie, et la jalousée Suède, l’équilibre politique entre l’ouverture sur l’Europe et la fermeture de la frontière Est est très délicate. Le problème de la pollution de la frontière maritime est difficile à régler (la ressource en poisson se raréfie) ; et enfin, la dépendance énergétique (qui sera en partie réglée lors de la mise en fonction de l’EPR) est difficile à vivre pour un pays de hautes technologies. Le système scolaire (excellent depuis de nombreuses années puisque classé 3e par la PISA) est dépourvu de redoublement, mais l’entrée en université nécessite de passer un concours, ce n’est pas ouvert à tout le monde. Le pays n’est pas laïc et les religions ont leur place à l’école ainsi que dans les impôts.
 
Le système de recherche, qui est très performant, est financé par plus de 3 % du PIB.
Enfin, il est toujours plus facile de diriger un Etat qui compte moins de 6 millions d’habitants.
 
Côté français, Nicolas Sarkozy a été élu pour engager des réformes permettant de relancer l’économie française... Première étape, reforme des administrations : cartes judiciaire, militaire, sanitaire et scolaire... Objectif, moins d’Etat, louable lorsque "les caisses sont vides", malheureusement dans le même temps explosion du nombre d’employés dans les ministères, à l’Elysée, aucune redistribution des effectifs de fonctionnaires, aucune vision à plus de cinq ans lorsqu’il en faut sept à dix pour former un médecin, et perte du dialogue social. Dialogue social qui maintenant est mort : "Quand il y a une grève plus personne ne s’en aperçoit", assène le président qui n’est pas à l’abri d’une maladresse.
 
Seconde étape, trouver de l’argent. En temps de vaches maigres, il faut trouver de l’argent où on peut. Depuis un an, diverses nouvelles taxes sont ainsi nées. Un couple y réfléchira à deux fois avant de faire un enfant, l’achat d’une voiture familiale d’entrée de gamme sera assorti d’une taxe écologique payée chaque année... Qu’est-ce que ces nouvelles taxes vont financer ? Est-ce la bonne solution lorsqu’on instaure un bouclier fiscal à 50 %, pendant que la Suède a un taux d’imposition moyen de 50,6 %. Trouver de l’argent est aussi devenu une priorité des Français. Car qui dit nouvelles taxes, dit baisse du pouvoir d’achat, et les solutions miracles n’existent pas ; ceux qui travaillent dans des sociétés n’ayant pas d’heures supplémentaires à proposer restent exclus du "travailler plus pour gagner plus".
 
Troisième étape, diriger tout. Là où les Français ont élu un président pour réformer et voir moins d’Etat, paradoxalement ils ont une omniprésence élyséenne. Le président français est partout et souhaite tout contrôler. M. Copé se félicitait de voir que toutes les conclusions de sa fameuse commission sur le financement de la télévision publique étaient presque toutes reprises... Oui, mais elles faisaient partie du cahier des charges fixé par le président. Le contrôle des médias est devenu l’obsession d’un président qui ne veut plus de voix dissonantes. La nomination du président de France Télévisions par l’Elysée serait un terrible retour en arrière de la télévision publique (financée par le public) à une télévision d’Etat (dirigée et censurée par l’Etat). Mais les sorties de Nicolas Sarkozy à l’encontre de la presse sont devenue une habitude qui ne fait même plus vraiment réagir les Français, sont-ils prêts à perdre l’indépendance de la presse, sans doute !

Quatrième étape, dresser les Français les uns contre les autres. Pays des droits de l’homme, la France n’en a plus le prestige passé. La politique de l’immigration choisie, mettant à mal les pays que l’on pille de leurs cerveaux, a reçu la désapprobation de la commission parlementaire. Quant à la chance du dialogue social (avec des syndicats ou des associations d’étudiants ou de lycéens), elle a fait long feu, là où tous les autres Etats européens ont des syndicats forts. L’Etat décide et peu importe ceux qui sont contre, au mieux ils seront insultés dans la rue par le président.
 
Cinquième étape, mettre l’Europe au service de la France. Napoléon n’avait pas réussi à conquérir autant de pays, Nicolas Sarkozy s’est réveillé le 1er juillet président de 27 pays... Un mal français consiste à accuser l’Europe de blocages des réformes nationales, cette excuse est plus difficilement envisageable lorsqu’on dirige cette Union européenne. C’est sans doute dans ce dernier exercice que le président français aura le plus de mal à trouver un consensus sur la façon dont il veut réformer les institutions européennes. Son hyper-réactivité commence à agacer certains pays membres et attaquer de front le patron de la Banque centrale ne fait que poser de façon plus flagrante le problème d’omniprésence du président français là où règne une indépendance politique.
 
Le modèle scandinave est sans aucun doute un modèle intéressant et attractif. La forte réactivité au regard des nouvelles technologies, la capacité sociale de l’Etat, un fort taux d’imposition, le dialogue social constant, une classe politique travaillant pour le pays et non pas pour son propre intérêt. Tant de choses que les Français ont, dans leur grande majorité, perdu de vue. Sans doute la France ne doit-elle pas chercher à transposer un modèle préexistant, mais plutôt créer un modèle où le lien social ne sera pas antinomique d’économie de marché... D’autres pays y sont arrivés !


11 réactions


  • ronchonaire 8 juillet 2008 11:32

    Indépendamment du contexte économique, social et politique, ce type de modèle requiert une qualité que nous n’aurons jamais en France : la discipline collective et le civisme. Il y a d’ailleurs un excellent article de Pierre Cahuc et Yann Algan sur le sujet, que vous pouvez trouver ici (c’est en anglais) :

    http://ideas.repec.org/p/iza/izadps/dp1928.html

    A la question "trouvez-vous justifié de demander des aides publiques auxquelles vous n’avez pas droit ?", 90% des danois répondent que ce n’est jamais justifié, contre à peine...40% des français, ce qui nous place bien évidemment parmi les derniers dans le domaine. Etant donné que les racines de ce comportement sont avant tout culturelles, il semble complètement illusoire de vouloir appliquer le modèle scandinave en France.


  • Voltaire Voltaire 8 juillet 2008 11:41

    Une analyse pertinente.
    Vous aez raison de suggérer que la France ne puisse transposer à l’identique le système Finlandais (les différences de taille, de cultures s’y opposent), mais bien trouver de façon similaire un système qui réconcilie l’intérêt collectif (le social) et l’intérêt individuel. Cela passe par un soucis de l’intérêt général plutôt que celui d’intérêts particuliers (son électorat), et donc par une culture de débat-consensus-concessions, plutôt qu’une culture d’affrontement systématique (notre système bipolaire actuel). La route est encore longue...


  • finael finael 8 juillet 2008 14:54

     L’une des raisons qui font que l’on ne peut transposer simplement le modèle scandinave, quels qu’en soient par ailleurs ses nombreux mérites, en France, est qu’en raison des conditions climatiques, la culture de ces pays est beaucoup plus centrée sur l’entraide et la solidarité.

     En comparaison, dans notre "douce France", l’accent est de plus en plus mis sur la compétition et la rivalité des groupes sociaux, sans doute pour imiter notre grand ami Etat-Unien.


    • ronchonaire 8 juillet 2008 15:16

      Il faudra d’ailleurs penser à ajouter le modèle scandinave à la liste des espèces menacées par le réchauffement climatique...


  • mazala 8 juillet 2008 17:34

    Bonjour,

    il est bon en effet d’aller voir de temps en temps se qui se passe ailleurs pour activer son imagination, mais en tant que finlandaise, il me faut apporter les précisions suivantes :
    1) le système des dispensaires est parallèle au cabinets médicaux privés. Qui peut payer plus, peut avoir accès à des soins plus pointus..ça se rapproche un peu du système américain
    2) La télé sans pub coexiste avec une télé commerciale, ou les films sont coupés plusieurs fois pendant leur diffusion...Par contre, le pays est trop petit pour se payer le doublage des productions étrangères. Du coup, celles-ci sont doublées, et les enfants entendent dès leur plus jeune âge les langues les plus diverses
    3) Pour entrer en Fac, il faut passer un examen, et non un concours. Cet examen valide votre niveau de connaissance nécessaire pour entrer en Fac. Si vous ne l’avez pas, vous étudiez chez vous les lacunes pour repasser l’exam au prochain semestre, et si vous l’avez, la porte de la Fac est ouverte pour vous. Non seulement, vous pouvez étudier votre matière préférée, mais vous pouvez aussi aller faire des incursions dans les autres domaines. Vous pouvez aussi interrompre les études, travailler, puis reprendre les études qq années plus tard. En aucun cas, le nombre d’étudiants en première année n’est limité.
    4) Il y a une culture de l’égalité en Finlande, pour des raisons historiques. Tous les finlandais ont des grands-parents ou arrière grands-parents paysans. La noblesse était suédoise, uniquement. Le peuple finlandais est donc très homogène, socialement parlant. En France, la révolution française n’est pas encore digérée, et on voit régulièrement des défenses des privilèges ou des castes ressurgir.
    Cette population homogène, qui a vécu la même histoire durant les siècles s’est forgé également un sentiment de modestie dans l’existence, car en hiver, chacun sait que sa vie peut être facilement en danger. Ce sentiment aigu de la nature et l’importance de la survie est primordial.
    L’égalité que ressente les finlandais entre eux se manifeste par la sympathique tradition du sauna, où toutes les couches sociales se cotoient dans le plus simple appareil, dans les piscines municipales par ex.
    5) Enfin, le dynamisme économique finlandais actuel est sans doute en partie due à l’arrivée sur le marché de jeunes qui ont profité de l’excellence du système éducatif . Pour rappel, le but des enseignants en Finlande n’est pas d’inculquer des tonnes de connaissances dans la tête des élèves, mais de leur apprendre à apprendre, et d’avoir confiance en eux...
    C’est vraiment une autre planète !


  • ombrageux ombrageux 8 juillet 2008 21:30

    Cela m’amuse toujours quand on veut transposer un modèle scandinave en france.

    C’était les suédois avant, nous voila arrivé en Finlande et je me demande quel super modèle il va falloir copier dans l’avenir.

    On ne peut faire aucune comparaison entre un pays de 66 millions d’habitant et un pays de 6 millions ça ne se gère pas de la même façon d’une part, et d’autre part je doute fort que la discipline finnoise ainsi que le mode de vie vous plaise.

    D’autre part arrêtons de toujours monter ces pays là en exemple, il ne sont pas sans défauts croyez moi.

    Les problèmes rencontrés en France se retrouve asses vite dans le pays augmenté par un alcoolisme latent que les autorités n’arrivent pas à réduire.

    Croyez moi il n’y a pas beaucoup de français qui aimeraient vivre à la finnoise.


  • mazala 8 juillet 2008 22:24

    C’est vrai que la vie est différente là-bas, pourtant des étrangers du sud s’’y plaisent bien, et y fondent des familles...

    Le climat est plus rude, l’alcoolisme est un vrai problème, (mais seulement les vendredi et samedis soir car le reste du temps, on boit du lait à table), et pourtant, les gens ne baignent pas dans la sinistrose ambiante qu’il y a en France.

    Bien au contraire, leur bonne humeur et leur dynamisme fait vraiment plaisir à voir, ça fait assez drôle quand on vient de France !


  • Grégoire 9 juillet 2008 08:23

    Merci Frédéric pour ce papier. Je suis entièrement d’accord avec tes propos et, vivant en Suède (j’ai d’ailleurs un blog : www.ecolodujour.com) , je pense que l’on pourrait rajouter différentes remarques

    La France et les Français sont résolument tournés vers le passé : leurs privilèges, leur patrimoine, leurs avantages, leurs formations élitistes..... OK, il peut y avoir du bon mais où est le futur, le développement de la personne, l’envie de créer et d’avancer, l’envie d’apprendre ? On ne remet rien en question, tout le monde ayant peur de perdre tel ou tel avantage.

    Ceci dit, si les changements sont aussi difficiles, c’est certainement imputables également à des hommes et femmes politiques qui ne privilégient pas l’intéret de tous, depuis trop longtemps. Et là aussi, je vois une ENORME différence entre les pays scandinaves et la France.

    Certes, tout n’est pas rose dans ces pays et l’alcool est un problème ....mais en France aussi, qu’on le veuille ou non.....mais comme nous sommes producteurs de vins, c’est plus tabou.

    Pour terminer, je trouve que l’on ne raconte du modèle scandinave que ce qui nous arrange et pas l’ENSEMBLE qui fait également appel à des obligations et engagements très forts de l’Etat !


  • Yohan Yohan 9 juillet 2008 09:25

    Sarko ne fait que picorer chez nos voisins des idées qu’il dénature, ce qui ne constitue pas une vision politique. Certes, notre Président conduit des réformes qu’il aurait fallu conduire plus tôt, afin d’éviter de les faire n’importe comment. Pour l’heure et comme d’habitude, les français ont donné les clefs de la boutique et observent sans s’engager. C’est une différence de taille avec les scandinaves voire même les pays Bas


  • ZORBA 9 juillet 2008 14:14

    POUR N’AVOIR PAS COMMENCE PAR FAIRE L’EUROPE SOCIALE ,MAIS UN VASTE SUPER-MARCHE ,NOUS AVONS MIS CETTE EUROPE DANS LE MUR.ELLE A ECHOUEE.ET RISQUE DE NE PAS S’EN REMETTRE .
    ALORS COPIER OU NON UN MODELE OU UN AUTRE N’A PAS DE SENS.
    ON NE FERA PAS VIVRE UN SUEDOIS COMME UN PORTUGAIS NI UN GREC COMME UN IRLANDAIS.
    PARCEQUE CE SYSTEME ,AVEC SES VARIANTES, C’EST LE LIBERALISME ,SORTE DE CRIME SOCIAL,IL A AUSSI ECHOUE ,ET C’EST TRES BIEN COMME CELA .
    IL NOUS RESTE A REMETTRE LE TRAIN SUR LES RAILS.....SI NOUS LE VOULONS BIEN.
    SINON NOUS EN CREVERONS.


  • SALOMON2345 12 juillet 2008 19:58

    "Comparaison n’est pas raison" dit le philosophe avec justesse et lorsque l’on entend des suppliques pour l’harmonie - entre autre - des fiscalités des 27, c’est également oublier que les assiettes sur lesquelles elles s’appuient, ont des histoires administratives totalement différentes par pays et que, si l’on taxe ici la moutarde, il faudra compenser là bas sur autre chose pour atteindre ce chimérique équivalent !
    Comme il est dit également, 6 millions ne sont pas 66 millions, est-il besoin d’insister sur l’ineptie à ignorer cette donnée essentielle ?
    Notre histoire, politique, culturelle et sociale, n’a pas les mêmes strates, et il est illusoire de vouloir calquer les uns sur les autres. De plus cette recherche d’impossible uniformité est ridicule car qui va concéder et quoi pour s’harmonioser avec qui plutot avec qui ? Sauf si c’est pour le meilleur critère, le plus favorable aux citoyens d’Europe, ce dont je doute !
    Pour la fin, lorsque en accidentologie routière - par exemple - l’on comparre les taux de victimes en Angleterre et en France, le discours culpabilisateur à l’encontre de celle-ci oublie que sa situation centrale en Europe et aux milliards de km/an parcourus ne sont pas à comparer avec cette ile et qu’une fois de plus toutes ces comparaisons me semblent abusives comme mélanger des choses de natures différentes !


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