Les Irlandais ont-ils intérêt à voter la version 2 du traité de Lisbonne ? (5)
En effet, les chefs d’entreprises qui ont pris parti pour le traité explique que Lisbonne aurait vocation à empêcher (il faut lire le patron de Ryan Air) le Gouvernement de Brian COWEN d’exercer, ni plus ni moins, son mandat démocratique. En résumé, voter en faveur du traité serait imposer des limites à l’exercice du pouvoir de Brian COWEN et consorts, en faisant dépendre la politique économique de l’Irlande des décisions prises à "Bruxelles".
Pendant ce temps là, les partis qui militent pour le "oui" expliquent sur leur(s) site(s) de campagne, que le traité ne modifient presque rien, par rapport à Nice ! Que "les règles en vertu desquelles l’Irlande et les autres Etats membres agissent, resteront les mêmes." On minimise au maximum l’impact du traité : "le Gouvernement irlandais va continuer de faire les lois et les politiques sur les questions clés, ici en Irlande : la fiscalité, santé, éducation, protection sociale, les questions familiales, l’avortement, la neutralité, la justice, le droit pénal, l’éducation et des lois concernant nos enfants."
On notera que transférer la politique économique du pays ne semble pas beaucoup gêner ces partis, qui n’incluent pas celle ci dans les "questions clés". Mais alors qui décidera de cette politique ?
Et bien...Le Premier Ministre Brian COWEN, puisque, comme nous le rappellent les partis en faveur du traité. En effet, la politique monétaire sera décidée par l’eurogroupe, qui est une formation intergouvernementale ; la politique économique sera décidée, quant à elle, par les ministres de l’économie des 27, formation là encore intergouvernementale ; et on l’a dit, la politique fiscale, sans laquelle aucune politique économique ne peut être mise en place, est et restera nationale, donc décidée par ledit Brian COWEN. Quant à la mise en oeuvre des politiques "communautaires" elle est et demeure nationale.
Qui croire dès lors ? Les "grands patrons" qui appellent à voter en faveur du traité pour se débarrasser de la politique stupide menée par COWEN ? Ou bien les partis qui sont aussi partisans du traité, et expliquent que Brian COWEN maîtrisera les décisions qui seront prises à "Bruxelles" ?
De toute évidence, une partie des partisans du "oui" n’ont pas lu le traité de Lisbonne...Toujours pas.
L’argument "voter Lisbonne pour mettre fin aux actions stupides menées par le Gouvernement de COWEN" tombe donc de lui même. Une fois de plus, le traité a des défenseurs fantastiques ! Le "camp du non" est sans doute un assemblage hétéroclite, et il fait preuve lui aussi de démagogie, mais il faut bien noter une absence totale de cohérence de la part des partisans du "oui" qui se contredisent régulièrement par arguments interposés.
Le deuxième point intéressant, c’est l’utilisation récurrente de l’économie irlande, pour inciter les Irlandais à voter en faveur du traité, alors même qu’il est affirmé que le traité de Lisbonne n’inscrit aucune politique économique "dans le marbre".
Ainsi, les Irlandais ont pu entendre Pat Cox – qui dirige la campagne du "oui" – expliquer que le traité aiderait l’économie irlandaise ! D’autres s’aventurer à parler de la "réputation" de l’Irlande au niveau international : si l’on se fit à la perte de "crédit" de la France...On peut être rassuré ! Ne disait on pas en 2005 que la France verrait les touristes la déserter ? La France est, et demeure, la première puissance touristique au monde ! Et son crédit international n’a pas pâti du "non" référendaire, puisque dès 2006, la France faisait approuver plusieurs de ses idées ! Quant aux "investisseurs" ils se contrefichent du traité de Lisbonne ou du TCE. L’important pour eux, c’est de trouver un peu "attractif". La France en est un. L’Irlande aussi. Aucun traité n’est en capacité de modifier l’attractivité d’un pays.
Le parti du "oui" utilise aussi des arguments "château de cartes".
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Nous sommes le pays le plus tributaire des exportations en Europe. Depuis qu’il a rejoint les exportations irlandaise de l’UE ont augmenté au centuple.
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60% de tout ce que nous produisons est vendu à l’Europe.
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2 sur tous les 3 des emplois ici, en Irlande sont liés aux exportations irlandaises.
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L’Irlande s’est positionnée comme un membre anglophone à part entière de l’UE et cela a permis la création d’emplois
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En dehors des pays d’Europe, l’Irlande a été utilisé avec succès comme une base solide et une passerelle de confiance dans l’Europe.
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La position de l’Irlande dans l’UE s’est révélée être un facteur clé pour nous aider à obtenir une quantité plus qu’importante des investissements globaux venant en Europe. Nous avons vraiment frappé plus fort de tout notre poids au fil des ans.
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Des milliers d’Irlandais sont inquiets sur les emplois et leur avenir. Et la concurrence est rude avec nos partenaires pour continuer à attirer des capitaux étrangers. Il est vital que l’Irlande garde son influence et sa position stratégique pour les sociétés américaines en tant que passerelle vers l’UE.
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Les USA qui prennent des décisions sur le long terme, en matière d’investissement, attachent une grande importance au fait que l’Irlande soit un membre convaincu des bienfaits de l’UE. Bienfaits qui se sont traduits auprès des travailleurs Irlandais et sur l’économie du pays.
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Il est important que l’Irlande soit à la pointe dans tous les secteurs pour attirer les capitaux financiers. Car ceux ci permettent de créer de l’emploi en Irlande
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Le monde change et l’Inde et la Chine sont en passe de devenir les grandes concurrents en terme de commerce et de la taille de la population - en faisant partie de l’Union européenne l’Irlande se protège et être membre de l’UE nous donne plus de marges dans les accords et les négociations.
Aucun de ces points n’a à voir avec le traité de Lisbonne !
D’une part, la non ratification du traité de Lisbonne ne remet, en aucun cas, la place de l’Irlande au sein de l’Union, en question. Il n’y a donc aucune raison de voter en faveur d’un traité qui ne modifiera, en rien, les exportations de l’Irlande, puisque celles ci dépendent des besoins des pays importateurs, du rapport qualité prix des produits et/ou services proposés, et du taux de change décidé par la BCE, dont les attributions ne changent pas avec le traité de Lisbonne. La "dépendance" de l’Irlande, en matière d’échanges commerciaux est commune à tous les Etats membres. Quant à l’apport de la construction européenne, s’il est conséquent, et digne d’intérêt, il ne mérite pas de figurer comme argument pour valider le traité de Lisbonne, au sens où la participation à l’Union Européenne de l’Irlande restera la même, avec ou sans la ratification du traité de Lisbonne.
D’autre part, l’argument des puissances émergentes, qui devrait inciter dès lors l’Irlande à voter en faveur du traité, pour permettre à l’UE de mieux peser au niveau international, dans le domaine économique, ne vaut pas. Tout simplement parce que la représentation à l’OMC est déjà assurée par la Commission Européenne, et chacun a pu voir que M. BARROSO est venu au FMI. Le traité de Lisbonne ne change rien à cette situation, et donc n’est en aucun cas un obstacle à la défense des intérêts de l’UE, en matière économique, puisque le traité de Nice suffit à garantir la représentation de l’UE dans les organisations internationales économiques et financières.
L’Union Européenne ne peut agir en discriminant certains de ses membres. L’Irlande est en effet souveraine. A ce titre, elle est seule à définir la portée de ses engagements, et l’Union Européenne, parce qu’elle l’a pressenti, puis accepté, comme membre à part de son organisation, a des devoirs à son égard, à commencer par celui de lui permettre d’agir dans le cadre des traités européens, en parité avec les autres Etats membres. Ceux qui brandissent la menace d’une sortie de l’UE, ou qui explique que l’Irlande bénéficiant de l’euro doit voter Lisbonne sous peine de perdre cet avantage, se ridiculisent plus qu’autre chose. Car le caractère "souverain" de l’Etat démocratique irlandais interdit à l’Union Européenne de prendre une décision qui porte atteinte à cette souveraineté. Seuls les Irlandais peuvent annuler les traités qui les engagent ! Rappelons que les Irlandais ont, souverainement, accepté l’euro, leur participation à l’UE, le marché interieur, et jusqu’au traité de Nice. Il faudrait donc un référendum pour sortir de l’UE, de l’euro, du marché intérieur, etc. Le résultat est déjà connu d’avance : "non".
Troisième point intéressant : le bilan de l’Union Européenne. Pour le patron de Ryan Air, il faudrait approuver le traité, parce que toutes les politiques de l’Union Européenne seraient des réussites. Et accessoirement, parce que celles de M. COWEN seraient désastreuses.
Le problème, et le patron de Ryan le sait, c’est que depuis huit ans maintenant (bientôt neuf) les Etats membres mettent en oeuvre ce qu’il est convenu d’appeler "la stratégie de Lisbonne". Un programme économique, donc, pour l’ensemble des 27, destiné à faire de l’UE l’économie la plus attractive au monde. Comme chacun peut le voir, en consultant le site de la Commission, très régulièrement les Etats membres doivent faire des rapports à la Commission pour expliquer où en sont leurs efforts pour appliquer ladite stratégie. Ex avec la France, dont la "coordonatrice" est une certaine Mme Lagarde, assistée du Conseil Economique et Social.
*http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000202/0000.pdf
En résumé : ce que le patron de Ryan Air estime formidable au niveau européen, est insupportable au niveau national !
Peut être convient il de parler de cette fameuse stratégie, pour comprendre. Il y a dix ans, les Etats membres (qui étaient alors 15) décidaient de s’associer, conjointement, "d’adapter" l’Union Européenne à la "mondialisation". Deux ans plus tard, sortait des fourneaux administratifs la "stratégie de Lisbonne".
Les quinze se fixèrent des objectifs : augmenter le nombre de chômeurs bénéficiant de "mesures actives", se rapprocher de la "moyenne des pays les plus performants" (en matière d’emploi), "réduire significativement le nombre de jeunes en échec scolaire", "réduire de moitié le chômage des jeunes".
Au niveau fiscal, on prévoyait aussi de réduire la pression fiscale sur le travail et des coûts non salariaux du travail, sans mettre en difficulté les sécurités sociales des pays membres. Une sorte de "taxe carbone" était aussi au programme. Le mot "flexsécurité" n’était pas prononcé, ni inscrit, mais l’essentiel était déjà sous entendu. Et tout un tas de mesures étaient déjà en tête.
Pour en savoir plus sur la stratégie de Lisbonne :
*http://www.homme-moderne.org/societe/politics/savoiragir/n05/lisbonne.html
*http://ec.europa.eu/growthandjobs/index_fr.htm
Après huit ans "d’adaptation" de l’Union à la "mondialisation" le constat est plutôt sombre. L’Union est loin d’être l’économie la plus compétitive au monde. Beaucoup parle d’échec de la "stratégie de Lisbonne" et le Président BARROSO, qui a été très actif sur le sujet, prévoit aujourd’hui de revoir cette dernière à l’horizon 2010, pour fixer une nouvelle stratégie qui serait mise en oeuvre sur la période 2010-2020. J’invite, à ce propos, tous les lecteurs à lire les prochaines nouvelles sur le sujet, car ce sera, n’en doutez pas, le programme qui sera mis en oeuvre par le prochain locataire de l’Elysée. Qu’il s’appelle Nicolas SARKOZY, Ségolène ROYAL, ou Barnabé DUPONT. Quelques éléments pour commencer :
*http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000624/0000.pdf
Dénoncer l’incompétence de M. COWEN revient donc à dénoncer l’incompétence de M. BARROSO et de sa Commission, puisque l’Irlande est régulièrement sacrée "meilleure élève" dans le suivie des "directives" et "règlements" de ladite Commission.
On peut sincèrement se demander si ce n’est pas cette "stratégie" dont les fondamentaux - projet de société, de "civilisation" comme dirait M. SARKOZY - ont été oubliés au profit d’une Europe "compétitive" exclusivement, qui est responsable, en partie, des difficultés actuels du pays. Si la comparaison est audacieuse, on peut noter que ce qui préserve la France de la situation irlandaise ou de l’Angleterre, c’est le refus énergique des Français aux mesures les plus "sociales" de la Commission. (Ce qui a conduit les Gouvernements à se passer la patate chaude, et Jacques Chirac a purement et simplement arrêté de faire quoi que ce soit pendant les deux ans qui ont suivi le référendum de 2005)
Le "mauvais élève" qu’est la France, aurait il finalement bien fait, par rapport à l’assidu élève irlandais, aujourd’hui ébranlé par un système financier aux pieds d’argile ? Si Brian COWEN a commis, de toute évidence (la stratégie de Lisbonne fonctionne sur le modèle entrepreneurial du benchmarking : il n’y a pas d’obligation juridique à réaliser la stratégie de Lisbonne, "seulement" une forte incitation à le faire, via la pression des "pairs") la faute de ne pas savoir penser par lui même, l’UE ne peut s’exclure de la moindre responsabilité en la matière.
Quatrième point d’importance : ratifier le traité permettrait de sortir plus rapidement de la crise économique, financière, et sociale. Cet argument peut être très facilement battu en brêche.
D’une part, la Commission BARROSO n’a pas "sonné le tocsin". Or...C’est précisément pour alerter les Etats membres d’un danger pour la communauté européenne, que la Commission a du sens. Il a fallu que Brian COWEN et d’autres prennent des mesures nationales, c’est à dire la mette devant le fait accompli, pour qu’elle s’active un peu, et encore.
Il est vrai que le Président BARROSO avait d’autres préoccupations : sa réélection par ex. Parler de régulation des marchés financiers, de garantie de dépôts pour les épargnants, auraient eu la fâcheuse tendance de froisser certains bons amis dudit Président, tel Monsieur BROWN ou la chancelière Allemande.
Quant à l’anticipation...La crise hypothécaire a eu lieu un an avant l’effondrement du marché américain, qui a entraîné la crise économique et financière.
On peut aussi noter que le petit monde bruxellois, et notamment la Commission, n’en ont que pour l’élection du Président de la Commission, et le marchandage des postes anime tout ce beau monde. Pendant ce temps là, la crise continue... Et l’Union est, et reste, toujours aveugle aux signes annonciateurs d’une rechute. Mais que vaut la menace d’un nouvel effondrement des marchés financiers par rapport à la question brûlante de savoir si M. BARROSO sera investi en septembre ou après ? (Comme il n’y pas d’autres postulants, je vois mal qui pourrait être "mandaté" par les 27 et le PE...Même Cohn Bendit n’est pas prêt à se lancer.)
D’autre part, le traité de Lisbonne ne donne aucun moyen à l’UE pour intervenir plus qu’elle ne le fait sous Nice. Et si elle n’a pas jugé d’user des outils à sa disposition, on voit mal pourquoi elle le ferait maintenant. On se souviendra notamment de l’indifférence de M. BARROSO lors des difficultés de Airbus. Quand il s’agit d’applaudir un "succès européen" l’Union sort le champagne, et fait la publicité du succès. Mais quand l’entreprise accuse de sérieux problèmes, qui la conduise à faire d’importants plans sociaux - sans doute pour supprimer ses salariés "excédentaires" - soudain elle retrouve une double nationalité, et ne semble pas être un élément de la politique industrielle européenne, en dépit du caractère symbolique de cette société atypique, qui aux yeux des citoyens d’Europe fait l’objet d’un attachement qui n’est pas éloigné de celui des Français pour des "Institutions" comme EDF, la Poste, et quelques autres. Bref, les succès sont européens, et les soucis nationaux. Beau sens de la responsabilité !
Si on ajoute à cela que la finance étant internationale, et que dès lors la crise que cette dernière a générée ne pourra être résolue qu’au plan international, via le G20 et avec l’aide du FMI, il est farfelu de penser - par idéologie ? - que l’UE serait en toute matière "efficiente". Comme les Etats membres, l’Union a aussi ses limites. Si elle peut être efficace pour, par ex, surveiller les frontières de l’UE, il n’en va pas de même, quand la matière dépasse son champ d’influence.
Le G20 est à cet égard symbolique. Rien n’a pu être décidé tant que le Président des USA n’était pas élu. Preuve que 27 Etats membres peuvent bien être unis sur une question, ils ne font pas le poids devant les USA.
Laissez croire que le traité de Lisbonne offrirait à l’UE une "voix" plus importante, est d’un ridicule sans nom. L’union ne fait pas toujours la force. La France est à cet égard l’exemple type de la contre argumentation en faveur de l’Union Européenne, qui parce qu’unie, pèserait plus au niveau international. L’Histoire de France démontre que ce n’est pas la taille qui compte, mais la volonté politique et l’image véhiculée par le pays.
On ne peut être que frappé, à cet égard, par la myopie d’une partie des médias, qui sont allés expliquer que Nicolas SARKOZY avait (re)lancé l’Europe politique ! Un observateur averti sait que Nicolas SARKOZY n’a pu organiser des réunions internationales, intervenir dans un conflit, peser de tout son poids, que parce qu’il est le Président de la France. Aurait il été Président de la Bulgarie, de la République Tchèque, voire même de l’Italie, qu’il n’aurait pas pu réaliser ce qu’il a fait lors de la présidence européenne de la France. Nicolas SARKOZY qui demande, au nom de la France, une réunion du G20, c’est légitime, et c’est ce qu’on attend d’un Président d’un pays connu pour son interventionnisme étatique. C’est ce qu’on attend de la France, qui pour des raisons qui peuvent surprendre, est et demeure, en dépit des déceptions qu’elle a pu susciter au cours de sa longue existence, un immense espoir dans de nombreux pays, et un pays "qui compte" au niveau européen, parce qu’il n’a pas sa langue dans sa poche. (Du moins est ce la vision idéalisée de la France)
M. BARROSO ou un éventuel "Président de l’Union" qui fait la même demande, c’est des sarcasmes et une fin de non recevoir.
La France est la France, et on n’éconduit pas la France. L’Union Européenne n’est que la remorque des USA, quel besoin aurait on de l’écouter ? Toute la différence est là. Derrière la France, il y a du monde. Et la France se fait le porte parole de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas s’exprimer, pour x ou y raison. Alors que derrière M. BARROSO, il n’y a, au fond, que 27 commissaires illégitimes, qui ont souvent des opinions aux antipodes de celles des "européens" dont ils sont pourtant censés défendre les intérêts.