jeudi 25 janvier 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Nicolae Ceaucescu, le dictateur communiste des Carpates

« Le religieux parfait prie si bien qu’il ignore qu’il prie. Le communisme est si profondément une religion, terrestre, qu’il ignore qu’il est une religion. » (Jacques Maritain, "Humanisme intégral", 1935).

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Toutes les institutions communistes avaient été créées avant lui : la dictature communiste, le parti, la Securitate. Il n’avait plus qu’à les utiliser à son profit et à celui des siens, à commencer par son épouse. Nicolae Ceaucescu est né il y a un siècle, le 26 janvier 1918. Il fut l’un des autocrates communistes les plus durs d’Europe et probablement le plus dur quand souffla le vent de liberté des révolutions de 1989 qui secouèrent le Bloc soviétique. Il a péri comme il a gouverné.

Faudrait-il parler de folie ? Peut-être au moins de folie des grandeurs pour cet ancien apprenti cordonnier qui n’a pas fait d’étude. Il se faisait appeler le "génie des Carpates", ou encore le "Danube de la pensée" ou, plus simplement, le "Conducator" comme un prédécesseur nazi. La sanguinaire Securitate veillait à son pouvoir. Tout n’était que népotisme, tyrannie et cruauté.

Sans faire de psychologie à deux balles, on pourrait imaginer qu’un père alcoolique et violent dans une famille de dix enfants a pu contribuer à forger ce type d’esprit. Nicolae Ceaucescu a quitté sa famille à l’âge de 11 ans avec une sœur pour fuir leur père. Il s’est retrouvé dans la capitale roumaine, à Bucarest, en 1929, et a fait régulièrement de la prison probablement pour des larcins. Sa biographie officielle laissait entendre qu’il avait été arrêté parce qu’il était membre du parti communiste roumain mais il serait plus probable qu’il ait au contraire connu le parti communiste en prison (en 1937 ou 1938).

Évoquons rapidement la manière dont les communistes ont réussi à prendre le pouvoir en Roumanie après 1944. Initialement, la conférence de Yalta avait insisté sur le caractère démocratique du processus qui devait désigner les futurs gouvernements européens, mais Staline refusa d’écouter les protestations de Churchill et Truman à la conférence des Alliés suivante, à Potsdam…

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Royaume de Roumanie a connu un régime fasciste. En effet, la défaite de la France en juin 1940, qui était le principal protecteur de la Roumanie, a eu des conséquences dans cette monarchie dirigée par Carol II (1893-1953). Le 6 septembre 1940, Ion Antonescu (1882-1946), maréchal pro-nazi, a fait un coup d’État et est devenu le "Conducator" de la Roumanie. Il renversa Carol II et remit sur le trône à sa place son fils, Michel Ier de Roumanie (qui est mort récemment le 5 décembre 2017 à 96 ans), déjà sur le trône entre le 20 décembre 1927 et le 8 juin 1930 (son père Carol II avait initialement refusé de devenir roi).

La dictature de Ion Antonescu (qui s’était donné le titre de "Chef de l’État du Royaume de Roumanie") s’effondra avec l’arrivée de l’Armée rouge en mars 1944 (elle ne quitta la Roumanie qu’en 1957). Michel Ier déclencha un coup d’État le 23 août 1944 en arrêtant Ion Antonescu (qui fut condamné à mort le 17 mai 1946 et exécuté le 1er juin 1946). Le général Constantin Sanatescu (1885-1947) fut nommé Premier Ministre (Président du Conseil des Ministres), déclara la guerre à l’Allemagne, fit l’armistice avec l’URSS le 12 septembre 1944 et a fait rejoindre la Roumanie dans le camp des Alliés à la fin de la guerre. Le second gouvernement de Constantin Sanatescu fut investi démocratiquement le 4 novembre 1944 par le parlement, mais l’URSS imposa sa démission le 2 décembre 1944.

Michel Ier le remplaça par le général Nicolae Radescu (1874-1953) le 7 décembre 1944 mais là encore, trop clément avec les fascistes roumains, il ne convenait pas à l’Union Soviétique qui le fit limoger le 1er mars 1945 après des manifestations et des émeutes très violentes (menacé de mort par les milices, Nicolae Radescu a fui la Roumanie).

Finalement, les communistes roumains dirigés par Gheorghe Gheorghiu-Dej (1901-1965) et Ana Pauker (1893-1960), future Ministre des Affaires étrangères, firent un coup d’État le 6 mars 1945 et placèrent Petru Groza (1884-1958), fondateur et dirigeant du Front des laboureurs, un parti très influent qui rassemblait alors plus d’un million d’adhérents (l’équivalent du parti communiste roumain), à la tête du gouvernement entre le 6 mars 1945 et le 2 juin 1952. Petru Groza était une sorte de porte-voix non communiste d’un gouvernement dominé par les communistes (Armée, Intérieur, Justice, Communications, Propagande, Finances). Le Front des laboureurs a par la suite fusionné avec le parti communiste (en 1953).

Petru Groza a obtenu un grand succès dès le 10 mars 1945 en convainquant Staline, initialement hostile, de permettre à la Roumanie d’annexer la Transylvanie du Nord (promettant des droits à la minorité hongroise), mais son assise politique était internationalement très faible. Pas reconnu par les États-Unis et le Royaume-Uni dès juillet 1945 et malgré la fraude massive lors des élections du 19 novembre 1946 (la coalition a revendiqué 69,8% des voix), le gouvernement n’était pas encore (totalement) communiste. Les dirigeants communistes préféraient garder une façade de gouvernement de coalition.

Opposé à Petru Groza, Michel Ier chercha à renverser le gouvernement sans succès malgré quelques tentatives (notamment une "grève royale"). Finalement, il fut contraint de démissionner le 30 décembre 1947 et la "République populaire de Roumanie" fut proclamée. Le communiste Constantin Ion Parhon (1874-1969) fut alors placé Président du Présidium de la Grande Assemblée nationale de la République populaire de Roumanie du 30 décembre 1947 au 12 juin 1952, une fonction honorifique de chef de l’État.

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En fait, dès le 6 mars 1945, le véritable chef du pouvoir était Gheorghe Gheorghiu-Dej, stalinien, qui fut le secrétaire général du parti communiste roumain de 1944 à sa mort en 1965, Président du Conseil des Ministres du 2 juin 1952 au 3 octobre 1955 (succédant à Petru Groza devenu Président du Présidium de la Grande Assemblée nationale du 12 juin 1952 au 7 janvier 1958), puis Président du Conseil d’État (nouvelle appellation du chef de l’État) du 21 mars 1961 au 19 mars 1965 (à sa mort). En 1952, Gheorgiu-Dej avait réussi à éliminer tous ses rivaux au sein du parti communiste, en particulier Stefan Foris (1892-1946), secrétaire général du parti communiste de 1940 à 1944, assassiné par la Securitate, Ana Pauker, écartée, Vasile Luca (1898-1963), arrêté, etc. En tout, près de la moitié du million d’adhérents du parti communiste furent exclus selon la méthode des purges staliniennes.

Gheorgiu-Dej fut donc progressivement le seul maître de la Roumanie. Refusant la déstalinisation et par nationalisme, il mena la Roumanie dans une sorte d’indépendance diplomatique en nouant de bonnes relations avec la Chine, la Yougoslavie, l’Albanie, etc. Le Ministre roumain des Affaires étrangères entre le 15 juillet 1957 et le 15 janvier 1958 fut Ion Gheorghe Maurer (1902-2000) qui fut ensuite le chef de l’État, Président du Présidium de la Grande Assemblée nationale du 11 janvier 1958 au 21 mars 1951 puis Premier Ministre du 21 mars 1951 au 28 mars 1974.

Lorsque Gheorghiu-Def est mort d’un cancer le 19 mars 1965, il avait déjà désigné son dauphin Nicolae Ceaucescu, même si ce dernier pouvait craindre un rival en la personne de Gheorge Apostol (1913-2010), très proche collaborateur de Gheorghiu-Def, ministre, plusieurs fois Président de la Grande Assemblée nationale entre 1948 et 1952, et très bref secrétaire général du parti communiste roumain entre 1954 et 1955, quand Gheorghiu-Def était Premier Ministre. Selon Gheorge Apostol, ce dernier avait été choisi en 1964 par Gheorghiu-Def, alors malade, pour lui succéder, ce qui expliqua sa présence pour représenter la Roumanie aux funérailles de Jawaharlal Nehru le 28 mai 1964. Pour écarter Gheorge Apostol, le Premier Ministre Ion Ghorghe Maurer a alors expliqué aux autres dirigeants communistes roumains que Nicolae Ceaucescu serait la meilleure solution "neutre" pour eux.

Nicolae Ceaucescu a été emprisonné pendant la guerre, entre 1940 et 1944, ce qui lui a permis de sympathiser avec Gheorghiu-Def dont il fut ainsi le protégé au sein du parti communiste. Ceaucescu a gravi progressivement toutes les marches du pouvoir : chef des jeunesses communistes, puis ministre à l’Agriculture puis aux Armées, membre du comité central en 1952, du bureau politique en 1954, enfin numéro deux du parti.

Coopté le 22 mars 1965 comme secrétaire général du parti communiste roumain, Nicolae Ceaucescu est devenu le maître de la Roumanie, cumulant les fonctions de chef de l’État à partir de 1967 : Président du Conseil d’État du 9 décembre 1967 au 28 mars 1974, puis Président de la République socialiste de Roumanie du 28 mars 1974 au 22 décembre 1989.

Succédant à Gheorghiu-Def à la tête de l’État, un des proches de ce dernier, Chivu Stoica (1908-1975) fut nommé Président du Conseil d’État du 24 mars 1965 au 9 décembre 1967 (avant de laisser le poste à Nicolae Ceaucescu) après avoir été Premier Ministre du 21 octobre 1955 au 21 mars 1961.

Le 23 décembre 1947, Nicolae Ceaucescu a épousé Lenuta Petrescu devenue Elena, née le 7 janvier 1916 (elle avait deux ans de plus que lui, ce qui était suffisamment rare pour falsifier, en plus de son prénom, sa date de naissance devenue 7 janvier 1919). Ils s’étaient rencontrés en 1939 au sein du parti communiste roumain. Elle était alors ouvrière et était depuis deux ans communiste.


Après l’accession au pouvoir de son mari, Elena Ceaucescu prit des responsabilités politiques de plus en plus importantes, à partir de l’été 1972. Elle fut la numéro deux du régime à partir de 1975, comme son fils Nicu (1951-1996), et faisait même figure de possible successeur. Elle provoqua l’éviction du Premier Ministre Ion Gheorghe Maurer et fut nommée elle-même Vice-Premier Ministre à partir de juin 1987.

Elena Ceaucescu, malgré tous les titres universitaires qu’elle accumula plus tard, était peu capable intellectuellement et n’avait pas achevé des études médiocres à l’école. Grâce à la complicité d’un véritable scientifique rapidement monté en grade, elle était pourtant considérée comme universitaire et chercheur, membre de l’Académie des sciences, directrice générale de l’Institut de recherches chimiques roumain, et docteur en chimie après le refus d’un premier directeur de thèse (le régime cherchait alors à corrompre les scientifiques). Pour des raisons de politique étrangère, Elena Ceaucescu a pu ainsi recevoir des doctorats honoris causa de nombreuses universités dans le monde, à Téhéran, New York, Quito, Manille, Lima, Buenos Aires, Lima, Mexico, Athènes, etc. Les dictatures communistes avaient l’habitude de prendre la science comme sujet de propagande politique (voir Lyssenko).



Sur le plan intérieur, Nicolae Ceaucescu a verrouillé tout le pays autour de son couple, renforçant le culte de la personnalité assez courant dans une dictature communiste. Éliminant tous ses opposants, il organisa une société fondée sur le népotisme, même si de ses trois enfants, deux contestèrent son autorité : Zoia (1949-2006) fut une mathématicienne réelle qui a protégé les mathématiciens roumains de son père, et surtout Valentin (né en 1948), pseudo-physicien qui s’est marié le 3 juillet 1970 avec la fille de Petre Borila (1906-1973), Vice-Premier Ministre et le principal rival de Nicolae Ceaucescu au sein du parti communiste. Seul, son fils Nicu fut associé au régime et considéré comme son futur héritier.

Au-delà de la répression politique (les spécialistes ont estimé à 2,2 millions le nombre de personnes tuées par la dictature communiste entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, soit 10% de la population totale, sans compter les centaines de milliers de prisonniers politiques dans des camps qui n’ont rien à envier au goulag), le régime Ceaucescu a multiplié les décisions absurdes.

Ainsi, le décret n°770 du 1er octobre 1966 a remis en cause la législation très libérale en faveur de l’avortement adoptée en 1957. L’objectif était un renforcement de la natalité du pays, si bien que cette politique a favorisé une surnatalité de 2 millions de naissances en plus (surtout à la fin des années 1960 et début des années 1970) et une surmortalité maternelle (évaluée à 11 000 mères mortes).

Approchant "1984" d’Orwell, des contrôles gynécologiques se faisaient régulièrement sur le lieu de travail, pour détecter la moindre femme enceinte et la surveiller jusqu’à l’accouchement pour l’empêcher d’avorter. Les moyens contraceptifs étaient interdits et inconnus des mœurs, et les frontières fermées empêchaient les avortements à l’étranger. Cela a expliqué la mise en place de nombreux orphelinats dans des conditions d’hygiène particulièrement dégradées pour les nombreux enfants abandonnés. Des enfants en situation de handicap furent trouvés dans des mouroirs découverts à Ghiorac en mars 1990 par des journalistes. Ces mouroirs furent considérés comme moyens d’une politique d’euthanasie massive à visée eugénique.

En politique étrangère, Nicolae Ceaucescu a été très malin et s’est attiré la sympathie du "camp occidental" en esquissant une politique d’ouverture comme "ambassadeur" du Bloc soviétique : ainsi, il a entretenu de bonnes relations avec les États-Unis, la France, l’Europe de l’Ouest en général, etc.

Par nationalisme, il a refusé de rester aligné sur les positions de l’Union Soviétique, au point de soutenir le Printemps de Prague et s’opposer à l’intervention militaire soviétique à Prague en 1968, de revendiquer la Moldavie (intégrée à l’URSS), de rester neutre dans le conflit sino-soviétique, de ne pas rompre avec Israël et même de participer aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984 alors boycottés par le Bloc communiste (en raison du boycott des JO de Moscou en 1980 provoquée par l’invasion soviétique de l’Afghanistan). Le point de paroxysme a été atteint pour les Français lorsque Nicolae Ceaucescu a reçu en visite officielle le Général De Gaulle du 14 au 19 mai 1968 alors que ce dernier se faisait huer à Paris par les révoltés étudiants.

Néanmoins, la répression sanglante en Tchécoslovaquie et le sort des dirigeants du Printemps de Prague ont fait changer d’avis Nicolae Ceaucescu. Craignant d’être lui-même évincé par les dirigeants soviétiques, il abandonna dès 1969 le fameux "socialisme à visage humain" au profit, après son voyage en Chine et en Corée du Nord de 1971, d’une sorte de Révolution culturelle roumaine.

Les rencontres de Nicolae Ceaucescu avec Richard Nixon et Gerald Ford ne l’ont pas empêché, effectivement, de rencontrer Kim Il-Sung, le dictateur communiste de Corée du Nord, au point de vouloir reprendre pour le compte de la Roumanie la "philosophie du Juche" fondant l’indépendance nationale sur l’autosuffisance économique et l’autonomie militaire. Comme beaucoup de dictateurs communistes, Ceaucescu fut aussi un adepte du protochronisme (qui consiste à croire qu’une nation moderne provient directement d’une population spécifiquement homogène de l’Antiquité).

Des transformations très importantes ont eu lieu aussi sur le plan urbain : les centres-villes furent détruits, les maisons et monuments historiques représentant trop la bourgeoisie, au profit de grands immeubles bétonnés souvent insalubres (sans eau, sans électricité, sans chauffage). Cela permettait une meilleure surveillance de la vie sociale des personnes. Ceaucescu réussissait d’ailleurs à obtenir des financements internationaux grâce à sa politique étrangère.

Des villages furent rasés, des quartiers entiers furent rasés à Bucarest, dont un cinquième du centre-ville au profit de la "Maison du Peuple" (actuel Palais du Parlement), le deuxième plus grand bâtiment administratif du monde (après le Pentagone). Il suffit de se rendre à Bucarest pour voir la mégalomanie de Nicolae Ceaucescu dans ce projet qui a expulsé et relogé 40 000 habitants. Commencée en 1984, la construction n’était pas encore achevée en fin 1989 et fut poursuivie à cause des coûts déjà engagés. Donald Trump a même proposé (sans succès) d’acheter le bâtiment pour en faire le plus grand casino du monde.

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Cette politique de bétonnage à outrance, qui, dans tout le pays, a délogé 320 000 personnes et tué 3 000 personnes par le froid et l’insalubrité, a aussi provoqué la prolifération de chiens errants (encore trop nombreux maintenant en Roumanie), car les habitants qui vivaient dans des petites maisons avec jardin ne pouvaient plus garder leurs chiens dans ces nouveaux appartements, si bien qu’ils ont dû les abandonner.

L’année 1989 fut une année-charnière pour les dictatures communistes en Europe : premier gouvernement non communiste en Pologne et chute du mur de Berlin. En automne 1989, presque tous les pays d’Europe centrale et orientale se libérèrent du joug communiste, de manière exceptionnellement pacifique… sauf en Roumanie.

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Pour protester contre l’expulsion d’un pasteur d’origine hongroise par la Securitate, une grande manifestation interdite s’est déroulée le 16 décembre 1989 dans les rues de Timisoara, à l’ouest du pays. Le lendemain, une nouvelle manifestation a eu lieu, violemment réprimée par les forces de l’ordre et par l’arrivée des blindés. Le surlendemain, des jeunes ont chanté l’ancien hymne national interdit. Le 21 décembre 1989, cent mille ouvriers ont manifesté à Timisoara contre le pouvoir communiste. Dans d’autres villes du pays, des mouvements similaires semblaient aussi s’organiser, laissant croire plus à un coup d’État préparé qu’à une révolution spontanée.

Pendant ce temps, Nicolae Ceaucescu était en visite officielle en Iran. Quand il est rentré à Bucarest, la situation était particulièrement tendue, car, d’une part, le monde entier était informé des manifestations et de la répression à Timisoara (au contraire de la population roumaine), et d’autre part, par une entreprise de désinformation, on avait montré à la télévision des charniers pour prouver un massacre perpétré par l’armée roumaine (en fait, c’était un charnier de la morgue de Timisoara).

Pour montrer la popularité de son pouvoir, Ceaucescu, trop sûr de lui, a fait organiser un grand rassemblement à Bucarest le 21 décembre 1989, devant le bâtiment du comité central où siégeait Nicolae Ceaucescu. Diffusé en direct à la télévision, le discours du dictateur fut interrompu à la huitième minute par des cris "Timisoara !". Dépassé par les événements au bout de quelques minutes, Ceaucescu interrompit son discours, la retransmission coupa, et le chef du parti communiste se réfugia dans son bâtiment, pendant que le peuple roumain, informé en temps réel par la télévision, sortit dans les rues. Dans la nuit du 21 au 22 décembre 1989, les chars ont pris position et l’armée a reçu l’ordre de tirer sur la foule pour la disperser, mais elle ne fit rien, sans doute pour ne pas renouveler l’horreur de Tiananmen le 4 juin 1989 à Pékin. Un jeune journaliste français de 31 ans, Jean-Louis Calderon, perdit la vie à cette occasion, écrasé par un blindé au cours d’une manœuvre.


Le 22 décembre 1989, Nicolae Ceaucescu et son épouse Elena (qui avait suscité la même haine) prirent la fuite au bord d’un hélicoptère qui se posa cependant à 50 kilomètres au nord-ouest de Bucarest, près de Targoviste. On ne sait pas très bien si le pilote était un insurgé qui a délibérément déposé le couple de tyrans à l’endroit voulu ou s’il a dû poser l’appareil en catastrophe par manque de carburant, mais ce qui fut sûr, c’est que Nicolae et Elena Ceaucescu furent retenus pendant trois jours par des militaires en plein attentisme, ne sachant pas dans quel camp être.

Ce qui était sûr aussi, c’est que les Ceaucescu furent, par leur fuite, renversés ce 22 décembre 1989 et les bâtiments officiels furent pénétrés par la foule de Bucarest. Le 23 décembre 1989, Ion Iliescu (né en 1930) et Petre Roman (né en 1946), entre autres, sont apparus à la télévision roumaine et ont proposé la formation d’un gouvernement pluraliste, initialement dans le cadre du Bloc soviétique et d’un "socialisme à visage humain". Dès le 24 décembre 1989, le socialisme et le communisme furent finalement abandonnés au profit d’une démocratie parlementaire classique "à l’occidentale".

Un pseudo-procès de moins d’une heure, dans une salle de classe d’une école, a eu lieu le 25 décembre 1989, le jour de Noël, pour les juger et les condamner à mort pour génocide dans la répression à Timisoara. Aucun des deux n’a reconnu l’autorité de ce pseudo-tribunal et ils refusèrent de prendre la parole et de se défendre, voulant être jugés par les instances officielles de leur propre régime.

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Quelques minutes plus tard, Nicolae et Elena Ceaucescu furent fusillés. On aurait plus tendance à parler d’assassinat que d’exécution. Le procès et la fusillade furent filmés et diffusés dans les télévisions du monde entier. C’était tellement mal préparé que les personnes qui les ont fusillés n’ont même pas attendu que le cameraman ait eu le temps d’allumer sa caméra et d’être prêt à filmer. Ces films choquèrent plus par la violence et l’absence d’État de droit que par l’élimination physique du dictateur.

Le 26 décembre 1989, le nouveau pouvoir fut constitué et cela ressemblait plus à une révolution de palais dans l’appareil communiste qu’à une véritable révolution populaire. L’Office national pour le culte des héros a estimé à 1 104 morts (dont 564 à Bucarest, 93 à Timisoara, 90 à Sibiu, 66 à Brasov et 26 à Cluj) le lourd bilan humain de cette révolution. Le roi Michel Ier de Roumanie est revenu dans son pays en décembre 1990 après cinquante-trois ans d’exil, mais les nouveaux dirigeants du pays Ion Iliescu et Petre Roman l’ont expulsé de nouveau, de peur qu’il ne rétablît la monarchie. L’ex-roi n’a pu revenir qu’en 1997, après avoir convaincu la classe politique qu’il n’avait plus aucune prétention à régner.

Petre Roman (né en 1946) fut nommé Premier Ministre du 26 décembre 1989 au 26 septembre 1991. Il fut ensuite Président du Sénat du 27 novembre 1996 au 4 février 2000 et de nouveau au gouvernement, comme Ministre des Affaires étrangères du 22 décembre 1999 au 28 décembre 2000. Il s’est présenté sans succès à de nombreuses élections présidentielles.

Quant à Ion Iliescu, véritable bénéficiaire de cette "révolution", il fut Président de la République du 22 décembre 1989 au 29 novembre 1996 et du 20 décembre 2000 au 20 décembre 2004, élu le 20 mai 1990 dès le premier tour avec 85,1% des voix, réélu le 11 octobre 1992 au second tour avec 61,4% (le 27 septembre 1992 au premier tour 47,2%) face à Emil Constantinescu (né en 1939), battu par Emil Constantinescu le 17 novembre 1996 au second tour avec seulement 45,6% (Petre Roman fut candidat et n’a obtenu que 20,5% au premier tour le 3 novembre 1996), réélu le 10 décembre 2000 au second tour avec 66,8% face à Corneliu Vadim Tudor (1949-2015) tandis que Petre Roman fut candidat avec seulement 3,0% au premier tour le 26 novembre 2000.

Ion Iliescu ne s’est pas représenté à l’élection présidentielle de 2004 où Traian Basescu (né en 1951) a battu Adrian Nastase (né en 1950) le 12 décembre 2004 avec 51,2% (Petre Roman, toujours candidat, n’a fait que 1,4% au premier tour le 28 novembre 2004). Adrian Nastase fut Premier Ministre du 28 décembre 2000 au 21 décembre 2004 puis Président de la Chambre des députés du 21 décembre 2004 au 16 mars 2006.

La Roumanie a très tardivement honoré la mémoire des résistants du communisme, seulement en mai 2016 avec un monument devant la Maison de la presse libre à Bucarest, inauguré par le Président Klaus Iohannis (né en 1959) à l’ancien emplacement d’une statue géante de Lénine (érigée le 21 avril 1960 et démantelée le 3 mars 1990). De nos jours, Bucarest est devenue une capitale européenne, cosmopolite et moderne, "classique", où se croisent, entre autres, touristes, hommes d’affaires, artistes et mannequins. Le cauchemar est terminé…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 janvier 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Nicolae Ceaucescu.
Michel Ier  de Roumanie.
Eugène Ionesco.
La Révolution russe.
Un dictateur parmi d’autres.

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10 réactions


  • antiireac 25 janvier 2018 11:00
    Nicolae Ceaucescu, le dictateur communiste des Carpates

    Une telle dénomination en dit long ce qu’était cette pourriture de ceaucescu.

  • zygzornifle zygzornifle 25 janvier 2018 12:38

    sa femme l’appelait Ceau seize culs car c’était un pétomane ....


  • antiireac 25 janvier 2018 12:39

    ....sur ce qu’était...


  • antiireac 25 janvier 2018 12:54

    Il est bon de rappeler les méfaits du communisme qui dans son temps partout il a porté des dictatures au pouvoir (et même aujourd’hui d’ailleurs : la Corés du Nord, la Chine)


    • Emohtaryp Emohtaryp 25 janvier 2018 17:23

      @antiireac

      Il est bon de rappeler les méfaits du communisme

      Mais pas du capitalisme ??? et pas tous les « ismes » en général ????


    • antiireac 25 janvier 2018 19:31

      @Emohtaryp
      Ce n’est pas la même chose

       le communisme est une idéologie la plus mortifère qui fut inventé par l’ homme
      alors que le capitalisme n’est pas une idéologie mais une page de d’économie qui n’a jamais appelé au meurtre.

    • antiireac 25 janvier 2018 19:48

      @antiireac
      D’ailleurs il est plus juste d’opposer le communisme à la démocratie car le capitalisme peut se développer dans tous le milieux alors que le communisme ne se développe que dans la dictature...


  • steklo steklo 26 janvier 2018 02:59

    Tout ça n’est que de la propagande capitaliste. L’essentiel est que tous les anciens roumains qui ont vécu sous son régime regrette cette époque et on bien conscience, contrairement aux jeunes, que la dictature violente, inhumaine, c’est aujourd’hui qu’ils la subissent. Le peuple roumain paye amèrement l’exécution du couple.


    • Kally 15 février 2019 15:13

      @steklo Votre commentaire est une honte. Fille d’une femme roumaine ayant passé les premières trente années de sa vie sous le joug de ce régime qui lui a interdit de se rendre à l’étranger dans le cadre de ses études et de son travail et qui a régulièrement souffert de la faim comme de l’espionnage généralisé qui se pratiquait à cette époque entre voisins, je trouve scandaleux les ’arguments’ de personnes comme vous qui pensent que le meilleur moyen de s’attaquer au capitalisme (qui est en effet porteur de beaucoup de maux) est de défendre une dictature totalitaire qui a tout pris à son peuple. La prochaine fois, renseignez-vous un peu de déverser vos bêtises sur Internet : des livres sont à disposition dans les bibliothèques (par exemple « Quand la chenille devient papillon ou La dictature roumaine vue par une adolescente libre » par Marina Anca), et je pense que beaucoup de Roumains seront ravis de vous raconter leurs expériences.
      Bonne journée.
      PS : merci au rédacteur de l’article. L’histoire de la Roumanie, y compris avant le régime de Ceaucescu, est trop peu connue en France.


  • GANGLINIZ 14 août 2019 13:53

    article instructif mais trop à droite ou trop à gauche enfin une de ces pathologie droitarde

    ou gauchiste qui sont fondues dans le fer de la lance du capitalisme puisque diviseuses.

    Il n’y a pas eu de communisme réel mais du capitalisme d’état car l’argent n’était pas abolie.

    lisez Marx avant d’en faire une critique ; certes c’est pénible car pas de style, hé oui c’est une notice.

    Marx a dit lui même qu’il n’était pas marxiste voyant ce que les foncièrement haineux et dominateurs en avait fait.

    Les amalgames et le manque de discernement c’est insupportable et de plus en plus présent car bien guidé par le capitalisme justement.

    K. Marx était pour l’abolition de l’argent ou notion de valeur d’échange qui apparue avec les premiers trocs et qui créa tout doucement le remplacement du besoin humain par le besoin solvable et ainsi de suite... perversité narcissique d’accumulation et bref... se renseigner !!

    le concept de gemeinweisen est un idéal utopiste qui doit renaître d’une stratégie politique que serait l’aufhbung (revenir au plus petit dénominateur « commun » et l’inculquer au reste sauf si il présente des arguments contraires sur terre et partout où le progrès nous emmenera. 

    P.S : le progrès est totalement à dissocier de la valeur d’échange (exemple simple : l’homme créa ou découvrit des tas de choses pour des besoins humains et non solvables feu, fer, taille de pierre... etc.

    le capitalisme est l’inévitable crise d’adolescence de l’humanité ; maintenant quelle devienne adulte.

    aller j’ai plus l’temps, lisez, ayez du bon sens et surtout soyez idéaliste, ne vous occupez pas de traiter les effets mais la cause.

    sachez tout de même que dans un monde idéal d’amour de l’autre le dominateur pathologique est un ennemi à abattre ou et je préfère éduquer ou soigner.


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