mardi 22 juillet 2008 - par Aaborg

Nicolas Sarkozy et la démocratie sélective

La décision est tombée sans crier gare lors d’une réunion à l’Elysée avec les députés de la majorité parlementaire : sur le traité de Lisbonne et le rejet du texte par les Irlandais le 13 juin dernier, le chef de l’Etat a tranché : l’Irlande devra revoter ! Pourtant, la semaine dernière encore devant le Parlement européen, Nicolas Sarkozy avait indiqué qu’il proposerait une solution au "non" irlandais soit en octobre, soit en décembre afin de ne pas bousculer les Irlandais. Alors qu’il doit se rendre en Irlande le 21 juillet, qu’est-ce qui a pu pousser Nicolas Sarkozy à prendre une décision aussi rapidement ?

Depuis qu’il a été élu président de la République voilà un peu plus d’un an, Nicolas Sarkozy nous avait habitué à des retournements de situation, mais jamais à des revirements aussi rapides. C’est désormais chose faite. Depuis ses déclarations devant les députés UMP, le chef de l’Etat a provoqué la colère des partisans du "non" irlandais et suscité un tollé des députés européens contre la décision de vouloir refaire voter l’Irlande sur le traité de Lisbonne.

Mais quelle mouche a donc pu piquer Nicolas Sarkozy pour précipiter une décision si importante sur la construction européenne alors qu’il avait assuré lors de son discours devant le Parlement européen, le 10 juillet dernier, qu’il ne voulait "laisser personne derrière" et que "l’Europe à plusieurs vitesses ne pouvait être qu’un dernier recours".

La volonté de Nicolas Sarkozy de faire revoter l’Irlande sur un texte qu’elle a déjà refusé peut paraître surprenante même si, à bien y réfléchir, elle ne l’est pas pour autant. Petit retour en arrière pour comprendre la situation : en 1992, le Danemark avait d’abord rejeté le traité de Maastricht lors d’une consultation référendaire avant de finalement dire "oui" l’année suivante à la suite d’une campagne d’information menée d’arrache-pied par le nouveau Premier ministre de l’époque, Poul Nyrup Rasmussen. Scénario identique en 2001 avec l’Irlande qui avait commencé par dire "non" à son tour au traité de Nice avant de se rétracter et de l’adopter l’année suivante. "Jamais deux sans trois ?" a dû penser Nicolas Sarkozy. Peut-être, lui dira-t-on ! Mais dans la bataille des expressions, on peut également lui opposer la maxime suivante : non, on ne refait jamais l’Histoire !

Car l’essentiel est bien là. La décision de Nicolas Sarkozy est non seulement surprenante, mais surtout choquante. Surprenante parce qu’une nouvelle fois, le chef de l’Etat nous montre qu’il excelle dans l’art du revirement d’opinion : l’Union Européenne a-t-elle vraiment besoin en ce moment d’un président qui change d’avis comme bon lui semble ? Choquante parce que jamais personne n’aurait osé demander aux Français de revoter après leur rejet du traité instituant une Constitution européenne en 2005. D’ailleurs, si l’adoption du traité de Lisbonne a été faite par voie parlementaire c’est bien dans l’idée qu’un nouveau référendum aurait donné le même résultat. Pourquoi, dès lors, vouloir appliquer aux autres ce qui ne marche pas à soi-même ? Par ailleurs, quand bien même les Irlandais voteraient à nouveau, la question de la ratification du traité de Lisbonne ne serait pas pour autant résolue : dans six mois, le 1er janvier 2009, ce sera au tour de la République tchèque de prendre la présidence de l’UE, elle qui a déjà prévenu par la voix même de son président qu’elle s’opposait à toute nouvelle ratification tant que la question irlandaise ne serait pas résolue. Alors que les électeurs européens sont appelés à se rendre aux urnes dans un peu moins d’un an, la question du déficit démocratique tant redoutée par les dirigeants européens semble quant à elle trouver sa solution : l’impasse ! La crise institutionnelle européenne existe bien. Elle est le résultat d’une indifférence, mais surtout d’une incompréhension des députés à comprendre ce que veulent les Européens. La meilleure façon de rapprocher les électeurs de l’Union européenne serait-elle de les écarter davantage des décisions politiques ? Pas sûr !

Nicolas Sarkozy a une vision bien à lui de l’Europe : si le peuple refuse ce que nous proposons alors recommençons jusqu’à ce qu’il approuve ! Drôle de conception de la démocratie pour un président à la tête de l’UE. Dans la bataille des expressions, la définition de la démocratie comme "un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple" a du souci à se faire...



9 réactions


  • Franck804 22 juillet 2008 13:10

    Il y a une telle rupture entre les français et les personnes censées les représenter qu’il me semble déplacé aujourd’hui de parler de démocratie, j’en veux pour exemple la ratification du Traité de Lisbonne par les députés (le referendum c’est trop risqué !), la loi sur les OGM (75% des européens n’en veulent pas dans leur assiette) , et celle fixant les droits mais surtout devoirs des demandeurs d’emploi (à comparer avec les indemnités que continuent de toucher les députés pendant 5 ans s’ils ne sont pas réélus) ...
    Les exemples sont malheureusement nombreux, que l’on ne vienne plus me dire que voter c’est remplir son devoir de citoyen ... Mon devoir de citoyen je le remplis en faisant preuve de solidarité avec mes semblables, en adhérant à une AMAP ... Et en ouvrant les yeux sur les basses manoeuvres de ceux qui sont censés gouverner le pays pour le bien de tous les français (et pas seulement les plus aisés).

    Franck


  • papagena 22 juillet 2008 14:07

    Bonjour,

    Alors en France revotons pour la présidentielle tant qu’on y est !

     


    • Avatar 22 juillet 2008 14:37

      Très Bonne idée Papagena,
       
      et faisons de même pour le vote d’hier (à une voix près ! merci Jack Lang ...).

      A l’auteur,

      Bien curieuse conception de la démocratie par ce nouveau pdt de l’Union ....

      Dire aux Irlandais : Nous respectons votre refus du menu, mais nous vous le reproposerons jusqu’à ce que vous l’acceptiez !

      Et vous finirez par manger la soupe...

      Il devrait figurer dans la constitution , une ligne sur la non-possibilité de faire revoter aux mêmes citoyens un même texte dans un temps restreint (qui reste à déterminer.)


  • ohnil ohnil 22 juillet 2008 14:32

    Moi je proposes qu’on revote la dernière présidentielle française.

    Avec le même raisonnement que celui de Sarkozy : 53% c’est un incident.....

    C’est incroyable comme la même chose peu avoir deux significations différentes pour lui quand ça l’arrange...

    Ce n’est pas ce que j’appelle avoir l’envergure d’un homme d’Etat !

    Sinon, demi-hors sujet, mais très drole, hier aux informations, un député de la majorité (je ne sais plus lequel) se félicitait de la victoire de la famille "gaulliste-bonapartienne"... Pauvre général...


  • melanie 22 juillet 2008 17:08

    Judas s’est renié trois fois avant le chant du coq...Sarkozy excelle dans l’art du reniement argumenté et au culot - il défendra les yeux dans les yeux avec la conviction de l’avocat en plaidoierie sa nouvelle conception des choses ...- .

    Quant à savoir si on n’avait pas démandé aux français
    de revoter , c’est encore plus simple, expéditif et méprisant pour les opinions majoritaires exprimées ,le copié-collé du TSE est passé en force par voie non référendaire ... !!

    C’est Bretch qui disait " "Si le peuple ne nous plait pas changeons le peuple " .....


    • dom y loulou dom 25 juillet 2008 00:51

      hmm... c’était pas Judas mais Pierre... hmm...

       Sarkoléon est devenu irlandais subitement qu’il croit qu’il peut décider pour eux maintenant ?

      Personne n’a encore défini que l’europe avait une présidence qui décide pour tout le monde. 



    • dom y loulou dom 25 juillet 2008 00:56

      "Si le peuple ne nous plait pas changeons le peuple "

      ...

      c’est du vrais Goebels tout craché, isn’t it ?


  • myph 22 juillet 2008 23:05

    Il fut un temps la série Dallas, maintenant c’est la saga des Sarkozy, et c’est impossible de zapper !


  • Valéry Valéry-Xavier Lentz 7 août 2008 11:29

    Les Irlandais ont votés conte le traité car des questions qui les préoccupaient ont été évoquées au cours de la campagne : il me semble donc légitime de leur apporter des réponses et de leur proposer de voter à nouveau non pas sur le même texte mais sur le traité accompagné de garanties concernant les points litigieux. En effet de nombreux problèmes soulevés par les adversaires du traité sont des faux problèmes : il est dès lors très simple d’apporter explicitement aux citoyens irlandais des garanties sur ces questions.

    Ils seront parfaitement libres de décider s’ils estiment ces garanties suffisantes - -considérant ainsi que leur premier vote a été convenablement pris en compte, comme ils l’avaient fait au sujet du traitré de Nice — ou de le rejeter à nouveau. Je trouve étrange l’argumentation qui consisterait à décréter qu’une nouvelle consultation référendaire ne serait pas démocratique, alors précisément qu’il s’agit de valider la manière dont le vote précédent a été pris en compte.

    En outre, depuis le premier référendum les élus de 26 peuples européens se seront prononés en faveur du texte, ce qui ne peut pas laisser non plus l’électorat irlandais indifférent. Cette situation justifie également une nouvelle consultation : en effet onpouvait imaginer que le texte rencontrerait des difficultés dans plusieurs pays, or il s’est avéré qu’il n’en est rien. Il ne me semble pas particulièrement démocratique ni raisonnable d’exiger que la décision d’un seul pays puisse s’imposer à tous les autres.


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