samedi 10 décembre 2011 - par CARE France

Nouveau projet de loi en Roumanie : un espoir pour les euro-orphelins ?

A ce jour, ce sont près de 35 0000 enfants roumains qui sont délaissés par leurs parents partis travaillés en Europe occidentale. Cette vague migratoire engendre des effets dévastateurs sur la vie de ces enfants restés seuls au pays : troubles psychoaffectifs, troubles du comportement, retard du développement, mésestime de soi et échec scolaire font partie de leur quotidien.

Si les phénomènes de migration ont toujours existé sur tous les continents et à de multiples époques de l’histoire de l’homme, la vague migratoire des ressortissants des pays de l’Europe orientale (appartenant à l’ancien bloc communiste) vers le marché de l’emploi des pays du monde occidental a pris une dimension sans précédent ces vingt dernières années, au point d’en affecter les structures sociales et familiales. Absence de perspectives, salaires dérisoires, pauvreté, crise économique sont tout autant de facteurs qui poussent les citoyens, notamment moldaves ou roumains, à quitter leurs pays à la recherche d’un El Dorado du travail.
 
Cette fuite de la population active roumaine vers l’ailleurs, si elle se comprend parfaitement pour des raisons économiques, engendre des effets directs sur la vie de leurs enfants : en effet, les parents partent en Espagne, en Allemagne ou ailleurs pour un temps non déterminé et laissent leurs enfants au pays en les confiant à un membre de la famille, aux grands-parents ou même un voisin. Les chiffres sont explicites : selon les autorités, 80 000 à 100 000 enfants seraient officiellement concernés par cette forme d’abandon, mais pour l’Unicef cela toucherait aux environs de 350 000 enfants, soit 8% de la population mineure de Roumanie (cf. Rapport UNICEF 2007). Les conséquences de ce phénomène sur la vie de ces euro-orphelins sont douloureuses : troubles psychoaffectifs, troubles du comportement, retard du développement biologique et émotionnel, mésestime de soi et échec scolaire font partie de leur quotidien. En effet, un tiers de ces enfants délaissés seraient fortement déprimés, 36% se sentiraient esseulés et 20% d’entre eux ne se sentiraient pas aimés (cf. Rapport UNICEF 2007).La souffrance et le sentiment d’abandon de ces enfants sont tels qu’ils engendrent parfois des drames : 20 cas de suicides auraient été constatés ces dernières années[1]. En 2011, la mort par inanition d’une enfant de 12 ans, ayant refusée de s’alimenter pendant plusieurs mois suite au départ de sa mère en Italie, a suscité l’émoi dans la population roumaine.
 
©Thomas Coex
©Thomas Coex
 
Les autorités roumaines ont ainsi pris nouvellement conscience du drame qui se jouait et de l’ampleur de l’enjeu : en 2009, un projet de loi a été déposé pour lutter contre cet abandon qui ne dit pas son nom, mais celui-ci n’a toujours pas été voté par les députés car de nombreux freins idéologiques subsistent, notamment le refus de faire intervenir l’Etat dans le milieu familial et dans son organisation. Le spectre d’un retour de l’interventionnisme de l’Etat dans la vie privée des citoyens fait toujours peur dans la Roumanie post-Ceausescu.
 
Cependant, cette situation s’avère tellement préoccupante qu’un nouveau projet de loi « concernant la protection des enfants dont les parents sont partis travailler temporairement à l’étranger » a dû être déposé en 2011 par un député de Cluj. Ce texte prévoit un meilleur encadrement des conditions de départ de parents, une surveillance accrue par les services sociaux des conditions de vie de l’enfant et des sanctions – ce qui est nouveau !- notamment pécuniaires en cas d’irrespect des dispositions légales de protection. Plus précisément, avec comme objectif l’intérêt supérieur de l’enfant, le projet impose diverses obligations tant pour les parents que pour les services sociaux :
 
 - Pour les parents :
- obligation de notifier aux autorités compétentes (service sociaux de la mairie) l’intention de quitter le pays au minimum 30 jours avant la date prévue du départ ;
- obligation de désigner une personne - faisant partie du cercle familial élargi au 4ème degré- qui veillera au bien-être de l’enfant et s’en occupera au quotidien pendant toute la période d’absence, et obligation de contractualiser la prise en charge de l’enfant par le tuteur désigné devant notaire.
 - Pour les services sociaux locaux :
- obligation de vérifier la crédibilité de l’ensemble du dossier et le respect des conditions légales de protection de l’enfant dans les 30 jours suivant le dépôt du dossier par les parents ;
- obligation de faire une visite hebdomadaire auprès de chaque enfant afin de vérifier si son nouveau milieu lui permet un développement physique, psychologique et social sain et harmonieux,
- obligation d’émettre un rapport d’évaluation mensuel sur les conditions de vie de l’enfant ;
- si les conditions de vie de l’enfant ne sont pas satisfaisantes (abus, négligences), l’enfant sera confié à un centre de placement.
 
Si les parents ne remplissent pas les conditions, ils ne seront pas légalement autorisés à quitter le domicile familial pour partir travailler à l’étranger et pourront être sanctionnés par des amendes pécuniaires en cas de violation des dispositions précités (de 2 500 à 10 000 RON, soit de 550 à 2 300 euros). De leur côté, les agents des services sociaux concernés pourront être rétrogradés et/ou subir des baisses de salaires pouvant aller jusqu’à 10% s’ils n’effectuent pas correctement leurs missions de contrôle et d’évaluation.
 
Même imparfait, ce projet de loi a le mérite d’offrir un encadrement permettant une plus grande protection des enfants de migrants roumains. Il est donc à souhaiter que cette prise de conscience du danger que représente pour l’enfant cette forme déguisée d’abandon se concrétise enfin par une loi symbolique et forte prévoyant obligations et sanctions. Espérons que les représentants de la Nation roumaine auront le courage de voter rapidement cette loi afin que la vie des euro-orphelins soit la moins douloureuse et anxiogène possible. Mais, une fois la loi votée, l’Etat Roumain disposera-t-il vraiment des moyens humains et financiers pour faire respecter l’ensemble de ces dispositions ? Par ailleurs, comment contraindre les parents à jouer le jeu de l’intérêt suprême de l’enfant et à réellement informer les autorités avant leur départ ? Et si ces derniers sont suspectés de violer la loi ainsi votée, ne pourront-ils pas tenter de s’exonérer des sanctions en arguant d’un simple départ à l’étranger pour quelques jours ?...
 
Malgré, ces quelques zones d’ombre qui pourraient affaiblir le dispositif d’encadrement et qui s’expliquent par une volonté évidente de ne pas être trop liberticide, il est important que cette loi, qui constitue un premier pas vers la protection des droits des euro-Orphelins, soit votée et appliquée au plus vite dans la mesure du possible.


[1] Cf. le documentaire deIonut Carpatorea (2010) diffusé sur la RAI „ seul à la maison – une tragédie roumaine” (Singur acasa - O tragedie romaneasca)


1 réactions


  • Horatiu Russin Horatiu Russin 11 décembre 2011 07:21

    Bonjour et merci pour cet article qui met en évidence toute une série de conséquences et d’effets de la migration des roumains vers « un El Dorado du travail ».

    Vous avez également fait mention des causes visibles associées à ce phénomène de migration des roumains vers l’ouest, telles que « l’absence de perspectives, salaires dérisoires, pauvreté, crise économique ». Il est tout aussi vrai le fait que ce phénomène « a pris une dimension sans précédent ces vingt dernières années, au point d’en affecter les structures sociales et familiales ».

    Pourtant, ce que vous ne voyez pas ou, surtout ce que n’exprimez pas dans vote article, ce sont les enjeux cachés qui poussent les roumains à abandonner leurs enfants, leurs parentés et leur pays pour aller chercher ailleurs, l’El Dorado dont vous parlez.

    Premièrement, au moment où on se parle, l’Etat Roumain arrive à peine à payer les salaires et les revenus de pension retraite, ce qui répond, je crois, pleinement à votre question : « Mais, une fois la loi votée, l’Etat Roumain disposera-t-il vraiment des moyens humains et financiers pour faire respecter l’ensemble de ces dispositions ? »

    Deuxième, « le spectre d’un retour de l’interventionnisme de l’Etat dans la vie privée des citoyens », sauf qu’il se fait autrement qu’auparavant, voire dans le sens d’encourager l’expatriation des roumains de souche. Vous comprenez ce que je veux dire ici !

    A mon sens, c’est bien ça l’enjeu caché dans cette affaire : coûte que coûte, il faut déterminer les roumains de souche à quitter leur pays, par la mise en place de ce que vous appeliez « l’absence de perspectives, salaires dérisoires, pauvreté, crise économique ». Cette politique a été d’ailleurs mise en place, tout de suite après la chute du régime Ceausescu, et poursuivi par tous les gouvernements qui ont été au pouvoir depuis 1990.

    C’est vraiment triste, trop triste, ce que je vais vous demander (les 3 questions suivantes), mais il faut mettre les pendules à l’heure pour qu’on arrive à bien comprendre ce qui se passe vraiment en Roumanie.

    1) Ne vous semble-il pas étrange que c’est pour la deuxième fois que vous publiez un article sur ce thème et que vous n’avez pas eu de réaction ?

    2) Pour le nom de Dieu, vous ne comprenez pas que le pays est vendu ?

    3) Que ceux qui l’ont acheté n’ont pas besoins de roumains de souche ?

    Il aurait bien fallu faire de la sorte que les roumains soient déterminés à ne pas quitter leurs pays tout en abandonnant leurs enfants, par des politiques gouvernementales saines. Mais ce n’était pas du tout le cas, malheureusement !


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