Vers la fin des SCOP au profit des spéculateurs et actionnaires ?
Les entreprises privées (et les acteurs qui les soutiennent, de qui elles dépendent, qui les financent...) montent visiblement à l’assaut des coopératives dans plusieurs pays d’Europe.
Des plaintes ont été déposées à la Commission européenne par des entreprises italiennes, françaises et espagnoles "sous prétexte que les dispositifs légaux et fiscaux prévus dans les lois coopératives de ces pays s’apparentent à des « aides d’Etat » et qu’ils constituent dès lors une infraction aux règlements européens" (voir : "Hands Off Our Coops !" en français !).
On lira dans ce document : "... les menaces persistent, évoluent, se multiplient et s’aggravent. Car, et c’est là le cœur de la problématique, si la Commission européenne penche pour les plaignants, c’est en définitive l’ensemble du mouvement coopératif qui sera affecté parce qu’il ne faut pas se leurrer, ce sont bien ses valeurs et ses principes qui sont visés. En niant l’identité des coopératives, la Commission européenne remettra en cause non seulement le droit à la pluralité des formes d’entreprises - et donc les acquis de la démocratie - mais elle posera aussi, plus paradoxalement, des actes en faveur d’une concurrence restreinte."
Vous avez dit... coopératives ?
Ces éléments groupusculaires du panorama économique, non conformistes et marginaux...
Voyons donc de plus près quelle est la réalité du mouvement coopératif !
Les coopératives en France, ce sont "21 000 entreprises, plus de 900 000 emplois, plusieurs dizaines de millions de sociétaires", apprendra-t-on dans "la Brochure Top 100" publiée par Le site du Groupement national de la Coopération.
Entre de nombreuses autres considérations on y lira : "Chaque année, les Scop reversent plus de 45 % de leur résultat aux salariés sous forme de participation aux bénéfices et d’intéressement. Statutairement fondées sur le principe de maîtrise de l’entreprise par les salariés et de démocratie d’entreprise, les Scop sont les seules entreprises en France qui associent 83 % des salariés de leur entreprise au capital après deux ans de présence."
C’est peut-être là que le bât blesse les entreprises plaignantes : ces 45 % des résultats n’alimentent évidemment pas la cagnotte des investisseurs/actionnaires qui les mènent, ces mêmes qui ont organisé depuis un peu plus d’une dizaine d’années ce fameux transfert de richesses de 10 % environ capté sur les salaires pour abonder les dividendes !
Une très lourde responsabilité sociale pour ces entreprises que celle de favoriser leur expansion au détriment de... chacun d’entre nous en fait, car qui niera que ce transfert, mis en œuvre à l’aide de divers processus, n’est pas majoritairement la cause de la stagnation salariale, de la précarisation du travail et de son morcellement, de l’apparition de ces " travailleurs pauvres" dont les effectifs ne semblent pas décroître..., entre autres phénomènes ?
Et chacun de ces phénomènes constitue un poids que chacun de nous doit plus ou moins porter : leur impact social fort s’applique à tous.
Un tel transfert n’existe pas, ne peut pas exister statutairement dans l’entreprise coopérative : c’est l’un de ses nombreux avantages.
Par exemple : "En cas d’exercice excédentaire, une rémunération des parts, plafonnée légalement (4,5 % en 2006), peut être versée si l’assemblée générale le décide." affirme Enercoop dans son " Bulletin de souscription à l’offre 100 % renouvelable".
"Avec leurs 100 millions d’emplois, les coopératives sont des partenaires indispensables à la réalisation des objectifs de développement", affirmait le secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, à l’occasion de la Journée internationale des coopératives du 7 juillet 2007, sur le thème : « Valeurs et principes coopératifs en faveur de la responsabilité sociale des entreprises ».
"Les coopératives qui réussissent sont capables de s’élargir sans compromettre l’intérêt de leurs membres ou de leur communauté", disait-il.
Fallait-il sous-entendre qu’elles faisaient exception par rapport à des entreprises d’autres types ?
Le Monde diplomatique s’interrogeait : "Y a-t-il un avenir pour l’autogestion ?" en constatant pourtant que la coopérative a des vertus économiques et sociales indéniables : "Des travailleurs « récupèrent » leurs entreprises".
En 2002, le Crédit coopératif publiait un document qui me semble assez bien cerner la problématique des coopératives dans l’Europe d’aujourd’hui : "Les Coopératives dans l’Europe entrepreneuriale".
On y lira en préambule : "Il n’est assurément pas simple pour les coopératives de réagir face à la concurrence et à la concentration internationales en renforçant leur compétitivité et leur internationalisation tout en préservant leurs objectifs sociaux, leurs principes éthiques et les droits et les obligations de leurs membres/propriétaires. Ceci d’autant plus que les cadres légaux et normes qui les régissent ne tiennent pas toujours compte de cette « différence coopérative » et n’appliquent pas le principe « d’équivalence de traitement » à ces entreprises."
C’est clairement dire que les textes en vigueur défavorisent les coopératives !
On se croirait presque au cœur de la lutte entre le pot d’actions et la paix sociale, entre le plus grand enrichissement de certains et un meilleur équilibre – possible – de nos sociétés, n’est-ce pas ?
Nous voici donc dans le contexte d’une lutte qui peut sembler fortement injuste alors que Michel Barnier affirmait (je n’approuve systématiquement pas tous ses propos !) "... votre statut coopératif vous donne des atouts dans un environnement en profonde mutation avec un contexte économique totalement renouvelé, une réforme de la PAC sur la table et la mise en œuvre des décisions du Grenelle de l’environnement", lors de l’assemblée générale COOP de France en novembre 2007.
Nous pouvons supposer qu’il ne sera pas le dernier à défendre les coopératives face à l’attaque des entreprises assaillantes, une défense à laquelle nous pouvons tous prendre part.
En effet, une pétition a été lancée, qui doit recueillir un million de signatures pour que la Commission européenne la prenne en compte.
Vous trouverez sur internet un certain nombre d’appels à la signature de cette pétition :
- "La fiscalité des Cuma est menacée par une décision européenne. La FNCUMA vous invite à signer la pétition en ligne proposée par Coopératives Europe et adressée au président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, et à la commissaire européenne pour la Concurrence, Mme Neelie Kroes."
- Pétition pour l’avenir des coopératives européennes de la Nef (coopérative de finances solidaires).
- Pas touche à nos coopératives ! Elles pratiquent une concurrence loyale du groupe Crédit coopératif.
Cette pétition se trouve ici : "Hands off our Coops ! They compete fairly !"
Le texte en est donné en anglais, qu’on me permette de proposer ma traduction :
"Soutenons nos coopératives, elles agissent loyalement
Nous soussignés pensons que :
Les plaintes actuellement déposées auprès de la Commission européenne sont des tentatives visant à remettre en cause les dispositifs légaux et fiscaux nationaux applicables aux coopératives.
Ce sont de la part de nos concurrents des tentatives qui réduiront le choix des consommateurs, qui priveront des coopératives de leur part de marché et mettront fin à leur défi éthique.
Toute décision de la Commission qui répondrait aux demandes des entreprises capitalistes privées plaignantes pourrait, au-delà d’affecter uniquement quelques grandes coopératives, présenter un risque pour l’ensemble du système coopératif dans tous les secteurs économiques de l’UE. Sommes-nous prêts à considérer que les valeurs et principes du mouvement coopératif sont dénués de vertus ?
Aujourd’hui, 263 000 entreprises coopératives sont au service de leurs 160 millions de membres (1 citoyen de l’UE sur 3). Elles contribuent activement aux objectifs de progrès économique et social de l’Union européenne.
Les coopératives ne veulent pas de privilèges, elles veulent pratiquer une concurrence équitable dans un marché ouvert qui reconnaît leur « spécificité coopérative »."
Nous sommes donc appelés à prendre position sur une question de société d’une réelle importance...
Et maintenant imaginons un monde dans lequel Microsoft, Total, la SNCF... 50 % des entreprises et même jusqu’à l’Education nationale seraient des coopératives : le jour et la nuit, probablement !
Pour aller plus loin, on pourra lire Il n’y a pas d’alternative !, un texte de Jean Zin qui mérite le détour !