De mal en pis pour le vote électronique aux États-Unis
Nous sommes en 2002. La manne vient de tomber du ciel pour les entreprises américaines qui développent des systèmes de vote électronique. Dans la foulée des élections présidentielles controversées de 2000, le Congrès américain vient de passer le Help America Vote Act (HAVA) qui prévoit plus de 3 milliards US$ en vue de remplacer les divers mécanismes de vote en usage sur le territoire américain, notamment les fameuses poinçonneuses à bulletins. Une manne qui tourne au cauchemar, quatre ans plus tard.
Avant toute chose, il faut savoir que le déroulement de toutes les élections est sous la juridiction des États fédérés dans le pays de l’Oncle Sam. Chacun de ces États est libre de choisir son propre système électoral. D’où l’existence de plusieurs systèmes de vote, dont le vote électronique, celui-ci étant à son tour décliné sur plus d’un mode.
Compliqué ? Pas assez pour les Américains qui peuvent être appelé à voter en même temps pour leurs élus locaux, ceux des États fédérés, du Congrès, à la présidence et à la vice-présidence, en plus de devoir trancher une question locale par référendum. Ouf !
On comprend alors que les États fédérés aient cherché, tôt dans
l’histoire américaine, à mécaniser le vote et qu’ils soient si enthousiastes
face au vote électronique. D’autant plus que d’une élection à une autre, à
peine la moitié des électeurs se rendent aux urnes. Était-ce pour autant une
raison pour foncer tête baissée dans le vote électronique ?
La cour est pleine, n’en jetez plus
Scrutins après scrutins, rapports après rapports, le vote électronique en prend
plein la gueule. Le dernier à ce jour, celui du Committee on A Framework
for Understanding Electronic Voting, un comité du prestigieux National
Research Council (NRC), en arrive à la conclusion que plusieurs juridictions ne
seront tout simplement pas en mesure de faire face à la musique lors des
élections de novembre prochain.
Le même comité avait publié un rapport en 2005 intitulé Asking the
Right Questions About Electronic Voting dans lequel il reconnaissait que le
vote électronique est loin d’être au point. Certes pour ce comité de
scientifiques, l’électronique pourrait faciliter à la fois le vote et la
gestion des résultats, mais il y en encore loin de la coupe de champagne
qu’anticipaient les vendeurs, aux lèvres anxieuses de boire à la santé des
résultats financiers de leurs entreprises.
Que manquait-il au juste ? Trois fois rien, selon le rapport de
2005 : de la recherche, des sous, un sérieux effort d’éducation des
électeurs et des officiers d’élection, et de nouveaux standards beaucoup plus
élevés, avec des tests plus adéquats, pour garantir la fiabilité et l’intégrité
de tout le processus. Rien de moins.
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Mais avant de se lancer dans l’aventure, prenez la peine de souligner en
caractère gras le comité du NRC, la question fondamentale à se poser est celle
de l’avantage comparatif : est-ce que le vote électronique
améliore de façon significative l’administration des scrutins ?
Pour le comité, une amélioration marginale vaut rarement le coût et les
perturbations associées à l’introduction de nouveaux systèmes.
Une contestation qui prend des allures judiciaires
Si ce n’était que des rapports, les entreprises qui développent des systèmes de
vote électronique pourraient encore espérer s’en tirer avec les honneurs de la
guerre. Après tout, que ce soit le rapport Brenan avant lui, ou ce dernier
rapport, une constante demeure : ce n’est pas le vote électronique en soi
qui est remis en question, mais plutôt les difficultés avec lesquelles il est
implanté. Elles peuvent toujours prétendre que les choses n’iront qu’en
s’améliorant.
Sauf que ces difficultés cachent un piège judiciaire qui pourrait bien
faire très mal à ces entreprises : celles-ci auraient omis de faire part
de sérieux problèmes d’exactitude, de fiabilité et de sécurité du vote pour
pouvoir décrocher des contrats publics. En un mot, elles auraient pris des
engagements qu’elles savaient ne pas pouvoir tenir.
Un citoyen, non le moindre, a décidé de tenter de refermer le piège sur ceux
qui croyaient s’en sortir à bon compte. Robert Kennedy Jr et sa firme
d’avocats, appuyés par d’autres avocats qui avaient plaidé avec succès contre
les firmes de tabac, entament une poursuite pour fraude contre les vendeurs de
systèmes de vote électronique (Voir le texte de Bev Harris de Black Box Voting
(Posted
on Monday, July 17, 2006) et aussi Blowing the Whistle on Diebold,
publié dans In These Times).
C’est en vertu d’une loi qui permet aux simples citoyens d’entamer une
poursuite Qui Tam
contre d’éventuels fraudeurs du gouvernement américain qu’agit Kennedy. Ce
genre de poursuite judiciaire doit, en principe, demeurer secrète le temps que
le ministère américain de la Justice décide, ou non, de poursuivre lui-aussi
les présumés fraudeurs. Kennedy n’avait visiblement pas l’intention de garder
le secret plus longtemps.
Toute une bombe judiciaire qui pourrait faire très mal, non seulement parce
qu’elle comporte un risque d’amendes élevées si les entreprises sont déclarées
coupables, mais aussi parce qu’un verdict de culpabilité jetterait un sérieux
doute sur l’opportunité de poursuivre dans la voie du vote électronique.
La cerise sur le gâteau
Décidément, quand cela va mal, cela va mal. Il se trouve, autre tuile, que les
coûts associés à l’implantation de systèmes de vote électronique ont été
nettement sous-estimés. Résultat : les officiers électoraux qui ont
embarqué dans ce rafiot électoral commencent sérieusement à paniquer.
C’est que les « primaries » (choix des candidats par les divers
partis) qui se déroulent présentement aux États-Unis démontrent à quel point
toute l’opération « vote électronique » est faite d’improvisation et
d’amateurisme. Or le vrai scrutin, celui de novembre prochain, approche à grand
pas.
Assiste-t-on à une autre illustration de la Loi de Murphay ?
À lire : Letter Report on Electronic Voting, Committee on a Framework For Understanding Electronic Voting, National
Research Council. Il faut donner son adresse électronique pour
pouvoir télécharger le rapport, mais c’est gratuit.