mardi 8 juillet 2008 - par docdory

La Médiathèque de Rouen pourrait être détruite avant la fin de sa construction : Clochemerle, politique shadock et argent dilapidé !

Une étonnante affaire rouennaise promet d’être à l’origine d’un gaspillage monumental d’argent public, de nature à indisposer le contribuable le plus placide et à susciter l’intérêt sourcilleux, voire le courroux, de la Cour des comptes d’ici quelques années. Examinons les faits :

La précédente municipalité de Rouen avait pour maire Pierre Albertini, centriste MoDem rallié à Nicolas Sarkozy au moment de l’élection présidentielle, et ensuite battu aux élections municipales de 2008. Cette municipalité avait décidé la construction d’une imposante médiathèque, en raison de l’accroissement de l’activité des bibliothèques. A l’issue d’une consultation en 2004, le projet de l’architecte Rudy Ricciotti fut retenu, et la première pierre de sa construction fut posée en octobre 2007 dans le quartier Grammont, quartier très défavorisé de la rive gauche de Rouen.

Les objectifs et coûts initiaux de ce projet peuvent être consultés ici :

http://www.rouen.fr/urbanisme/grandschantiers/mediatheque

Le coût avait été réévalué à 40 millions d’euros ici :

http://www.rouen.fr/mairie/deliberations/dl20070413_2_10

http://www.rouen.fr/mairie/deliberations/dl20060922_3_11

Dès 2005, des objections avaient été formulées à l’encontre de ce projet et de sa localisation, en particulier dans un rapport peu favorable de l’inspection générale des bibliothèques, objections qui avaient été détaillées dans un article de Sébastien Bailly sur Agoravox :

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=743

En résumé, l’opposition municipale (socialiste et Verts) reprochait au maire de l’époque d’avoir prévu cette médiathèque dans un quartier très excentré, mal desservi par les transports en commun, difficilement accessible à pied ou en vélo, inondable (?), pour tout dire un quartier défavorisé. Par ailleurs, était également reproché le coût jugé très excessif du projet. L’opposition municipale préconisait l’utilisation et la rénovation des très beaux locaux anciens, inoccupés de longue date, de l’ancienne école normale, située rive gauche dans un quartier nettement moins défavorisé, et à proximité immédiate d’une station de métro.

Nonobstant ces diverses objections, la municipalité de l’époque adopta cependant le projet de médiathèque, dont les travaux, entamés en octobre 2007, sont déjà très avancés, comme on peut le constater ici :

http://www.grand-rouen.com/projets/en-memoire-de-la-mediatheque/2836/

Vinrent les élections municipales de mars 2008, remportées avec une confortable majorité par Valérie Fourneyron (PS). Comme il est devenu d’usage fréquent en cas de changement de majorité municipale ou autre, partout en France, la nouvelle équipe municipale s’empressa de faire réaliser un "audit" sur les comptes laissé par l’ancienne municipalité.

Très curieusement, on n’a jamais vu nulle part ce genre d’audit, commandité par une nouvelle municipalité, donner autre chose qu’une appréciation négative ou critique sur l’état des finances laissé par l’ancienne... Cette constatation usuelle n’a pas manqué d’être vérifiée à Rouen, comme cela était prévisible. Le nouveau maire a donc décidé des arbitrages financiers tenant compte de cet audit.

Le coût définitif prévisible de la médiathèque étant en fait semble-t-il de 44 millions d’euros (ce qui représente, pour une ville de 108 758 habitants la coquette somme d’environ 400 euros par habitant, y compris les nouveaux-nés), et le coût de fonctionnement étant de 2 millions d’euros, la municipalité aurait dû investir 29 millions d’euros supplémentaires en plus des 9 millions déjà payés, alors même que trois bibliothèques existantes auraient dû être fermées :

http://www.grand-rouen.com/projets/la-mediatheque-de-rouen-coup-darret/2833/

Le nouveau maire, Valérie Fourneyron, a donc décidé d’arrêter le chantier, et de probablement détruire ce qui a déjà été construit ("on ne va pas laisser une friche", dit-elle). En contrepartie, elle a décidé de réouvrir la bibliothèque Villon, fermée depuis six ans, et de construire deux nouvelles petites bibliothèques ludothèques, dont l’une dans le quartier Grammont, privé de sa médiathèque.

Cette destruction programmée a évidemment scandalisé l’architecte ainsi que la nouvelle opposition municipale.

L’architecte de cette médiathèque, Rudy Ricciotti semble jouir d’une indéniable notoriété (même si une de ses constructions, le stadium de Vitrolles, aurait naguère suscité de fortes réserves esthétiques, ou en tout cas une polémique), cette notoriété est attestée par les documents suivants :

http://www.lefigaro.fr/culture/2008/03/06/03004-20080306DIAWWW00587-les-principaux-projets-de-rudy-ricciotti.php

http://www.architecturedecollection.fr/brochure/0000002.pdf

http://www.e-dico.fr/blog/index.php/2007/03/24/60-rudy-ricciotti

http://fr.wikipedia.org/wiki/Rudy_Ricciotti

http://www.lefigaro.fr/culture/2008/03/07/03004-20080307ARTFIG00001-rudy-ricciotti-fait-danser-le-beton.php

http://www.archilab.org/public/2000/catalog/riccio/ricciofr.htm

http://www.hyereslemag.fr/rudyricciotti.htm,

Cet architecte a donné une interview au vitriol au sujet de la destruction programmée de son œuvre dans le quotidien Paris Normandie en date du samedi 5 juillet 2008, dont voici quelques extraits : "Je suis,choqué, scandalisé, écœuré, désespéré", déclare-t-il (...) "la haine a pris le dessus sur la culture républicaine. Quel exemple ce drame donne-t-il à la jeunesse quand la rupture devient concept anti-républicain sous la responsabilité des élus."

Interrogé sur l’existence de cas antérieurs similaires, il répond : "En France, ce n’est jamais arrivé. Une telle destruction du travail des autres, c’est historique. Pour Rouen, c’est une honte" (...) "C’est une folie qui s’explique par la décadence de la gauche doctrinaire (...) ici la gauche incarne le poujadisme (’projet élitiste’, disait Fabius) et fait ce que le Front national n’oserait faire" (allusion éventuelle à certaines polémiques passées concernant le stadium de Vitrolles ?)

A ce sujet, l’ancienne adjointe à la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, qui souhaite saisir le préfet, parle d’une décision "entachée d’illégalités" (...) "Cela pose le problème de la continuité républicaine", ajoute-t-elle.

Que penser de ce cafouillage sans précédent qui rappelle les grandes heures de la logique Shadock : construire à moitié un bâtiment pour le détruire ensuite constitue une façon particulièrement coûteuse de ne rien faire, ou d’appliquer le fameux principe de la logique Shadock : "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?!"

Pour comprendre cette absurdité, il n’est pas inutile de faire un petit rappel géographique. Rouen et sa banlieue présentent traditionnellement une forte polarité sociale : la rive droite et la banlieue Nord ont une population essentiellement bourgeoise, voire très riche par endroits, le centre commerçant principal étant également situé rive droite, alors que la rive gauche et la banlieue Sud sont des quartiers populaires, pouvant par endroits être des quartiers très pauvres (c’est le cas du quartier de Grammont, qui était censé bénéficier de la proximité de cette future médiathèque). Seules exceptions à cette polarité : rive droite, la zone urbaine "sensible" des "Hauts de Rouen", et rive gauche le quartier du jardin des plantes, qui s’embourgeoise.

Traditionnellement, la rive droite vote à droite ou au centre et la rive gauche vote à gauche !

Il est donc amusant de constater que l’ancien maire de centre-droit, M. Albertini, ait eu l’idée de doter le quartier le plus défavorisé de la rive gauche d’un projet culturel pharaonique probablement surdimensionné, conçu par un architecte en vogue, d’un coût exorbitant, et localisé à proximité d’un électorat qui n’était pas le sien, alors que son électorat naturel aurait préféré une médiathèque en plein centre-ville rive droite ! Ce genre de projet culturel grandiose à vocation populaire est d’ordinaire plutôt le fait des municipalités de gauche.

Il est donc également amusant de constater que Valérie Fourneyron, le nouveau maire socialiste, s’en tient à une rigoureuse logique comptable que ne renieraient pas les thuriféraires d’une stricte orthodoxie libérale. Logique comptable qui reste à vérifier : vaut-il mieux dépenser 44 millions d’euros pour un édifice dont le succès futur est assez incertain, ou avoir dépensé pour rien entre 20 et 25 millions d’euros (13 millions pour ce qui est déjà édifié, plusieurs millions pour détruire ce qui est déjà construit et plusieurs millions en indemnités d’arrêt de chantier, procès et autres dépenses prévisibles du même ordre, sans compter bien sûr le coût des deux petites bibliothèques dont elle promet la construction. Ça reste à prouver, d’autant que cet arrêt des travaux met 140 travailleurs du bâtiment au chômage. On se situe devant un problème de bouteille à moitié pleine ou à moitié vide... A noter que cette logique comptable risque de lui mettre à dos bon nombre d’habitants du quartier Grammont, quartier très défavorisé fréquenté presque exclusivement par ses habitants, mais qui avait bénéficié récemment de quelques améliorations urbanistiques et de la création d’un beau parc urbain. L’accès à cette médiathèque, située juste à la limite de ce quartier difficile, n’aurait d’ailleurs obligé personne à s’y aventurer. Il est vrai que la gauche socialiste s’est coupée depuis longtemps de sa base populaire, ce dédain affiché pour un quartier prolétarien n’est donc pas étonnant...

Pourquoi ces deux adversaires politiques ont-ils pris des positions contraires aux positions traditionnelles de leur camp ?

Il faut savoir que, depuis le décès de Jean Lecanuet, maire de Rouen de 1968 jusqu’à sa mort en 1993, aucun de ses successeurs comme maire de Rouen n’a jamais réussi à se faire réélire. M. Albertini n’avait donc guère de chances d’être réélu, et donc d’avoir à assumer la responsabilité politique future d’une opération risquant d’être ruineuse. Par ailleurs, le seul endroit qui aurait été éventuellement disponible pour une médiathèque en centre-ville était l’ancien Palais des congrès, en attente de destruction, car n’étant plus aux normes. Or, il se trouve que, pour remplacer ce Palais des congrès désaffecté, situé place de la cathédrale, d’une architecture assez neutre, mais qui n’était pas choquante à côté de la cathédrale, un projet nommé "espace Monet cathédrale" avait été imposé par l’ancien maire contre l’avis général de ses administrés. Ce nouveau bâtiment en projet était caractérisé par une architecture d’un goût des plus douteux, voyante et clinquante, et qui suscitait la colère d’une immense majorité de la population rouennaise.

http://rouen.blogs.com/photo/palais_des_congrs/index.html

http://www.capidees.net/blog/index.php/2006/05/25/61-espace-monet-cathedrale-premier-apercu

Mme Valérie Fourneyron doit probablement plus son élection triomphale à la promesse qu’elle avait faite d’abandonner ce projet profondément inesthétique et navrant, qu’à ses qualités propres ou à une envie profonde des Rouennais d’avoir une municipalité de gauche. La destruction promise d’une médiathèque en gestation paraissait aux yeux des Rouennais, même de droite, un inconvénient moins grave que l’enlaidissement irrémédiable de la place de la Cathédrale par une verrue architecturale bien pire que celle déjà existante, et dont on n’aurait jamais pu se débarrasser ensuite !

Il n’est pas exclu par ailleurs que la décision d’interrompre le chantier de la médiathèque soit une simple application par les nouveaux élus d’une sorte de principe de précaution : en effet, il est fort possible et même vraisemblable que cette décision du nouveau maire soit suspendue par le préfet et annulée par un tribunal administratif, au nom de la continuité républicaine ou d’autres raisons légales. Auquel cas, si cette médiathèque, une fois construite, s’avérait être un gouffre financier, la nouvelle municipalité n’aurait aucune difficulté à décliner toute responsabilité concernant ce gaspillage !

A l’heure où les Etats sont étroitement surveillés par Bruxelles en ce qui concerne leurs éventuels déficits publics, il est curieux de constater que, lorsque des municipalités se lancent dans de très grand projets, il ne semble exister aucun contrôle extérieur préalable efficace de la faisabilité et de l’opportunité de ce genre de dépenses. Pourquoi ne pourrait-on pas renforcer le pouvoir de la Cour des comptes en lui donnant la possibilité d’émettre un avis consultatif préalable sur certains investissements, alors que pour l’instant son rapport annuel se borne à stigmatiser a posteriori les dépenses somptuaires, sans aucune possibilité de les prévenir !

Pour en revenir à la médiathèque de Rouen, il serait peut-être plus judicieux, plutôt que de détruire ce bâtiment en construction, de le terminer et de voir ensuite s’il est fréquenté ou non. S’il s’avère inutile en tant que médiathèque, il ne devrait pas être trop difficile d’en changer l’affectation moyennant quelques travaux de restructuration.

Une chose est certaine, c’est qu’en cas de destruction des travaux en cours la municipalité de Rouen aura du mal à trouver des architectes de renom pour d’éventuels futurs projets !

A noter que les partisans de la médiathèque ont la possibilité de défendre leur point de vue en signant une pétition ici :

http://mediathequederouen.blogspot.com/

http://www.arl-haute-normandie.fr/Actualites-Mediatheque-de-Rouen,-la-premiere-pierre-118.htm

http://www.rouen.fr/urbanisme/grandschantiers/mediatheque

http://blog.claudetaleb.fr/post/2007/10/18/Mediatheque-de-Rouen

http://www.rouen.fr/mairie/deliberations/dl20070413_2_10

http://www.rouen.fr/mairie/deliberations/dl20060922_3_11

http://www.grand-rouen.com/projets/la-mediatheque-de-rouen-coup-darret/2833/

http://rouenperspectives.hautetfort.com/media/01/00/1989266052.pdf

http://www.grand-rouen.com/projets/en-memoire-de-la-mediatheque/2836/

http://promenadeennormandie.oldiblog.com/?page=lastnews&id=272043



6 réactions


  • Paul Villach Paul Villach 8 juillet 2008 15:39

    @ Docdory
    Cher Docdory,
    Remarquable votre enquête ! Voilà résumées dans cette affaire des stratégies de joueurs d’échecs auxquelles il faut évidemment penser sous peine de ne rien comprendre. Merci. Paul Villach


  • docdory docdory 8 juillet 2008 16:23

     Cher Paul Villach
    Et comme dans le jeu d’échec , les pions sont souvent sacrifiés : ici , les pions s’appellent des contribuables ...


  • Iroquois Iroquois 8 juillet 2008 18:46

    La médiathèque avait un intérêt aussi parce qu’il fallait un lieu pouvant accueillir le fond important et prestigieux conservé à la bibliothèque Villon et que la disparition de celle-ci libérait de la place pour le musée des beaux-arts. 
    Le choix d’implanter la médiathèque rive gauche était critiquable aussi car rive gauche nous trouvons des médiathèques sur d’autres communes limitrophes. C’est ici un paramètre que vous avez oublié de mentionner et qui pourtant est important.
    On ne doit plus raisonner en terme de ville mais de communauté de villes. C’est particulièrement important ici au vu de la taille de la ville centre (110 000 hbts) par rapport à son agglomération (410 000). 
    Pour la 2e fois, son président se nomme Laurent Fabius. Pour la 2e fois également, il le devient alors que Rouen est occupé par une personne de son parti. Pour autant, n’ayant jamais eu le courage de venir se présenter sur la ville centre, il n’a cessé de défendre les intérêts de "ses" communes au détriment de Rouen. Nous l’avons vu avec l’exil d’une partie de l’université au madrillet et la construction du métro, où l’intérêt de pouvoir désengorger la ville centre est devenue son intérêt de desservir "ses" communes.
    Dans cette affaire, L.Fabius a imposé ce choix de destruction à Mme Fourneyron en lui promettant le palais des sports, équipement indispensable pour le nouveau maire de Rouen qui voudrait accueillir les jeux olympiques de la jeunesse.
    La proximité politique ne fait pas la synergie, et comme précédemment où excédé l’ancien maire de Rouen socialiste avait choisi de soutenir Ségolène Royal, il sera intéressant de suivre la position de Mme Fourneyron face à Laurent Fabius. Il semblerait toutefois qu’elle n’ait ni le caractère, ni le talent pour s’affirmer. 
    Pour l’instant donc, cela ne change pas : la ville de Rouen reste isolée dans une agglomération hostile. 


    • docdory docdory 9 juillet 2008 00:18

       @ iroquois 

      Très intéressant commentaire . L’affaire est tellement tordue que les aspects que vous soulevez à juste titre l’embrouillent encore plus !


    • Iroquois Iroquois 9 juillet 2008 18:38

      Il semble que le conseil général soit intéressé par le bâtiment. Intéressant que MM. Marie et Fabius s’entendent aussi bien sur le dos de cette pauvre dame.


  • HELIOS HELIOS 8 juillet 2008 21:47

    voila au moins des CD et des DVD qui ne seront pas copiés. Qu’attends-on pour fermer toutes les mediathèques qui mettent en peril la creation française ?
    Merci madame la maire.
    Signé : PO Pascal Nègre.


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