jeudi 2 mars 2017 - par La centrale à idées

Akihito au pays des Viêt

 

 

C'est une première dans l'Histoire des relations internationales entre le Vietnam et le Japon.

En effet, il faut associer cette démarche1 à la récente visite du premier ministre japonais Shinzo Abe en début d'année qui s'est soldée par un renforcement des liens stratégiques entre les deux nations, et plus spécialement sur la question de défense des eaux territoriales âprement disputées à la Chine. Il faut dire qu'avec la nouvelle présidence US, il est encore difficile de savoir quel traitement sera réservé à ce que l'on a coutume d'appeler le pivot pacifique.

Sentant le vent tourner et en vertu du principe de précaution, la plupart des États concernés par ces problématiques maritimes ont commencé à s'organiser entre eux. Le rapprochement du Vietnam et du Japon est symptomatique de cette tendance. Tissant d'abord des liens économiques, les deux pays ont peu à peu abordé des questions plus sensibles ayant trait à leur Histoire commune et aux enjeux de mémoire.

 

Sans faire complètement fi du souvenir douloureux de l'occupation japonaise la relation bilatérale initiée dès 1973, renforcée depuis 2002 avec le partenariat de confiance et de stabilité, a su arrondir les angles pour se concentrer sur les effets positifs de la coopération économique. Le Japon est, avec la Corée, le principal investisseur et bailleur de fonds du Vietnam. Mais derrière les mots, les actions concrètes : Shinzo Abe a offert pas moins d'un milliard de dollars pour améliorer la défense maritime vietnamienne.

De la part d'une nation officiellement privée d'armée, c'est presque un comble. Bon dans les faits, la force d'autodéfense japonaise n'a rien à envier aux grands de ce monde et en l'occurrence ses forces maritimes sont redoutables. Toujours est-il que l'union fait la force surtout à un moment où la plupart des acteurs locaux choisissent leur camp2 entre la tutelle chinoise (Malaisie, Philippines) et les alliances régionales en attendant de voir ce que va faire l'Oncle Sam3.

Bon revenons à notre empereur. Ce dernier fait partie intégrante de cette vaste opération d'apaisement de la mémoire, encore vive, de l'occupation japonaise. A ce titre, le couple impérial va rencontrer les descendants et les compagnes des soldats japonais rentrés sur l'archipel avec l'interdiction formelle de rapatrier leur famille vietnamienne. Inutile de dire que le statut de ces métis n'a jamais été enviable, encore aujourd'hui. Quand on connaît la difficulté du Japon à assumer son passé militariste, il s'agit là d'un grand pas en avant. Et c'est ainsi que le geste est perçu dans la zone4. Nécessité fait loi.

Je ne résiste pas à l'envie de faire un parallèle avec notre propre histoire coloniale car nous entretenons également de bonnes relations avec le Vietnam malgré la tutelle française en Indochine et la guerre qui s'ensuivit. Pour nous qui sommes habitués à l'auto-flagellation et à la repentance qui n'adoucissent pourtant pas l'amertume des parties concernées - bien au contraire même - c'est assez déconcertant de voir un pays ravagé par de très longues années de guerre et des morts innombrables décider que le passé c'est le passé et voir dans l'ennemi d'hier le partenaire de demain.

Une attitude qui semble, sinon plus sage, indubitablement plus constructive.

 

1http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20170228-empereur-japon-akihito-vietnam-visite-historique

 

2http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/et-si-les-tensions-en-mer-de-chine-degeneraient-en-conflit-arme-majeur-494484.html

 

3https://asialyst.com/fr/2016/11/17/decu-election-trump-vietnam-eloigne-partenariat-transpacifique/

 

4http://lecourrier.vn/la-visite-de-lempereur-akihito-applaudie-au-vietnam/372543.html

 

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Etude : la Mer de Chine du Sud
Étude complète des enjeux en Mer de Chine du Sud Vietnam publié en septembre 2011 par l’Asia Centre (par Benoît de Tréglodé). Un document à contextualiser, notamment depuis la nouvelle présidence étasunienne, mais dont bien des points restent d’actualité au regard de la crispation des différents États de la zone sur la question des eaux territoriales, des droits de navigation et de pêche.


4 réactions


  • phan 2 mars 2017 11:04
    Bonjour,
    Voici 2 liens sur le passé colonial japonais :
    Le Japon et le fait colonial I
    L’Asie du Nord-Est coloniale — Années 1880-1920
    Le Japon et le fait colonial II
    Les débats du temps post-colonial, des années 1950 à nos jours
    avec un article intéressant de Lionel Babicz : Japon-Corée, France-Algérie
    Réflexions sur deux situations coloniales et postcoloniales.
    et un livre de NAMBA Chizuru - Français et Japonais en Indochine (1940-1945) - Edition Karthala
    Explorant les rivalités culturelles qui opposèrent Français et Japonais en Indochine pendant la période du régime de Vichy, Chizuru NAMBA apporte un regard nouveau sur une période cruciale, à la veille de la guerre pour l’indépendance du Viêtnam.



  • phan 2 mars 2017 11:29

    La famine vietnamienne de 1945 s’est produite en Indochine française, principalement au protectorat du Tonkin (nord du Viêt Nam actuel), d’octobre 1944 à mai 1945, pendant l’occupation japonaise du pays. Le gouverneur général Jean Decoux évoqua le chiffre de un million de victimes, tandis qu’Hô Chi Minh en comptait le double.
    La grande famine de 1945 fut à la fois une réalité et l’argument majeur de la propagande du Viet Minh pour mobiliser la population contre les Français et les Japonais.


  • ung do 2 mars 2017 22:43

    le voyage impérial a , entre autres visées , de pousser à la coopération entre les 2 pays , au développement des investissements et des échanges
    _ il y a aussi le souhait d’attirer le Vietnam à participer à un front anti chinois , au pivot américain ; le Japon sert de poisson pilote pour son suzerain américain
    _ la Chine étend son emprise sur la mer de Chine sud agressant les autres riverains mais qui est l’oeuf , qui est la poule ? Répond -elle au pivot américain ou est ce l’inverse ? Qui menace qui ?
    [ en 2011, le président Obama a annoncé un pivot ou “basculement vers l’Asie”, ce qui veut dire que près des deux-tiers des forces navales américaines seraient transférées en Asie et dans le Pacifique en 2020. Aujourd’hui, plus de 400 bases militaires américaines encerclent la Chine, avec des missiles, des bombardiers, des bateaux de guerre et, par-dessus tout, des armes nucléaires. Depuis le nord de l’Australie jusqu’au Pacifique et le Japon, de la Corée à l’Eurasie via l’Afghanistan et l’Inde, les bases forment – comme le dit un stratège américain”, “le parfait nœud coulant” ] . Les US ont installé en Corée du sud un système de missiles appelé THAAD soi -disant de défense mais qui menace directement Pékin et le coeur industriel chinois . On se rappelle la crise des missiles de Cuba en 1956 , on a failli avoir la guerre mondiale parce que les Russes y avaient basé des missiles .
    La Chine avec la construction et l’aménagement de bases sur les îlots de la mer de Chine a repoussé au loin les flottes américaines
    Qui est plus à sa place en Asie ? Rappelons nous la doctrine Monroe : l’Amérique aux Américains
    _ le VN malgré l’agressivité chinoise a intérêt à rester neutre entre les 2 puissances et même à pencher vers la Chine , à faire de l’amitié avec la Chine le piler principal de sa politique étrangère . Les 2 pays seront toujours voisins . Les Américains sont en plein déclin , leurs dissensions internes s’aggravent ; ils risquent de devoir se retirer un jour de l’Asie . Le VN devrait méditer le sort de Cuba qui subit depuis 60 ans le blocus cruel et vindicatif de son puissant voisin .
    Les Philippines de Duterte font preuve de réalisme , ils cherchent à se rapprocher de Pékin


    • phan 4 mars 2017 14:18

      @ung do
      Bonjour, voici mes 4 Remarques :

      Rester neutre comme fut jadis la Suisse concernant la guerre au Vietnam ?

      Le Vietnam, une zone sombre de la mémoire suisse
      En autorisant, et soutenant même, la vente d’avions et de pièces d’horlogerie, la Suisse a participé à l’effort de guerre américain au Vietnam.

      Adosser à la Chine, parce que le VN et la Chine sont voisins ?

      Ho chi Minh, lui-même, en 1945, avait déclaré : « Mieux vaut sentir la merde Française pendant 100 ans que manger celle des Chinois pendant 1000 ans. »
      Le héros de la guerre d’indépendance est entré en guerre contre l’exploitation par des Chinois de mines de bauxite, le général Vo Nguyen Giap menait avant de mourir, la fronde contre les projets gouvernementaux d’ex­ploitation de la bauxite. « Nos dirigeants font une immense erreur », estime le plus grand héros militaire vietnamien. Dans un pays où toute voix dissidente est réprimée, le vainqueur de Dien Bien Phu et de la guerre américaine du Vietnam critiquait une « aberration nationale et environnementale ».
      L’objet de sa colère : une con­cession d’exploitation d’un énorme gisement de bauxite, minerai à partir duquel on fabrique l’aluminium, sur les hauts plateaux du centre du pays, accordée fin 2007 à une filiale du géant chinois Chinalco. La mine devrait produire jusqu’à 1,2 million de tonnes d’aluminium par an, faisant du Vietnam l’un des principaux producteurs au monde. Mais l’ex­ploitation de la bauxite est un casse-tête écologique, car les mines sont à ciel ouvert, et le traitement du minerai produit des boues rouges très toxiques en grande quantité.
      La fin de la guerre US contre le VN date du 30 Avril 1975, les conséquences de l’Agent Orange continuent à faire des terribles ravages aujourd’hui, les mémoires de l’homme peuvent être oubliées ou effacées, mais la thèse de la Mémoire de l’Eau est toujours d’actualité.
      Les paysans vietnamiens n’attendent rien de l’Occident (le Japon et la Corée du Sud ne sont que 2 néo-colonies des Américains), ils peuvent compter sur l’OCS dont la Chine est membre pour régler les conflits de façon pacifique.

      Suivre l’exemple de Cuba ?

      Oui, certainement comme dans l’exemple de la guerre civile angolaise
      La guerre d’Indépendance angolaise était une lutte pour le contrôle de l’Angola entre les mouvements de guérilla et l’autorité coloniale portugaise. En 1975 Cuba a fourni aux rebelles du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) des armes et des soldats pour combattre. L’armée cubaine, avec l’appui de l’URSS, se battra aux côtés du MPLA dans les grandes batailles.
      De son côté, l’UNITA était soutenu par la Chine, les États-Unis, Israël, le Zaïre, le Gabon, le Maroc et par la Côte d’Ivoire. L’Afrique du Sud a envoyé 20 000 soldats en Angola en 1976 afin de soutenir militairement l’UNITA pour les retirer en 1989.
      Cette aide militaire de Cuba à l’Angola est connue comme l’« Operación Carlota ». Elle mènera au renversement de la domination de la minorité blanche en Afrique australe et à l’effondrement ultérieur du régime d’Apartheid en Afrique du Sud.
      En fait, la raison pour laquelle Obama a fait ses gestes envers Cuba était d’essayer de surmonter l’isolement des États-Unis. Ce sont les États-Unis qui sont isolés, pas Cuba.

      Dutertre se rapproche de Pékin ?

      Voici l’observation d’André Vltchek au sujet de Dutertre  :
      http://www.investigaction.net/philippines-le-president-duterte-pour-les-nuls/
      http://www.investigaction.net/philippines-le-president-duterte-pour-les-nuls-24/
      http://www.investigaction.net/philippines-le-president-duterte-pour-les-nuls-34/
      http://www.investigaction.net/philippines-le-president-duterte-pour-les-nuls-44/

      Les Philippines sont toujours sous influence américaine, et
      « Les grandes puissances n’ont pas de principes, seulement des intérêts. » - Henry Kissinger


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