vendredi 1er février 2013 - par redrock

Algérie... Syrie

La sanglante prise d'otages d'In Amenas en Algérie vient nous rappeler les années de terreur que ce pays a connu entre 1992 et le début des années 2000.

 Il y a vingt ans déjà en Algérie des élections régulières donnaient la victoire au FIS, parti islamiste ; le gouvernement annulait ces résultats et un groupe de généraux prenait le pouvoir en main. On pouvait alors lire dans une dépèche de l'AFP :

"Vendredi 6 mars 1992

Après la dissolution du FIS Les militants islamistes algériens se disent philosophes

La décision de dissoudre le Front islamique du Salut, prise mercredi à deux jours de la prière hebdomadaire du vendredi et du début du mois de jeûne de Ramadan, ne semble pas avoir surpris les militants et sympathisants du FIS dans les quartiers populaires de Belcourt, de Bab el Oued, de Kouba et de Bach Djarrach, principaux théâtres de l'opposition islamiste des dernières semaines." Dépêche AFP.

 

On connait malheureusement la suite et l'enchainement de terreur et de massacres qui devait suivre

La décennie de terreur en Algérie et ses 200 000 morts nous apparaissent alors bien plus complexes que le scénario "gouvernement contre terroristes islamistes". La crise sociale de 1986-88 a fait le lit du FIS financé par l'Arabie Saoudite et développé de profondes fractures sociales dans la société algérienne. La dissolution du FIS a entraîné alors un cycle violent de provocation-répression nourri par ce terreau de frustrations sociales et politiques , parfois instrumentalisé par la DRS et discrètement financé et soutenu par l'Arabie Saoudite et les Américains soucieux de ne pas voir un état trop fort et riche s'installer au centre du Maghreb. Ce cycle a failli déboucher sur une guerre civile totale, particulièrement en Kabylie qui a connu un début d'insurrection en fin de période en 2001. La guerre civile a pris fin lorsque le gouvernement et les dirigeants emprisonnés du FIS commencèrent à négocier puis discuter d'une loi d'amnistie en 1999 provoquant l'isolement puis l'affaiblissement du GIA.

 

Dans le contexte des Révolutions Arabes, puis des crises Libyenne et Syrienne plusieurs questions se posent à propos de l'Algérie.

Alors que les Révolutions Arabes ont installé partout des gouvernements islamistes et voient en Tunisie voisine le triomphe du parti Ennahdha de Ghannouchi, que sont devenus les islamistes algériens ?

 

Certains intellectuels algériens redoutent que ces dix années de Guerre Civile n'aient servi à rien face à ce retour de l'Islamisme conservateur avec onction de l'Occident.

Quelle voie (voix ?) reste-t-il à l'Algérie pour ne pas suivre cette même pente vers une charia maghrébine un peu édulcorée par les impératifs touristiques et les vestiges coloniaux ?

 

 Un article du quotidien algérien "Liberté Algérie"

rend compte des inquiétudes et de la défiance de ce journal par rapport aux Révolutions Arabes. Ce journal, connu pour la publication régulière des caricatures d'Ali Dilem, rapporte ici les éléments d'un débat organisé par le journal El Moudjahid autour du livre d' Eric Denécé : "La face cachée des Révolutions Arabes" (éditions Ellipses). L'auteur est un spécialiste du renseignement, fondateur du CF2R, centre français de recherche sur le renseignement ; les participants au débat "démontrent
le rôle joué par les monarchies du Golfe notamment l’Arabie saoudite et le Qatar dans le financement de ces révolutions concoctées dans les laboratoires d’organisations américaines.". Ils ne pensent pas que l'Algérie puisse être à nouveau touchée par cette révolution islamiste, néanmoins l'organisation de ce débat traduit bien une inquiétude certaine qui s'exprime même de façon claire lorsqu'il s'agit du terrorisme au Nord Mali.

Les participants au débat et plus généralement les Algériens portent sur les événements de Syrie un regard forcément lié aux dix années de terreur qu'ils ont vécues et ils ont du mal à comprendre et accepter le soutien de l'Arabie saoudite, du Quatar et des occidentaux aux mêmes extrémistes islamistes que l'on a pu retrouver dans le GIA et dans les groupes du type Jabbhat Al Nosra ou Ahrar al Sham en Syrie.

Autres temps, autres lieux ? En son temps la crise algérienne vue d'Europe a été majoritairement relatée dans les médias comme le combat légitime d'un gouvernement en place contre un terrorisme islamique cruel et sauvage. Quelques voix discordantes se sont fait entendre au début pour dénoncer l'annulation d'une élection régulière et la mise en place d'un pouvoir militaire mais les médias dominants ont pratiquement ignoré la répression contre les islamistes et ont accueilli avec soulagement la reprise en main du pays par un gouvernement militaire musclé.

Quelle différence avec la perception actuelle du déroulement des crises Libyenne et Syrienne.On retrouve pourtant en Syrie une situation assez semblable à celle de l'Algérie de 1992, un pouvoir fort issu de l'armée avec un parti unique laïc de type "étatiste-socialiste", une classe dirigeante corrompue et une crise sociale travaillée par des mouvements islamistes. Les émeutes démarrent en Syrie dans la mouvance des "révolutions arabes" alors qu'en Algérie elles résultaient pourtant de l'annulation d'élections démocratiques et d'un coup d'état militaire. Force est de reconnaitre qu'au début des deux crises, la répression a été beaucoup plus violente et générale en Algérie qu'en Syrie et que le black out médiatique y a été bien plus obscur. De façon toujours aussi paradoxale le Président Bachar el Assad jouissait plutôt d'une assez bonne image avant ces crises et en tout cas bien meilleure que celle des dirigeants Algériens ; d'ailleurs n'avait-il pas été invité à assister au défilé du 14 juillet à Paris ?

 

Contrairement à l'Algérie il y a eu de plus en Syrie des ébauches de négociation et d'ouverture politique mais cela n'a pas suffi à ralentir la montée des troubles et une condamnation quasi unanime et unilatérale du régime Syrien alors même que l'on ne pouvait plus ignorer les agissements terroristes de certains groupes djihadistes extérieurs.

Comment expliquer alors que ces évènements en Algérie et en Syrie donnent lieu à des traitements inversés dans les médias et donc dans les opinions publiques ?

La raison ne peut pas en être dans une atténuation du danger terroriste islamique puisque dans le même temps il est encore brandi en Afghanistan et au Mali ; la guerre contre le terrorisme n'était d'ailleurs pas encore lancée au début de la guerre civile algérienne et Oussama Ben Laden n'était pas encore l'icone du terrorisme mondial.

 

On doit donc simplement constater que l'opinion s'inquiétait fort de l'émergence possible d'une république islamique de l'autre côté de la Méditerranée comme on a pu d'ailleurs le constater à propos de la Révolution Tunisienne. On peut remarquer paradoxalement qu'à l'inverse la monarchie Islamiste marocaine de droit divin a une très bonne presse mais elle le doit à son atlantisme militant. L'épisode Malien nous prouve également que cette région ne peut être laissée entre les mains d'extrémistes islamiques qui en auraient pris, dit-on, le contrôle.

 

L' exemple Tunisien apporte cependant un éclairage nouveau avec l'arrivée au pouvoir d'Ennahdha qui a su se faire discret pendant la première étape de la Révolution et a largement profité des méthodes modernes de communication : téléphones portables, internet, réseaux sociaux qu'ils avaient appris à utiliser avec l'aide d'agences américaines ou britanniques telles que l‘USAID, la National Endowment for Democracy (NED), la Freedom House ou l’Open Society Institute. Plusieurs dizaines d’ONG arabes de l’Atlantique au Golfe, dont quelques algériennes, ont bénéficié de leur aide à travers des sessions de formation ou des subventions directes. 

Les Révolutions Arabes relèvent toutes d'une communication habile et de scénarios sophistiqués s'appuyant néanmoins sur les bonnes vieilles recettes de la propagande de guerre : favoriser une identification de l'opinion avec le bon camp (jeune, moderniste, ouvert, non violent, représentant la "société civile"...) et diaboliser l'autre camp personalisé par un dictateur sanguinaire à la tête de hordes fanatiques et cruelles (Saddam Hussein, Milosevic, Khadafi, Assad... bientôt Poutine, Ahmadinejad) ,introduire la tension d'un massacre imminent pour passer à l'étape suivante.

Ainsi, en Tunisie et en Egypte, pays où les Armées étaient largement controlées et financées par les USA, les révoltes arabes ont pu dégager, avec la neutralité active de l'armée les vieux dictateurs carbonisés et favoriser l'arrivée de régimes islamistes sans toucher aux bourgeoisies économiques en place.

Pour la Libye et la Syrie, régimes dénoncés par les USA mais dotés d'armées indépendantes, le scénario est plus complexe. Il est admirablement construit pour la Libye avec le siège de Benghazi, ville rebelle, menacée d'être rayée de la carte par le tyran sanguinaire, puis l'intervention aérienne de la cavalerie franco-anglaise sous mandat de l'ONU. Que dire du jeu subtil d'un Obama, officiellement réticent devant l'intervention armée, puis contraint et forcé d'en confier la direction à un général américain ?

 

Les Russes bloquant tout scénario semblable pour la Syrie on pratique alors une politique de harcèlement croissant sur le terrain et de saturation médiatique par le biais de l'OSDH . Le scénario des manifestants non violents du Vendredi soir systématiquement visés par les snipers du pouvoir sature les journaux télévisés, viennent ensuite les vidéos de massacres abjects invariablement attribués aux mercenaires du régime.Qu'importe si la fausse blogueuse lesbienne était en fait un quadragénaire américain étudiant en Ecosse, ou si les images du massacre de Houla diffusées par la BBC montraient des images de la guerre civile en Irak ou si toutes les informations contraires au scénario sont systématiquement ignorées il faut maintenir le cap de la diabolisation absolue. C'est une nécessité pour que l'opinion accepte finalement la participation de plus en plus explicite du bloc Occident-Emirats dans la guerre contre le régime de Bashar el Assad et ferme les yeux sur les quelques agissements des combattants djihadistes qui franchissent le mur du black out médiatique.

Sur la durée les informations finissent toujours par remonter et le canal internet laisse passer les videos des violences djihadistes filmées par eux mêmes ; les reportages de quelques journalistes indépendants ou de télévisions étrangères laissent passer une image plus constratée d'un pays dévasté en proie à une guerre civile infiltrée par de violents groupes islamistes tels qu'on les a connus en Algérie, Afghanistan, Irak et maintenant Libye puis Mali.

Paradoxalement le scénario Malien : la menace de l'invasion djihadiste sur Bamako nécessitant l'intervention française est une réussite-pour l'instant-concernant sa réalisation sur le terrain et son accueil favorable dans l'opinion, mais il est mal synchronisé avec la crise Syrienne.

En remettant en avant le danger djihadiste il jette un doute sur la pertinence de la guerre Libyenne et sur les risques de contagion djihadiste en Syrie. D'ailleurs dès Mercredi 30/01/2013, le chef de l'opposition syrienne crée la surprise en se déclarant prêt à négocier avec le régime.

Israël n'a pas manqué de réagir en bombardant un objectif en territoire Syrien mais c'est paradoxalement la Syrie qui est condamnée et menacée par les Américains car accusée de vouloir transférer des armes pour le Hezbollah Libanais ; Israël n'aurait fait que se défendre par anticipation !

S'agit-il là d'une phase ultime pour provoquer un affrontement militaire faute de voir triompher la rebellion ? C'est une éventualité, espérons que le gouvernement Syrien ne tombe pas dans ces provocations.



2 réactions


  • GHEDIA Aziz GHEDIA Aziz 1er février 2013 14:12

    A L’AUTEUR

    C’est surtout la conclusion qui a retenu mon attention et qui m’a poussé à réagir. Effectivement, si la rébellion n’a pas triomphé dans ce pays (la Syrie) c’est parce que le peuple syrien dans sa majorité est avec le pouvoir actuel. Il a compris que sa « révolution » est fomentée par l’étranger. Cette prise de conscience est peut-être tardive (cela fait quand même deux ans que la Syrie est en proie à ce qui s’apparentait, il n’ya pas si longtemps, à une guerre civile) mais, il n’est jamais trop tard pour rectifier le tir. D’autant plus que les yeux de l’Occident sont maintenant tournés ailleurs, vers le Mali. Nous espérons donc que la Syrie ne tombe pas dans le piège et que les opposants de tout bord reviennent à la raison et essaient de discuter avec Bachar. 


  • thitrite thitrite 1er février 2013 16:36

    dés lors que les groupes dits « opposition’ ont pris les armes contre leurs propres citoyens , c’est n’est plus une revolution ,mais c’est du terrorisme en bonne et dûe forme.

     désolée pour ce grand pays poignardé dans son dos par ses »fréres arabes « , et fracassé par ses propres enfants outils de ses »fréres arabes " quel gâchis !!.
    et c’est toujours les pauvres gens du peuple qui paient de leur chair la folie des uns et des autres .


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