Bahreïn, théâtre des rivalités entre l’Iran et l’Arabie Saoudite
Alors que le monde a actuellement les yeux rivés sur les événements en Libye, il serait intéressant de s’intéresser aux autres manifestations ayant court actuellement à Bahrein, dont les conséquences pourraient être bien plus importantes pour l’équilibre du Moyen-Orient.
Cette île fait presque partie de l’Arabie Saoudite sur de nombreux points. Tout d’abord, les deux pays sont reliés par un pont, la chaussée du roi Fahd. Ensuite, Bahrein et l’Arabie Saoudite ont tous les deux des liens très forts avec les Etats-Unis, l’archipel hébergeant même la 5e flotte américaine. Contrairement à l’Arabie Saoudite, Bahrein n’est pas un producteur majeur de pétrole, mais plutôt un centre financier. La population est à majorité chiite, mais le gouvernement est sunnite et très fortement lié aux Saoud. Cette cohabitation Chiites/Sunnites a toujours été source de tensions à Bahrein, car la majorité chiite est écartée de nombreux postes importants et subit de nombreuses discriminations.
Le renversement potentiel du gouvernement bahreini par un mouvement chiite pourrait enhardir les chiites saoudiens, qui vivent au nord-est du pays près de l’archipel de Bahrein justement, dans une région riche en pétrole. Il affaiblirait également la position américaine dans la région et montrerait au monde la puissance iranienne.
Si l’Arabie Saoudite intervenait à Bahrein, comme cela semble fortement possible, les Iraniens auraient des arguments à faire valoir pour intervenir également, probablement de façon couverte. La répression du gouvernement justifierait une plus grande implication iranienne dans les affaires bahreinies, en raison de la solidarité chiite. Dans le même temps, les Etats-Unis pourraient bientôt être confrontés au dilemme de renforcer leur présence (déjà plus de 1500 soldats) ou retirer leurs troupes.
Bien sûr, de nombreux facteurs internes n’ayant aucun lien avec l’Iran, l’Arabie Saoudite ou les Etats-Unis expliquent les événements actuels à Bahrein. Mais, de même que les dynamiques internes des révolutions influencent la scène internationale, la scène internationale influence les affaires internes des Etats.
L’Iran a clairement intérêt à voir le régime bahreini être renversé. Il est difficile de savoir à quel point les Iraniens sont influents dans ce pays, mais l’Iran est particulièrement lié avec un religieux, Hassan Mushaima, récemment rentré du Royaume-Uni afin de participer aux manifestations. La présence massive de chiites à Bahrein fait de ce territoire une priorité diplomatique certaine pour l’Iran.
Mais Téhéran a d’autres cibles également. Ces cibles sont tout simplement tous les Etats limitrophes de l’Arabie Saoudite, avec une forte population chiite et une présence militaire américaine. On peut ainsi inclure Oman, que les Etats-Unis utilisent comme base logistique, Qatar, quartier général du commandement central américain et qui abrite la base aérienne d’Al Udeid, et le Koweit, un hub logistique primordial pour les opérations irakiennes. Ces trois pays font ou ont fait l’expérience de manifestations.
La cible la plus importante est, bien entendu, l’Arabie Saoudite. C’est le cœur de la péninsule arabique et sa déstabilisation changerait profondément l’équilibre des puissances dans la région, voire dans le monde. Téhéran n’a jamais fait mystère de sa rivalité avec Riyad et vice-versa. Au Yémen, l’instabilité progresse et pourrait déborder vers les zones à majorité ismaélites (chiites) du sud de l’Arabie Saoudite. La situation en Irak est en train d’évoluer en faveur de l’Iran. Un ou plusieurs changements de régimes autour de l’Arabie Saoudite créerait de nombreuses peurs et des dissensions au sein de la famille royale saoudienne, qui suit toujours avec attention l’attitude des chiites saoudiens. Pour le moment, le régime a répondu par la violence aux revendications chiites.
Les Iraniens rêveraient fortement de voir les régimes tomber dans la région, même si c’est peu probable. Ils se contenteront néanmoins de causer de l’instabilité.
Avec le retrait prochain des troupes américaines d’Iraq, les Saoudiens représentent maintenant les soutiens principaux des sunnites irakiens. Si l’Arabie Saoudite venait à être déstabilisée, l’Iran pourrait plus aisément avancer ses pions en Irak. A ce moment-là, il resterait trois options : une intervention turque, ce qui est peu probable, un retour des américains, que l’administration actuelle ne souhaite pas, ou alors des américains qui accepteraient le changement de l’équilibre régional des puissances.
Deux processus sont en cours. Tout d’abord, l’Iran va bientôt être, si elle ne l’est pas déjà, la puissance étrangère la plus influente en Irak. Ensuite, le retrait progressif des troupes américaines laisse un boulevard pour que les iraniens fassent davantage valoir leurs intérêts. Ces intérêts sont triples : éliminer les puissances étrangères de la région, persuader l’Arabie Saoudite et les autres pays de la région qu’ils ont tout intérêt à discuter, voire négocier avec l’Iran, et enfin redéfinir la géopolitique des hydrocarbures dans le golfe Persique en faveur de l’Iran avec notamment des investissements régionaux dans le développement du secteur énergétique en Iran et des participations iraniennes dans les projets pétroliers régionaux.
On le voit, les évènements dans le golfe Persique sont sensiblement différents des évènements en Afrique du nord, avec bien plus de conséquences à l’échelle mondiale. Bahrein est le point central d’un combat entre l’Iran et l’Arabie Saoudite pour le contrôle du littoral occidental du Golfe. Si l’Iran échoue à capitaliser sur les évènements à Bahrein, où sa situation est particulièrement favorable, Téhéran pourrait avoir raté sa chance d’apparaître comme l’acteur régional majeur. Si le gouvernement bahreini tombe, la porte s’ouvre pour de nouvelles actions.
Les Iraniens sont dans une position favorable quoiqu’il arrive, grâce au retrait américain d’Irak. Ce retrait conjugué à des changements de régimes ou même des déstabilisations autour de l’Arabie Saoudite entraînera deux choses. Tout d’abord, Riyad, une fois en proie à des troubles, devra négocier un accord avec l’Iran selon les conditions iraniennes. Ensuite, la position américaine dans la région sera fortement affaiblie, rendant toute intervention militaire de Washington plus qu’improbable.
En fait, le problème principal reste le départ des Etats-Unis d’Irak sans avoir été capable d’installer un régime fort et favorable aux intérêts de Washington. L’instabilité dans le golfe persique permet aux iraniens d’avoir une stratégie à peu de risques pour beaucoup de récompenses qui pourrait, si elle réussit, changer totalement l’équilibre des puissances dans le Golfe. Les Etats-Unis se trouvent donc en réelle difficulté, pendant que dans le même temps, les prix du pétrole augmentent…