samedi 30 juillet 2022 - par Kalman SCHNUR

Bêtise suicidaire et sanctions à double tranchant

Poutine exigea d'être payé en Roubles pour ses hydrocarbures. Roublard, c’est le cas de le dire.

Le premier mars 2022, une semaine après l’invasion russe de l’Ukraine du 24 février, le génie intersidéral qui nous sert de ministre des Finances, l’ineffable Bruno Le Maire, tenait ce langage martial, belliqueux, inouï et inédit. Dûment documenté, entre autres par une séquence YouTube devenue culte :

« Les sanctions sont efficaces. Les sanctions économiques et financières sont même d’une efficacité redoutable. Et je ne veux laisser planer aucune ambiguïté sur la détermination européenne à ce sujet. Nous allons livrer une GUERRE économique et financière TOTALE à la Russie. Nous allons donc provoquer L’EFFONDREMENT de l’économie russe ».

Ainsi parla Bruno, premier de la classe coiffé, cravaté et propre-sur-lui.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Voyons en première approche un paramètre, accessible au commun des mortels et qui a son importance : l’évolution du Rouble russe comparé à l’Euro avant et après la gonflette du Ministre rouleur de mécaniques. 

Le Rouble, qui longtemps avant le 24 février était stable à environ 1.2 centimes d’Euro, plongea immédiatement après le discours de l’héroïque Bruno. Le 7 mars, perdant la moitié de sa valeur, il en était à 0.61 centimes d’Euro.

C’est là où Poutine exigea d'être payé en Roubles pour ses hydrocarbures. Roublard, c’est le cas de le dire.

Car le Rouble prit immédiatement un envol sans précédent ; le 30 juin il valait 1.8 centimes d’Euro, moitié plus que sa valeur moyenne pendant des années (1.2) et trois fois plus que son point bas (0.61).

La Russie est donc payée en Roubles forts en contrepartie de ses hydrocarbures dont le prix explose pour cause des sanctions que nous infligeons à nous-même.

Double bénéfice pour la Russie. En revanche, c’est nous qui voyons l’Euro dégringoler sur le marché mondial. Merci Bruno.

Le ministre ignorait-il la possibilité offerte à Poutine de réagir de la sorte ? Sous quel éclairage cette affaire présente la gouvernance, française et européenne ? Sommes-nous dirigés par des bras cassés, amateurs et ignares ?

Mais Bruno s’en fout. Il est reconduit à son poste dans le gouvernement Borne. Nous, en revanche, on n’a pas fini de payer l’addition des agissements de la gouvernance (européenne) la plus stupide et la plus suicidaire de l’Histoire. Et les désordres politiques et sociaux, les émeutes du froid en Europe et de la faim (et pas qu’en Afrique), c’est pour qui ?

Maigre consolation, la France n’est pas seule dans la course au précipice. L’Union européenne est fière de se suicider pour l’idée qu’elle voudrait se faire de l’Ukraine, de la Russie, de ce conflit et surtout d’elle-même. Ursula Von Der Leyen s'en rejouit bruyamment.

De quel droit d’ailleurs cette aristocrate allemande nous interdit l’accès aux organes de presse russes « RT » et « Spoutnik » ? Quelle en est la base légale ? Risquerions-nous d’y apprendre de choses qu’Ursula voudrait nous cacher ? Préfère-t-elle les organes de presse téléguidés par la CIA ? Est-ce pour cela que nous marchons, tels des somnambules, dans les pas du pyromane sénile de Washington ?

Heureusement, l’essentiel est préservé. Nous n’achèterons plus, nous dit-on, des hydrocarbures auprès de ce dictateur de Poutine. Nous ferons désormais le plein auprès de la glorieuse démocratie islamique d’Arabie Saoudite et de son chef MBS, sabreur de journalistes à ses heures et boucher des populations civiles du Yémen. L’honneur est sauf. 

Et puis, au diable la planète. Nous remplacerons l’énergie russe par le charbon allemand. Et même, au besoin, par le gaz de schiste américain. A la guerre comme à la guerre ; d’autant que c’est nous qui avions déclaré la guerre à nous-même.

Evidemment la Grande-Bretagne, certes hors de l’UE mais tout aussi suicidaire, suit automatiquement, what else, le grand frère d’outre-Atlantique. Le clown hirsute d’Albion, Boris Johnson, est passé champion dans l’anti-russisme primaire. Tout lui était bon pour parler d’autre chose que du Brexit et de ses frasques au 10 Downing street. Bon débarras, mais rien ne permet d’espérer une attitude plus saine de la part de ses successeurs, quels qu’ils soient.

Sauf que l’espoir, comme souvent, vient encore d’Albion. Car, si l’unanimité honteuse du style Bruno le Maire règne de ce côté-ci de la Manche, l’omerta commence à se fissurer en face. L’excellent « Guardian » de Londres du 29 juillet avertit, sous la plume de Simon Jenkins : « Le rouble monte en flèche et Poutine est plus fort que jamais ; nos sanctions se sont retournés contre nous » (‘’The rouble is soaring and Putin is stronger than ever - our sanctions have backfired’’).

Et de citer les plus flagrants des innombrables cas où les sanctions par l’autoproclamée « communauté internationale » (traduisez les USA et leurs vassaux) n’ont servi qu’à cimenter les pays visés autour de leur régimes. Le Cuba, la Corée du Nord, le Myanmar (Birmanie), l’Iran, le Venezuela et la Russie suite à l’annexion de la Crimée en 2014 : les régimes autocratiques se sont barricadé, les élites existantes furent revigorées et les libertés écrasées. Les sanctions infligées par « l’Occident » consolident souvent les dictatures….

La Hongrie d’Orbán manifeste déjà peu d’appétence à l’égard de l’hystérie poutinophobe de l’UE et de la Grande Bretagne. L’Allemagne, par tradition, nécessités économiques et positionnement géostratégique, ne serait pas loin de la suivre pour peu que l’hiver soit rude et l’industrie assoiffée de gaz.

Attendons voir. On rira jaune mais on rira.

 K. Schnur Juillet 2022.




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