lundi 6 mai 2019 - par venezuelainfos

« Ce n’est un coup d’Etat que si le gouvernement états-unien le dit » par Alan MacLeod

 

La rage médiatique qui a légitimé la répression contre les Gilets jaunes en France aide, par analogie, à mesurer l’étendue du mensonge sur le Venezuela. L’occultation de la base populaire du chavisme et la transformation en “société civile luttant pour la démocratie” d’une minorité nostalgique de l’apartheid, victorieuse à Brasilia et impatiente à Caracas, ont déjà fait l’objet de quelques centaines d’analyses sur ce blog (voir “médiamensonges/propagande/désinformation”). Les médias français étant, avec un retard de quelques heures ou minutes, l’ombre portée des médias privés du Venezuela et des Etats-Unis, on gagne du temps à étudier l’original.

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Les médias se rangent du côté de Trump plutôt que du bon sens en qualifiant le coup d’État de » protestation « . Par Alan Mc Leod, de FAIR

Photo :un militant de l’extrême droite putschiste (photo : Fernando Llano, AP).

L’Histoire semble se répéter au Venezuela, où l’opposition locale de droite a lancé une nouvelle tentative de chasser le Président Nicolas Maduro du pouvoir. Entouré d’une poignée de partisans inconditionnels, Juan Guaidó, président “autoproclamé”… par Washington, a appelé les militaires à se soulever pour renverser le président démocratiquement élu Nicolas Maduro, ce 30 avril 2019. Guaidó, un homme qui ne s’est jamais présenté aux élections présidentielles, avait tenté la même choseen janvier. La droite vénézuélienne a déjà tenté de renverser Maduro et son prédecesseur Hugo Chávez en de nombreuses occasions, notamment en 2017, 2014, 2013, 2002 et 2001.

Bien qu’elle porte les marques évidentes d’un coup d’État – défini comme « le renversement violent ou la modification d’un gouvernement existant par un petit groupe » – les médias états-uniens ont massivement soutenu cette tentative, comme ils l’ont fait dans le passé – (FAIR.org1/25/195/16/184/18/02). CNN (4/30/19) a dit aux Etats-Unis qu’il faut “soutenir le peuple” du Venezuela, avant de déclarer explicitement : “soutenir le peuple vénézuélien signifie espérer que Maduro va partir” – répétant ce phénomène étudié par FAIR (1/31/19) qui veut que pour les médias privés, “le peuple du Venezuela” est la minorité (raciste, blanche) qui est d’accord avec le gouvernement états-unien. CNN (4/30/19) a également utilisé les images des paramilitaires de Guaidó (identifiables par leurs brassards bleus) pour illustrer un rapport expliquant que les forces du “dictateur socialiste” Maduro “fauchaient des citoyens dans les rues.”

Pas un Coup d’Etat mais un…

Le cadre perceptif est un puissant outil de propagande. Ne dites pas “bombardement massif” mais “attaque chirurgicale”. Ne dites pas “tortures” mais “techniques avancées d’interrogatoire”. Ne dites pas “droite putschiste” mais “opposition”, ou “société civile”. Dans leurs efforts pour éviter l’usage du terme négatif, bien qu’approprié, de “coup d’Etat” pour décrire les événements qu’ils soutiennent, les médias doivent parfois emprunter des détours bizarres et des voies tordues. Le Washington Post (4/30/19) a employé l’expression confuse de “défi mené par l’opposition et soutenu par les militaires”. Le Post (4/30/19) a aussi publié un article en appui à Guaidó sous le titre “Une tentative de coup d’Etat est-elle en cours au Venezuela ?” Commençons par définir “coup d’Etat” pour voir s’il en existe de “nobles” et “démocratiques”…

D’autres médias ont également refusé d’utiliser le mot le plus logique pour décrire les événements. CBS (4/30/19), Reuters (5/1/19) et CNN (5/1/19) ont choisi le mot “soulèvement” NPR (4/30/19), le New York Times (4/30/19) “protestation”. Yahoo ! News a préféré “pari à haut risque” (5/1/19). De son côté le Miami Herald (4/30/19) a insisté sur le fait que la “rébellion militaire” au Venezuela “peut être appelée de multiples manières. Mais ne l’appelez pas une tentative de coup d’Etat.

Même des médias internationaux comme la BBC (5/1/19), le Guardian (5/1/19) ou Al-Jazeera (5/1/19) n’ont utilisé le terme “coup d’Etat” qu’entre guillemets, en le définissant comme une accusation provenant des autorités gouvernementales que ces médias ont satanisées depuis des années (Extra !11–12/05 ; FAIR.org5/28/184/11/19). Et ceci en dépit du fait qu’Al-Jazeera (4/30/19) a rapporté, le jour même du coup d’Etat, qu’Erik Prince, Le PDG de l’entreprise militaire privée Blackwater, a tenté de convaincre Donald Trump de le laisser envoyer 5000 mercenaires au Venezuela pour “chasser” Maduro.

Sténographes du pouvoir

Les raisons de la résistance des médias à user du terme “coup d’Etat” sont à rechercher dans les annonces officielles du gouvernement. Avec autant de crédibilité qu’un homme armé et masqué criant à plusieurs reprises “ceci n’est techniquement pas un hold-up”, le conseiller national à la sécurité John Bolton a déclaré aux journalistes le 30 avril : “clairement il ne s’agit pas d’un coup d’Etat” mais d’un effort du ”peuple vénézuélien” pour récupérer “sa liberté”, que les Etats-Unis “soutiennent pleinement.” De la même manière, le Secrétaire d’Etat et ex-directeur de la CIA Mike Pompeo a annoncé que ce que nous voyons au Venezuela “est la volonté du peuple de changer pacifiquement le destin de leur pays et de passer du désespoir à la liberté et à la démocratie.”

Peu après les commentaires de Bolton, Bloomberg a publié une série d’articles (4/30/19 ; 4/30/19 ; 4/30/19), tous d’auteurs différents, pour nous expliquer pourquoi ces événements ne constituaient pas une tentative de coup d’Etat. Et ceci malgré le fait que le reporter deBloomberg Andrew Rosati a révélé que le leader du coup d’Etat Leopoldo Lopez lui a dit ainsi qu’aux autres médias internationaux, qu’il voulait que les Etats-Unis gouvernent officiellement le Venezuela lorsque Maduro tomberait.

Pompeo a fait des vagues en avril après avoir admis pubiquement lors d’un événement à l’université de Texas A&M University qu’il était un menteur en série, un tricheur et un voleur. En tant que directeur de la CIA, a-t-il déclaré, “Nous avons menti, nous avons triché, nous avons volé. Nous avions des cours complets pour ça !” Cela n’a pas empêché les médias de crédibiliser ses déclarations étonnantes faites lors d’une interview par Wolf Blitzer de CNN (5/1/19) selon lesquelles Maduro, qui a survécu à plusieurs tentatives de coups d’Etat et d’assassinats, se trouvait sur le tarmac de l’aéroport pour s’envoler vers Cuba, “prêt à quitter le Venezuela pour de bon”, et n’était resté sur place que sur injonction de la Russie.

Cette affirmation douteuse, non vérifiée et contestée officiellement a fait les titres du monde entier (Daily Beast4/30/19 ; Newsweek4/30/19 ; Times of London, 5/1/19 ; Deutsche Welle4/30/19), sans que sa crédibilité soit vraiment remise en cause.

Ce n’est pas la première fois que les médias suivent la ligne gouvernementale sur un coup d’Etat au Venezuela. Comme je l’ai expliqué en détail dans mon livreMauvaises nouvelles du Venezuela : vingt ans de mensonges et de désinformation, les médias états-uniens ont appuyé le coup d’Etat d’avril 2002 contre le président Chavez, utilisant des euphémismes tels que “soulèvement populaire” (Miami Herald, 4/18/02), “troubles” (New York Times5/23/02) ou “chute temporaire de Chavez” (New York Times4/29/02) pour traiter plus positivement des événements. Ce n’est qu’après qu’un porte-parole de la Maison Blanche usa du terme “coup d’Etat” le 15 avril 2002 que le mot fut fréquemment utilisé dans les médias, ce qui suggère une synergie étroite entre les fonctionnaires gouvernementaux et ceux dont le travail supposé est de leur demander des explications.

Après 12 heures à peine, la plus récente tentative de coup d’Etat semble avoir échoué sous le poids de sa propre impopularité. Selon le New York Times (4/30/19), Guaidó a échoué à réunir un appui suffisant des militaires, son co-mentor Leopoldo Lopez a cherché refuge dans l’ambassade du Chili puis d’Espagne et 25 de ses paramilitaires ont fait de même dans celle du Brésil. Guaidó n’a pas gagné l’appui de la majorité des vénézuéliens qui ont auparavant chassé son cortège de voitures du quartier populaire où il avait essayé d’entrer. Les vénézuéliens ordinaires ont continué à vaquer à leurs occupations ou se sont mobilisés en défensedu gouvernement. Comme USA Today (5/1/19) l’a résumé :

Guaidó a appelé en ce moment les vénézuéliens de réclamer leur démocratie une fois pour toutes. Mais à mesure que les heures se sont écoulées, il est resté seul sur un tronçon d’autoroute avec le même petit groupe de soldats avec lequel il avait lancé l’effort téméraire d’allumer une révolte militaire.

Il semble en réalité que l’appui principal du coup d’État furent le gouvernement américain … et les médias. L’extraordinaire complicité de la presse, qui préfère s’aligner sur la version du département d’État plutôt que d’examiner les preuves empiriques, met en évidence le fait qu’en matière de politique étrangère, il n’y a souvent plus de différence entre l’État profond et le “quatrième pouvoir”.

 L’auteur : @AlanRMacLeod est membre du Groupe sur les Médias de la Glasgow University. Son dernier ouvrage “Bad News From Venezuela : 20 Years of Fake News and Misreporting” (Venezuela : 20 ans de mensonges ou d’inexactitudes) a été publié par Routledge en avril 2018.

Source : https://fair.org/home/venezuela-its-only-a-coup-if-the-us-government-says-so/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://wp.me/p2ahp2-4Ia



7 réactions


  • JC_Lavau JC_Lavau 6 mai 2019 11:48

    Il n’y a pas que Pompeo. Au Tribunal des Affaires Matriarcales et Antifamiliales, les féminazies en toge noire et jabot blanc aussi coqueriquent : « Oui on triche ! Oui on fraude ! Mais on triche avec élégansse ! Avecque panache ! ».


  • av88 av88 6 mai 2019 17:24

    Cherchez la différence :

    La Corée du nord tir des missiles en mer de Chine, n’a pas démantelée son arsenal nucléaire, n’est pas très « démocratique, réaction de Washington : c’est pas bien grave ! 

    Le Venezuela n’attaque personne, ne lance pas de missiles, n’a pas d’armes nucléaires, n’est pas très »démocratique« , réaction de Washington : c’est intolérable !

    La différence c’est que le Venezuela a d’énormes réserves de pétrole alors que la Corée du Nord, n’a pas de pétrole.

    Les Etats Unis se soucient de la »démocratie" surtout lorsque il y a du pétrole ou de gaz.

    Maintenant qu’ils sont le plus gros producteur de pétrole, il faut bien l’écouler ce pétrole, donc si ils peuvent éliminer quelques concurrents (Iran, Vénézuéla) c’est tout bénef. 


    • Sparker Sparker 7 mai 2019 18:03

      @av88

      « Maintenant qu’ils sont le plus gros producteur de pétrole, »

      Pas sur qu’il le reste longtemps.
      Mais c’est sur une des plus grosses réserves à 3 jours de tanker c’est top et surtout ne pas le vendre aux concurrents pour freiner leur développement ou du moins le laisser sous contrôle du dollar.


  • lloreen 6 mai 2019 19:35

    Le plan du coup d’état fomenté par la corporation des Etats-Unis.

    https://www.voltairenet.org/article201100.html


  • lloreen 6 mai 2019 19:52

    Il n’y a pas à dire, ils ont de la suite dans les idées mais pas beaucoup d’originalité...Du déjà-vu à grande échelle...

    « Favoriser l’insatisfaction de la population en augmentant la rareté et la hausse des prix des denrées alimentaires, médicaments et autres biens essentiels pour les habitants. Mise en œuvre des pénuries anxieuses et de plus en plus douloureuses des biens de base les plus importants.....

    Intensification de la sous-capitalisation du pays, des sorties de devises et de la détérioration de sa base monétaire, avec application de nouvelles mesures inflationnistes....

    Bloquer complètement les importations tout en dissuadant les investisseurs étrangers potentiels afin de rendre la situation plus critique pour la population....

    Le forcer (Maduro) à faire des erreurs qui créent une plus grande méfiance et le rejet dans le pays....

    L’assiéger, se moquer de lui et le positionner comme un symbole de maladresse et d’incompétence. Pour l’exposer comme la marionnette de Cuba....

    Lancez un appel aux alliés nationaux et à d’autres qui ont été introduits de l’étranger dans le scénario national pour créer des protestations, des émeutes et de l’insécurité, des pillages, des vols, des agressions et des raids sur les navires et autres moyens de transport afin de laisser ce pays en crise à travers toutes les zones frontalières et autres voies possibles, mettant ainsi la sécurité nationale des pays voisins en danger. Faire des victimes et tenir le gouvernement responsable de leurs actes. Pour exacerber la crise humanitaire devant le monde dans lequel le pays a été soumis.

    Élaborer un plan pour déserter les professionnels les mieux formés du pays, pour »se passer de tout professionnel« , ce qui aggravera la situation interne et blâmera le gouvernement à cet égard.....

    La présence d’unités de combat des États-Unis d’Amérique et d’autres pays sous le commandement d’un état-major général conjoint dirigé par les États-Unis. »


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