mardi 19 octobre 2021 - par Sylvain Rakotoarison

Colin Powell, grand général et piètre politique

« Il ne fait aucun doute que Saddam Hussein possède des armes biologiques et la capacité de produire rapidement plus, beaucoup plus. » (Colin Powell, le 5 février 2003 à New York).

L’ancien chef de la diplomatie américaine, le général Colin Powell vient de mourir ce lundi 18 octobre 2021 à l’âge de 84 ans (né le 5 avril 1937 à New York) dans un hôpital près de Washington, des suites du covid-19. Il était pourtant vacciné avec deux doses, mais était atteint par un cancer qui s’en prenait à son système immunitaire. Il a eu moins de chance qu’un autre.

Sa mort rappelle sa brillante carrière de militaire mais, hélas, sa postérité sera rude pour un tel général, il s’en doutait, car inévitablement marquée par son discours mensonger du 5 février 2003 devant le Conseil de Sécurité de l’ONU afin de justifier l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein.

Le plus ridicule (difficile de dire "comique" quand des centaines de milliers de personnes sont mortes pour cette raison) fut lorsqu’il a montré ostensiblement une petite fiole en prétendant que qu’elle contenait de l’anthrax. Non seulement c’était faux, mais cela aurait été vrai que cela aurait été complètement irresponsable et dangereux de sa part de l’avoir apportée et manipulée devant des dizaines voire des centaines de personnes !

Revenons à sa brillante carrière de militaire. Il s’est engagé à l’armée le 9 juin 1958 et son aptitude à commander avait déjà été décelée par sa hiérarchie.

L’une de ses premières missions d’officier (il était alors capitaine) fut d’avoir été envoyé en juin 1962 par le Président John Kennedy au Vietnam où il a été blessé. Il y est retourné en 1968-1969. Au Vietnam, il a fait preuve de courage et bravoure qui lui a valu plusieurs décorations, il a aussi beaucoup soutenu le mouvement des droits civiques de Martin Luther King.

Néanmoins, il fut chargé en particulier d’enquêter sur le massacre de My Lai du 16 mars 1968 (entre 350 et 500 villageois vietnamiens massacrés par des soldats américains) pour occulter la vérité (il était déjà un spécialiste du fait). Son rapport en effet concluait : « Dans la réfutation de cette représentation, (…) les relations entre les soldats de l’Americal Division [23e division d’infanterie] et le peuple vietnamien sont excellentes. ». Beaucoup plus tard, en mai 2004 à CNN, il confia : « J’étais dans une unité qui était responsable de My Lai. Je suis arrivé après que My Lai soit arrivé. Alors, dans la guerre, ces sortes de choses horribles se produisent de temps en temps, mais elles doivent être déplorées. ».

Après des études pour obtenir un MBA en 1971, Colin Powell a poursuivi sa carrière avec certaines missions sur le terrain, colonel le 11er février 1976 et général le 4 avril 1989. Mais avant d’être général, Colin Powell a mis le pied dans la vie politique en étant nommé le conseiller à la sécurité nationale du Président Ronald Reagan avec qui il s’est beaucoup entendu. C’était un poste très important puisqu’il présidait le conseil de la sécurité nationale du pays, de 1987 à 1989. À cette occasion, il a gardé une fidélité et loyauté au parti républicain soutenant la philosophie de se prendre en main et de ne rien d’attendre des autres, un message qui devrait être suivi, selon lui, par les plus pauvres.

Son "bâton de maréchal", Colin Powell l’a reçu en étant nommé par le Président George H. W. Bush (père) chef d’état-major des armées des États-Unis du 1er octobre 1989 au 30 septembre 1993, à une période clef de l’histoire militaire américaine puisqu’il a supervisé la première guerre du Golfe du 2 août 1990 au 28 février 1991. Il a donc attaqué l’armée irakienne de Saddam Hussein pour libérer le Koweït que le dictateur avait voulu annexer. Auparavant, il a également supervisé l’intervention militaire contre le général Manuel Noriega au Panama le 20 décembre 1989 (qui coûta la vie à des milliers de civils et qui provoqua de vives protestations de la "communauté internationale").

Auréolé de la victoire militaire sur l’Irak, Colin Powell était devenu un "présidentiable" très sérieux pour de nombreux observateurs de la vie politique américaine, après l’échec de George H. W. Bush en novembre 1992. Il aurait pu être le candidat des républicains en 1996 face au Président sortant Bill Clinton. Le candidat investi des républicains Bob Dole lui a proposé d’être son Vice-Président mais il a refusé. En revanche, il n’a pas refusé la proposition du Président suivant, George W. Bush (fils), élu de justesse en novembre 2000. Colin Powell fut nommé Secrétaire d’État, autrement dit, le Ministre américain des Affaires étrangères (et numéro deux du gouvernement) du 20 janvier 2001 au 26 janvier 2005.

_yartiPowellColin02


C’était une bonne idée de Bush fils qui tentait de reprendre des hommes d’expérience d’une autorité et d’une compétence indiscutables. Colin Powell était un excellent militaire et connaissait bien la vie politique et les relations internationales, il était donc tout indiqué pour ce poste très exposé. Peut-être trop exposé.

Dans la préparation psychologique de la guerre contre l’Irak, les États-unis ont cherché par tous les moyens de prouver que Saddam Hussein cachait des armes de destruction massive, et cela avec des dossiers de services de renseignement bidons et des fakes, comme on dit aujourd’hui.

Le point d’orgue fut sa déclaration devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies le 5 février 2003, avec la présence à ses côtés du directeur général de la CIA. C’est le principal collaborateur du Vice-Président Dick Cheney qui a rédigé le discours et Colin Powell l’a lu à l’ONU avec beaucoup de réticence, pressentant bien que c’était du bidonnage (en association aussi avec les services de renseignement du Royaume-Uni). Il a mis sa réputation morale en jeu et il l’a considérablement perdue.

Répondant en quelque sorte à ce discours belliqueux, le Ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin, par son discours du 14 février 2003, a été l’honneur de la France et de l’Europe (l’aventure du discours a été retracée dans la bande dessinée et le film "Quai d’Orsay"). Devant le même Conseil de Sécurité de l’ONU, il déclara : « N’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l’intrusion de la force. ».

Puis, s’en prenant directement à Colin Powell : « Il y a dix jours, le Secrétaire d’État américain, M. Powell, a évoqué des liens supposé entre Al-Qaida et le régime de Bagdad. En l’état actuel de nos recherches et informations menées en liaison avec nos alliés, rien ne nous permet d’établir de tels liens. En revanche, nous devons prendre la mesure de l’impact qu’aurait sur ce plan une action militaire contestée actuellement. Une telle intervention ne risquerait-elle pas d’aggraver les fractures entre les sociétés, entre les cultures, entre les peuples, fractures dont se nourrit le terrorisme ? ».

À l’occasion de la sortie en France de ses mémoires ("J’ai eu de la chance", éd. Odile Jacob), Colin Powell a répondu à Washington aux questions de Vincent Jauvert pour "Le Nouvel Obs" du 1er mars 2013 : « Depuis que j’ai découvert qu’un grand nombre d’informations que l’on m’avait fournies étaient inexactes, je ne cesse de me demander : qu’aurais-je dû faire pour éviter cela ? (…) Ce n’était pas un mensonge délibéré de ma part. Je croyais à ce que je disais. Tout le monde, le Président, les membres du gouvernement et le Congrès y croyaient. Le Président m’a choisi parce que j’étais le plus crédible vis-à-vis de la communauté internationale, mais encore une fois, je ne faisais que transmettre ce que les seize agences de renseignement disaient. (…) [On avait dit] que Saddam Hussein avait des centaines de tonnes d’armes chimiques (…) alors qu’il n’en possédait pas un gramme ! ».

La vraie question restera : a-t-il été incompétent (n’a pas vérifié par lui-même les sources des informations qu’il annonçait personnellement) ou a-t-il été manipulé (ce qui n’est pas un signe de grande gouvernance) ? Il a eu au moins la décence de dire très tôt qu’il s’était trompé et qu’il avait trompé ses interlocuteurs. Et précisons manipulé par qui : par le Vice-Président Dick Cheney et son ancien mentor, le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, qui est mort il y a quelques mois.

Ayant souffert de cette "tache" indélébile de son action et probablement du fait qu’on l’ait ainsi manipulé, Colin Powell a prévenu George W. Bush qu’il ne voudrait plus continuer à occuper sa fonction pour son (éventuel) second mandat. Probablement parce qu’il s’est senti trahi par les caciques du parti républicain, Colin Powell s’est senti libéré et a apporté son soutien, in extremis, à Barack Obama en 2008, puis en 2012, enfin, il a soutenu en 2020 la candidature d’un autre futur Président démocrate, Joe Biden.

L’entretien avec "Le Nouvel Obs" au début du second mandat de Barack Obama est très intéressant, au-delà de son témoignage sur la guerre en Irak. Deux éléments sont instructifs.

Le premier, c’est son diagnostic que la situation internationale en 2013 (évidemment, avec Daech, cette considération a considérablement changé la face du monde) : « Notre situation internationale est celle-ci : depuis la fin de l’URSS, il n’y a plus de puissance équivalente à la nôtre qui veuille nous attaquer. Les deux seules nations ayant la population et le potentiel économique de rivaliser avec les États-Unis sont la Chine et l’Inde. Mais aucun des deux États n’a la moindre intention d’être notre ennemi. (…) Les Chinois possèdent 2 000 milliards de notre dette ! Comment voudraient-ils faire exploser tout cela ? Ils vont moderniser leur armée, tout faire pour protéger les îles qu’ils considèrent être les leurs, mais ils n’ont aucun intérêt à devenir notre ennemi. ».

À cet égard l’étonnement amusé arrive lorsque Colin Powell évoquait l’Iran. En privilégiant l’option diplomatique, il prenait des accents villepiniens : « Je suis un vieux soldat qui a vu ce que la politique d’endiguement et la dissuasion peuvent accomplir. (…) Je continue de penser que, même dans le cas de l’Iran, la dissuasion marche. ».

Le second, enfin, est plus personnel, une sorte de testament personnel, c’était ce qu’il voudrait qu’on retienne de lui. Bien sûr, ce ne sera pas ce qu’il souhaite, qu’il a bien servi son pays et qu’il a préparé des traités qui ont fait détruire de grandes quantités d’ogives nucléaires. Ce ne sera pas cela car il était très lucide : « Malheureusement, on n’oubliera pas le discours à l’ONU, qui occupera une grande place dans ma nécrologie… ». Il aurait pu être un nouvel Einsenhower. Il n'a été que lui-même.

Au moins, l’ONU était en 2003 le cœur de la communauté internationale, le lieu central du débat diplomatique. Et c’est la responsabilité de tous les acteurs d’aujourd’hui pour que cela le redevienne…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 octobre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Colin Powell.
Jesse Jackson.
Walter Mondale.
Marathonman.
Bob Kennedy.

_yartiPowellColin03
 



27 réactions


Réagir