mardi 23 mars 2010 - par Michel Koutouzis

Corrupteurs (Allemagne) et corrompus (Grèce)

 C’est une longue histoire, qui s’étire sur quinze ans et qui débute (une fois n’est pas coutume mais plusieurs fois c’en est) avec la privatisation des télécommunications grecques (OTE). La longue marche vers le contrôle de l’OTE par Deutsche Telecom et Siemens est semé de pots de vin, de corruption active et passive, de mises en examen, de destitutions de ministres et, last but not least, par une fin de non recevoir par la justice allemande de la demande d’extradition grecque d’un des intermédiaires par qui le scandale est arrivé. Coupable mais ayant aussi la nationalité allemande, il coule des jours heureux du côté de Stuttgart. Sans vouloir entrer dans les détails du plus grand scandale politico-financier de la Grèce contemporaine, disons que le bradage de l’OTE, compagnie génératrice de bénéfices, ayant des filiales dans les pays balkaniques et de l’est, stratégique s’il en est, a été contesté par le PASOK qui avait promis de revenir sur la vente après les élections et en avait solennellement prévenu l’Allemagne. Sur le fond (perte d’un opérateur stratégique) et sur la forme (corruption). 

Les pratiques corruptives de Deutsche Telecom et de Siemens ont été largement démontrées, et avouées, des hauts fonctionnaires allemands ont été « sanctionnés » mais, bien sûr, le contrôle de l’OTE par les télécommunications germaniques n’a pas été remis en cause par Berlin. Au contraire. A l’époque, la presse populiste allemande, celle qui aujourd’hui fustige une « Grèce corrompue » n’a rien trouvé à dire si ce n’est de justifier et d’approuver le refus d’extrader les responsables, ce qui, bien entendu, rend caduque toute vérité (du moins juridique). Siemens était soupçonné d’avoir alimenté des caisses noires (près d’un milliard et demi d’euros) pour arroser l’ensemble de la classe politique, des fonctionnaires de l’OTE (70 millions d’euros), et des militaires (qui avaient des états d’âme face à la perte d’un support stratégique en mer Egée). Une des raisons, et pas la moindre, de la chute du gouvernement de droite a été bien celle-là. 

Le bras de fer qui oppose aujourd’hui la Grèce à l’Allemagne n’est pas étranger à cette affaire. A l’époque (il y a deux ans) l’actuel vice premier ministre Theodoros Pangalos, était celui qui, de l’autel de l’opposition exigeait l’internationalisation de l’affaire, c’est à dire de la porter devant la cour allemande. Aujourd’hui, c’est encore lui qui accuse l’Allemagne de faciliter la spéculation des banques allemandes contre l’euro et la Grèce au lieu de faire les gestes nécessaires pour l’arrêter. Pour la énième fois le premier ministre Georges Papandréou (celui qui justement voulait revenir sur la vente de l’OTE) a déclaré qu’il ne demandait pas des fonds de l’Allemagne mais une politique cohérente et globale de l’Europe face aux spéculateurs qui attaquent l’euro via la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Et une fois encore l’Allemagne, autiste, refuse ce qu’on ne lui demande pas, c’est-à-dire de financer le déficit grec. La raison, outre la pression d’une opinion publique chauffée par une presse xénophobe et populiste, est que les premiers visés (en tant que détenteurs et spéculateurs de la dette grecque c’est bien les banques allemandes. Pourquoi ? Par ce qu’elles ont financé (entre autres) Deutsche Telecom pour son OPA rocambolesque contre l’OTE. Des deux côtés, grec et allemand. Ce n’est pas la Grèce qui est en péril, mais les institutions financières allemandes qui ont surévalué (commissions occultes incluses) une vente qui a des grandes chances d’être annulée. Il est certain que si le gouvernement grec ne met plus en cause le fait accompli, Berlin sera plus « compréhensif ». Sinon, c’est au FMI de payer les pots cassés de l’aventurisme financier allemand.

Pourquoi diable oublions nous systématiquement que dans un acte de corruption il n’y a pas seulement des corrompus mais surtout des corrupteurs ? 



6 réactions


  • tchoo 23 mars 2010 10:06

    Voila un éclairage différent sur la « crise » grecque.

    Cela voudrait-il dire que ce qui ce joue là, est sous tendue par cette affaire ?


  • morice morice 23 mars 2010 11:21

    Ce n’est pas la Grèce qui est en péril, mais les institutions financières allemandes qui ont surévalué (commissions occultes incluses) une vente qui a des grandes chances d’être annulée.

    trop bel exemple : et en France, on n’aurait pas d’exemples similaires de plombages ? 

    Autre point : la Grèce n’a-t-elle pas servi à plusieurs reprises de relais de ventes d’armes, au Hezbollah notamment ? Ayant donné droit à des commissions ou non ? Un pays en difficultés prêt à tout est prêt aussi à cela, non ?

  • Vilain petit canard Vilain petit canard 23 mars 2010 11:31

    Très très intéressant, votre article. C’est curieux (révélateur ?) que personne n’en parle ailleurs !


  • alberto alberto 23 mars 2010 14:49

    Grecs : filous
    Teutons : gross filous !

    Ti Kanis ? Sehr gut !

    Bien à vous.


  • ark 23 mars 2010 16:15

    kalos to !

    Tres bon article avec un eclairage different. Malheureusement cet exemple de corruption, de pots de vins en Grece n’est qu’une partie de ce qui s’y pratique. Cf pots vins pour la mise en place des nouvelles lignes de metro pour les JO de 2004 etc. Alors peut-etre que l’allemagne ne joue pas franc jeu, mais il faut faire le grand menage aussi en Grece , et mettre tout ces corrompus au placards, et rendre justiciable les traficoteurs de la dette pour entrer en zone euro. Bref des proces et encore des proces et des condamnations lourdes


  • BA 28 mars 2010 14:39

    Cet accord pour sauver la Grèce, signé le 25 mars 2010, est encore pire que ce que je pensais.

    En réalité, cet accord n’impose strictement RIEN.

    En réalité, cet accord n’impose aucun prêt de qui que ce soit.

    En réalité, cet accord n’impose à personne de prêter quoi que ce soit.

    En réalité, cet accord ne vise qu’à temporiser, qu’à gagner du temps.

    C’est une tentative mensongère de faire croire aux marchés internationaux qu’en cas de problème, les Etats européens voleront au secours de la Grèce en lui prêtant des milliards d’euros.

    C’est une tentative désespérée pour cacher l’horrible vérité aux marchés internationaux : les Etats européens sont surendettés. Les Etats européens n’ont pas les moyens de sauver la Grèce. Ils ne PEUVENT pas sauver la Grèce.

    (Je ne parle même pas de plusieurs Etats européens tels que l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, etc, qui, eux, ne VEULENT pas sauver la Grèce : plusieurs pays européens ne VEULENT pas sauver ceux qu’ils surnomment avec mépris « les cueilleurs d’olives »)

    Lisez cet accord pipeau :

    - observez notamment l’utilisation du conditionnel « seraient décidés »

    - observez notamment cette expression hilarante « Nous nous attendons à ce que les États membres de la zone euro participent … »

     

    « Ce mécanisme, complétant un financement du Fonds monétaire international, doit être considéré comme un dernier recours, ce qui signifie en particulier que le financement de marché est insuffisant. Les déboursements des prêts bilatéraux seraient décidés par les États membres de la zone euro à l’unanimité et soumis à de fortes conditionnalités, sur la base d’une évaluation menée par la Commission européenne et la BCE. Nous nous attendons à ce que les États membres de la zone euro participent au prorata de leur part au capital de la BCE. L’objectif de ce mécanisme ne sera pas de fournir un financement au taux moyen des emprunts des pays de la zone euro, mais comportera des incitations pour retourner vers des financements de marché le plus vite possible par une tarification adéquate du risque. Les taux d’intérêt seront non concessionnels, c’est-à-dire qu’ils ne contiendront aucun élément de subvention. »

    http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/113564. pdf

    Conclusion : le bluff continue. Le mensonge continue.

    Bientôt, l’heure de vérité arrivera et posera la seule question qui vaille :

    « Qui va payer pour sauver la Grèce ? Et avec quel argent ? »

    En 2014, la dette publique de l’Allemagne sera de 91,4 % du PIB. La dette publique de la France sera de 95,5 % du PIB. La dette publique du Royaume-Uni sera de 99,7 % du PIB. La dette publique de la Belgique sera de 111,1 % du PIB. La dette publique de l’Italie sera de 132,2 % du PIB. La dette publique de la Grèce sera de 133,7 % du PIB (calculs du FMI).

    http://www.imf.org/external/pubs/ft/spn/2009/spn0921.pdf


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