mardi 28 décembre 2010 - par kalmos

Côte d’Ivoire : tirer les vraies leçons pour l’Afrique

Quatrième et dernier volet d’une série d’articles sur la situation de la Côte d’Ivoire. Au delà des problèmes de légitimité-légalité électorale, des revendications patriotiques-souverainistes et des dénonciations de complot néocolonialistes, il convient de se poser des questions sur les leçons pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique de l’Ouest de demain.

La Côte d'Ivoire est politiquement bloquée en ce moment entre deux présidents :
- un ayant la reconnaissance internationale et l'autre la reconnaissance des forces de sécurité nationales
- un ayant la légitimité des urnes et l'autre celle des institutions de la république
- un dont les partisans considèrent que l'indépendance est une conséquence du développement et l'autre dont les partisans revendiquent la liberté d'abord et la prospérité suivra

Au delà des combats de chefs qui jouent en Côte d'Ivoire un role très important, au delà des combats nord-sud qui ne sont par contre pas si importants et au delà des antagonismes chrétien-musulman qui n'existent pas (même si certains medias veulent nous prouver le contraire), la problématique finale dans ce pays et dans beaucoup de pays africains depuis l'indépendance est : comment assurer la légitimité et l'efficacité du gouvernement ivoirien et de quoi la Côte d'Ivoire a-t-elle besoin en priorité (développement ou indépendance) ?

Pour répondre à la première question une analyse sociologique et historique de la Côte d'Ivoire serait probablement très instructive, mais nous nous en passerons faute de temps.

Ceci dit, à l'aune des évènements des 20 dernières années, qui ne sont autres qu'une dispute de 3 prétendants au sujet du fauteuil du père de l'indépendance ivoirienne qu'ils rêvent de récupérer, il semble que la solution dont la Côte d'Ivoire a réellement besoin c'est de ne plus avoir de "guide" qui finissent par cristalliser toutes sortes d'antagonismes, de culte de la personnalité et de dogmes dictés par ces "guides". De fait, la plupart des ivoiriens avec lesquels j'ai discuté me disent qu'ils auraient préféré ne plus avoir en face d'eux les 3 produits/antiproduits de l'houphouetisme qui ne pensent qu'à eux, mais d'avoir à la place des dirigeants qui pensent d'abord au peuple (ce qui est souvent une chimère sur cette planète ceci dit).

Pour ce faire, il conviendrait de réformer le système politique ivoirien en entier en modifiant les rapports entre les trois pouvoirs afin d'avoir de réels contre pouvoirs qui peuvent limiter les abus. Aussi, cette réforme aurait du sens dans beaucoup d'autres pays africains où les chefs d'état finissent par se croire indispensables au pays et plus perspicaces que les électeurs (suivez mon regard...).

Les objectifs de cette réforme seraient :
- supprimer le rôle de guide incarné par le président de la république (la Côte d'Ivoire a un régime présidentiel), et renforcer le contôle de l'exécutif en instaurant un régime parlementaire
- renforcer l'égalité entre les différentes régions du pays à travers un régime parlementaire bicaméral dont une chambre représenterait de manière égale les différentes régions du pays
- renforcer l'indépendance de la justice en établissant un système de nomination des juges à la cour suprême (conseil constitutionnel etc.) similaire à celui des USA (nomination par le chef du gouvernement pour une période longue 15 ans par exemple et confirmation par un vote des magistrats)
- réduire l'effet "votes des bêtes sauvages" à travers la focalisation sur la réduction de la pauvreté

Ce dernier point permet d'apporter un début de réponse à la deuxième question : la priorité, est-ce le développement ou l'indépendance ?
Comme certains pro Gbagbo le proclament eux-même : quelle sorte de démocratie est possible quand les électeurs suivent les consignes de votes des imams ? Ceci dit en passant, au vu des diatribes de Blé Goudé sur "l'éternel des armées" qui seraient avec lui, on pourrait en dire autant pour certains électeurs de Gbagbo...
Toujours est-il qu'il n'y a point de démocratie sans citoyens conscients et qu'il n'y a pas de citoyen conscient sans développement (permettant à ces citoyens de répondre à leurs besoins de base). En effet, celui qui a du mal à avoir son repas quotidien donnera sa voix à celui qui lui donnera du poisson un jour ou à celui qui lui promettra le paradis...

Donc, si on considère que la démocratie, ou plutot le contrôle des gouvernants permet de s'assurer que ces dirigeants font les bons choix pour le pays (notamment sur les plans économiques), il est donc important que ceux qui votent soient des citoyens conscients. Il peut difficilement y avoir démocratie sans développement.

Egalement, il peut difficilement y avoir liberté ou indépendance nationale quand votre budget dépend d'appuis budgétaires des institutions internationales, ceci est valable pour la Grèce tout autant que pour la Côte d'Ivoire. Même si Gbagbo demeure président, les appuis budgétaires continueront à être vitaux au budget ivoirien. Pour être indépendant il faut être d'abord suffisamment riche (Le lecteur pourra lire l'article "Gbagbo le grand patriote ?" également sur Agoravox pour avoir une argumentation plus détaillée de ce point de vue) et surtout avoir des dirigeants qui sont surveillés/contrôlés par leurs citoyens.

Il est temps que les Ivoiriens tirent réellement les leçons de cette crise qui n'a pas commencé en 2002 comme certains voudraient nous le faire croire mais qui était en germe depuis l'indépendance de 1960. Maintenant est venu le temps de l'indépendance du peuple vis-à-vis de leurs "guides".



1 réactions


  • le moine du côté obscur 28 décembre 2010 20:16

    Je suis assez d’accord avec ce qui est dit ici. Moi je pense que la démocratie concerne un peuple de citoyens donc des personnes éduquées, éveillées et conscientes de leurs droits et devoirs. A ce niveau il y a beaucoup de travail à faire en Côte d’Ivoire. Quant à trouver un mode de gouvernance qui conviendra à ce pays c’est une autre paire de manche. Le rapport au pouvoir est différent selon que l’on appartienne au groupe ethnique des krous (celui de Gbagbo), celui des mandés du nord et des voltaïques (groupe ethnique de Ouattara) ou celui des akans (celui de Bédié et Houphouët-Boigny). Je pense que la Côte d’Ivoire n’est pas encore une nation et n’a pas encore une véritable âme d’où une partie des turbulences que l’on observe. Dès que les problèmes économiques se posent on revient des concepts dangereux comme l’ivoirité (concept qui existe depuis 1974 et qui a été ressuscité dans les années 90 par Bédié et qui a été repris par Gueï et Gbagbo) et des considérations tribalistes. De telles manœuvres politiciennes sont dangereuses avec une population insuffisamment éduquée et consciente. Et la Côte d’Ivoire est le royaume des rumeurs et des informations non fondées souvent relayées par la télévision nationale qui a été caporalisée par les différents régimes qui se sont succédés au pouvoir. Malheureusement certains ivoiriens ne croient que ce qu’ils voient à la télévision et/ou ce que leurs leaders leur disent. Beaucoup d’ivoiriens n’ont pas le réflexe de faire leurs propres recherches et de faire leurs recoupements ! C’est une des raisons pour lesquelles je pense qu’il n’y a pas encore de citoyens véritables dans ce pays. Je pense dans tous les cas qu’il faudra un homme fort, assez intègre, visionnaire et capable d’insuffler un esprit fédérateur qui supplantera les considérations ethniques, religieuses et autres. La classe politique actuelle me semble corrompue et peu à même de donner un élan positif à ce peuple. J’espère qu’un tel homme émergera dans tous les cas, il serait salutaire que Gbagbo et Ouattara soient écartés. Mais vu que les occidentaux soutiennent Ouattara ils voudront l’imposer et ça nous savons que ce sera encore source d’instabilité. 


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