mardi 27 août 2013 - par Hamed

Du monde de l’Islam et de l’instrumentalisation des « pétrodollars » par les États-Unis à la revanche de l’histoire

 On reproche beaucoup au monde de l’Islam un manque de stratégie de puissance. A l’heure où des pays du tiers monde émergent en tant que nouvelles puissances et concurrencent les pays occidentaux, les pays arabo-musulmans non seulement ne suivent pas le processus historique de développement mais sont traversés par une multitude de conflits armés. Dépeignant d’eux un tableau noir, les analystes et experts internationaux ne cessent de les définir comme un ensemble apathique et refermé sur lui-même. Minés par les problèmes économiques, politiques et religieux, les pays arabo-musulmans n’arrivent à dépasser leurs clivages. Et ces mêmes analystes n’hésitent pas à affirmer que le monde de l’Islam joue un rôle infime voire inexistant sur la scène internationale. Même l’Islam qui fut à l’origine du rayonnement de la civilisation islamique et la naissance d’un ensemble politico-religieux homogène qui va de l’Espagne et du Sud de la France aux confins de la Chine, est perçu aujourd’hui comme un frein à toute évolution des sociétés arabo-musulmanes.

 Même le pétrole s’affirme comme un autre frein pour les pays islamiques qui, exportant essentiellement du pétrole, se trouvent dépendants de la rente pétrolière. Mais si le pétrole est souvent qualifié de « malédiction », la rente pétrolière empêche-t-elle un développement économique ? En réalité, c’est le retard de ces pays et l’absence de projets porteurs qui font que l’utilisation de la rente pétrolière participe peu au développement économique.

Hormis les grands travaux d’infrastructures publics et l’habitat, les gouvernants se contentent de gérer la rente pétrolière en important les produits sans chercher à les fabriquer eux-mêmes à l’instar des pays émergents et ainsi créer du travail. On comprend pourquoi la diversification de leurs économies reste très faible et la stagnation économique souvent ponctuée de crises économiques se transforment en crises politiques puis en conflits armés. Et quel que soit l’habit politique que prennent les conflits, sociopolitiques, religieux…

 Cependant, malgré les freins internes de sous-développement, le monde de l’Islam reste profondément marqué par les stratégies des grandes puissances qui cherchent absolument à le « vassaliser » à leurs objectifs planétaires. Et c’est ce conflit d’intérêt entre les grandes puissances à son égard qui, « au-delà de sa stagnation, rend le monde de l’Islam comme un vecteur de changement de l’ordre du monde ». Mais comment ce vecteur va s’affirmer sur le plan mondial ? Un bref aperçu sur la situation monétaire dans le monde peut nous apporter une partie des éléments de réponse.

  1. La puissance financière et monétaire de l’Amérique passe par le monde de l’Islam

 Le monde est régi à près de 100% par le dollar américain. Même les monnaies européennes, japonaise et autres ne sont que des « monnaies suiveuses », cela dit au sens propre du terme. C’est autour de lui que flottent toutes les monnaies convertibles internationales. Que le dollar se déprécie ou s’apprécie, les États-Unis restent toujours maître du jeu dans le système monétaire mondial.

 Adossé à l’or jusqu’en 1971, il a participé grandement à la stabilisation du système monétaire international, après le deuxième conflit mondial. Grâce à lui que trois décennies de croissance appelées les « Trente glorieuses » ont été possibles. Ce n’est qu’au milieu des années 1960 qu’il a été dénoncé par les Européens pour la monétisation des déficits américains sans contreparties-or. Les États-Unis, n’ayant plus le stock d’or d’après-guerre, sont forcés, en 1971, de mettre fin au système Gold Exchange Standard (GES). Mais paradoxalement le flottement du dollar sur les marchés monétaires les libère de toutes entraves comme le fut l’étalon, le « dollar-or ». Ils peuvent procéder désormais à une politique monétaire discrétionnaire pratiquement à leur seul bénéfice dans le monde. Réellement « unilatérale », leur politique monétaire oblige toutes les puissances comme d’ailleurs le reste du monde (qui lui ne dispose que de monnaies ancrées sur les monnaies occidentales) à se calquer sur eux. Sans possibilité d’autres voies, force de dire que les nations « suiveuses » tirent néanmoins des avantages incomparables à « ce qui est dû au reste du monde ».

 En effet, si au début des années 1971, suite aux crises monétaires, les pays européens ont refusé d’absorber les dollars émis de la monétisation des déficits commerciaux croissants (usage de la planche à billet) par les Américains, l’accord conclu entre les États-Unis et les pays arabo-musulmans (sous la houlette de H. Kissinger) pour facturer le pétrole en dollar mit fin au « bras de fer monétaire États-Unis-Europe  ». Désormais, les Européens, malgré les dispositifs tels le serpent monétaire européen, le fond européen et autre qui ne sont finalement qu’un alignement reconnu par l’Europe au maître du jeu qu’est l’Amérique, sont astreints à absorber des dollars précisément par la nouvelle formule. Le dollar, en tant que monnaie de facturation, oblige les pays européens d’acheter des dollars issus ou non des déficits américains pour régler leurs transactions pétrolières. 

 C’est ainsi que le monde de l’Islam va, dès le premier choc pétrolier de 1973, faire son entrée dans la cour des Grands. L’or-métal n’ayant plus le rôle qui lui était dévolu, transformé en simple valeur-refuge, est remplacé par un système informel que constituent les « pétro-dollars » ou les « islamo-dollars ». La forte concurrence entre une Europe reconstruite et compétitive, un Japon en plein miracle de croissance économique rapide et sans inflation et une Amérique en pleine déconfiture en Corée, au Vietnam, au Proche-Orient et en course aux armements avec l’URSS (extrêmement coûteuse et pèse fortement sur l’économie américaine) ne laisse pas d’alternatives à la superpuissance « que d’appuyer à fond sur la planche à billet ». Conséquences : des chocs pétroliers à répétition et une inflation mondiale préoccupante d’autant plus que les pays européens, par le dispositif même qui les lie à la superpuissance, sont « suiveurs » dans cette spirale inflationniste sans fin.

 Ce renchérissement du pétrole et des matières premières entraîne un formidable transfert de pouvoir d’achat aux pays exportateurs de pétrole, en particulier aux pays arabo-musulmans dont l’Arabie saoudite qui va mettre des moyens financiers colossaux pour lancer l’islamisme dans le monde. L’accumulation d’énormes excédents courants par les pays arabo-musulmans et mis à la disposition des banques occidentales amène ces dernières à recycler cette masse de pétrodollars à des conditions extrêmement favorables auprès des pays du reste du monde. Les bas taux d’intérêt poussent tous les pays d’Afrique, d’Amérique du Sud, du bloc Est et une partie de l’Asie à contracter des emprunts massifs en vue de faire face à la forte remontée des prix du pétrole et au financement de leur développement. Sans savoir que ces emprunts à des taux d’intérêt très favorables vont, dès le début des années 1980, se transformer en un piège redoutable. 

 En effet, le retournement va se produire dès octobre 1979. La Banque centrale américaine (FED) annonce une augmentation du taux d’intérêt directeur de plus de 18%. La conséquence est immédiate. La plupart des pays qui ont contracté ces emprunts se retrouvent pris dans une situation d’endettement sans précédent. Des conséquences terribles pour l’ensemble de ces pays. Emeutes du pain, misère extrême des couches sociales les plus démunis, appauvrissement des classes moyennes, guerres civiles, etc., entraîneront un bouleversement politique et social sans précédent dans le monde. Les pays d’Amérique du Sud en situation d’insolvabilité et sous perfusion de programme d’ajustement structurel du FMI obligeront les dictatures militaires face à la misère et les revendications populaires à rentrer leurs troupes dans les casernes et passer la main à des régimes civils pour redresser la situation économique désastreuse de leurs économies en faillite. Quant aux pays du bloc Est, le monde assistera à la déliquescence des régimes totalitaires, amenant progressivement ces pays à rompre avec le système socialiste.

 Force de dire que l’irruption du monde de l’Islam dans la donne monétaire a joué incontestablement un rôle clé dans le maintien de la puissance américaine dans le monde. Sans les « islamo-dollars », les États-Unis n’auraient pu obliger l’Europe et le reste du monde à « absorber des dollars » issus de la monétisation ex nihilo des déficits commerciaux. Sans alternatives, l’Amérique aurait été obligée de réduire le train de sa consommation intérieure, sa course aux armements (la guerre des étoiles Ronald Reagan serait tout simplement impossible), et commencé à financer ses déficits par une hausse d’impôts. Quant à l’ordre mondial, il n’aurait pas changé. Ni les dictatures sud-américaines ni le bloc Est et l’Union soviétique n’auraient subi les graves bouleversements politiques qu’a provoqués l’alliance américano-islamiste via les pétrodollars.

  1. Les accords de Plaza, 1985 : une entente secrète des banquiers centraux occidentaux contre le reste du monde ?

 Une question se pose : « le reste du monde frappé par une crise mondiale de l’endettement, qu’en est-il de l’Occident ? » Avec la hausse des taux d’intérêt, les États-Unis ont épongé le monde des dollars américains. Le taux de change du dollar avec les monnaies européennes plombées par l’afflux massif des capitaux vers les États-Unis passe du simple au double. Qu’il s’agisse du franc ou du deutschemark, toutes les monnaies européennes se plient devant le dollar américain. Un véritable délire dans cette odyssée du dollar entre la décennie 1970 et la décennie 1980.

 Les pays européens perdent le « pouvoir de duplication monétaire » que leur permettaient les émissions monétaires américaines massives opérées dans les années 1970 pour le financement de leurs déficits. Le temps n’est plus à l’inflation, mais à la désinflation voire la déflation. Par conséquent, les banques européennes centrales et commerciales par la rareté des émissions monétaires américaines n’ont plus rien à dupliquer. C’est ainsi que le franc d’environ 4 Fr en 1980 passe à 10 Fr pour un dollar en 1984, le deutschemark suit la même évolution. Si on prend en compte la formidable hausse du taux de change du dollar, le cours du baril de pétrole déjà au sommet, n’est pas à 40 dollars comme l’indiquent les marchés en 1984, mais à 100 dollars au taux de change de 1980.

 Cette situation a été catastrophique pour le monde. A la fois frappée par l’endettement massif (dû à la hausse sans précédent du taux d’intérêt en Occident), l’envolée des prix du baril de pétrole et enfin le dollar, la monnaie américaine la plus utilisée au monde propulsée à des taux de change inconnus par le passé, une grande partie du monde se trouve « out dans l’absorption mondiale ». L’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Europe de l’Est et l’Union soviétique et une partie de l’Asie y compris les pays arabo-musulmans sont non seulement en récession mais se trouvent à transférer une grande partie de leurs richesses à l’Occident sans contreparties (équipements, produits manufacturés, etc.) en échange. Et cela uniquement par le fait qu’ils ont contracté des emprunts à des taux d’intérêt variables favorables qui se sont ensuite transformés en taux usuraires.

 Il est évident qu’une partie du monde out du marché mondial ne peut qu’amener une crise globale. Même l’Occident, et en particulier l’Europe, ne peut échapper à la crise. La baisse de la demande mondiale a affecté tout l’appareil productif occidental. Seule la Chine et certains pays asiatiques ont échappé plus ou moins à la crise mondiale.

 En 1985, la situation économique, financière et monétaire dans le monde est devenue telle qu’il était intenable pour les États-Unis de continuer dans cette direction. Leur lancée sur un dollar fort « obtenu artificiellement par une politique monétaire restrictive unique dans l’histoire  », ne pouvait qu’accentuer la crise mondiale et entraîner dans son sillage les États-Unis. Il fallait donc de toute urgence injecter des liquidités internationales pour à la fois détendre le dollar et relancer l’économie mondiale. D’autant plus que la situation des États-Unis qui accusaient des déficits commerciaux en augmentation avec le reste du monde étaient anachronique, et « ne correspondait absolument pas au dollar fort ».

 Et c’est à l’hôtel de Plaza à New York, le 22 septembre 1985, que les pays du G7 (moins le Canada et l’Italie, à cette époque, c’était encore le G5) s’entendent publiquement pour intervenir sur le marché et organiser un repli du dollar. 10 milliards de dollars sont ainsi dépensés, avec un effet immédiat et spectaculaire. En quinze mois, le dollar efface le plus gros de ses gains par rapport au Franc et au Deutschemark. A la fin de 1987, il se retrouve non loin à son plus bas historique, celui de 1979.

 Evidemment, « cette entente entre les cinq banquiers centraux laisse pensif quant au procédé utilisé pour détendre le dollar ». Pourquoi une telle concertation à l’échelle internationale, alors qu’il suffisait à la Banque centrale américaine d’injecter massivement des dollars d’autant plus, comme on l’a dit, qu’elle a des déficits commerciaux à financer ?

 N’a-t-elle pas « unilatéralement » augmenté les taux d’intérêt (sans concertation) et provoqué un endettement mondial ? Evidemment, les donnes entre 1979 et 1985 ont changé, et « injecter massivement des dollars pour abaisser le taux de change du dollar était risqué pour l’Occident qui détenait un nombre important de créances sur le reste du monde ». « Injecter massivement des dollars » signifiait certes détendre le dollar, relancer l’économie mondiale par une augmentation inévitable des prix du pétrole, des matières premières et du marché des actions. Via le pouvoir de duplication de la monnaie banque centrale des banques commerciales. Et aussi permettre aux pays du reste du monde de se relever grâce de nouveau à un transfert de pouvoir d’achat à leur profit. Et enfin le plus grave, par le pouvoir de duplication des banques commerciales occidentales, on retomberait de nouveau dans l’inflation des années 1970. Donc hausse des prix, transfert de pouvoir d’achat, duplication de la monnaie banque centrale par les banques commerciales feraient retomber de nouveau le monde dans le cercle vicieux de l’inflation des années 1970.

 Et justement cette concertation entre les cinq banquiers centraux occidentaux (États-Unis, Allemagne fédérale, France, Grande Bretagne et Japon) avait pour objectif de parer à un retour à l’inflation, mais aussi de ne pas permettre un transfert de pouvoir d’achat aux pays du reste du monde.

 Si on compare la situation des années 1980 à celle d’aujourd’hui, et plus précisément depuis la crise de 2008, on constate que c’est le contraire qui se produit. Les pays occidentaux usent sans relâche de la « planche à billet » à travers les Quantitative Easing (assouplissement monétaire non conventionnel), via les rachats des dettes publiques. Et les prix du pétrole et des matières premières sont à des niveaux très élevés. Pourquoi cette situation en 2009, 2010, et qui se poursuit encore en 2013, voire même en 2014. Tout simplement, la situation aujourd’hui s’est inversée. Ce n’est pas le reste du monde qui est endetté mais l’Occident dans sa totalité qui est endetté. Par conséquent, la hausse des prix du pétrole et des matières premières n’est pas seulement souhaitable, « elle est nécessaire ». La hausse du prix du pétrole, des matières premières et des marchés d’actions joue une fonction de déflateur sur les émissions monétaires européennes, américaines et japonaises. Ainsi s’expliquent les Quantitative Easing concertés et synchronisés à l’échelle occidentale, et la faible inflation en Occident. Et cela est permis par la place qu’occupent les pays occidentaux, qui détiennent plus de 93% du pouvoir d’émission des liquidités internationales dans le monde.

 On comprend dès lors la différence de situation entre la situation en 1985 (le reste du monde endetté), les accords de Plaza et la situation après la crise de 2008 (l’Occident endetté). Les accords de Plaza devaient éviter que les États-Unis procèdent à des injections monétaires massives sur les marchés monétaires. Pour cela, « deux options, on peut le penser, ont été prises ». La première, l’Europe devait se délester des masses en dollars sur les marchés monétaires et retirer par cet échange les masses en francs, en deutschemarks et autres monnaies européennes. De son côté, le Japon, en tant que partenaire commercial important dans ses exportations vers l’Occident, a été, par ses accords, contraint de réévaluer sa monnaie. Il a procédé lui aussi à une vente massive de dollars sur les marchés pour retirer des yens, ce qui a fait apprécier fortement le yen. Il est passé de un dollar pour environ 220 yens à en 1985 à environ 140 yens les années qui ont suivi.

  Cependant, pour que le plan de détente du dollar fonctionne, une « deuxième option devait être mise à l’œuvre ». Si l’Europe et le Japon doivent se dessaisir de leurs dollars, il est évident que le coût de leurs importations pétrolières devait baisser à la fois pour l’Europe et le Japon, ce qui veut dire qu’ils n’avaient plus besoin de masses considérables de dollars pour financer leurs importations pétrolières. Et c’est ce qui arriva, après les accords de Plaza, le cours du pétrole chuta brusquement d’environ 30 dollars à 16 dollars. On voit nettement la chute drastique des cours pétroliers dans le « graphique du cours du baril de pétrole en dollar courant (WTI) » (http://france-inflation.com/graph_oil.php). En procédant ainsi, l’atterrissage du dollar s’est fait sans encombre, i.e. sans injections massives par la Réserve fédérale américaine. Préservant à la fois une faible inflation et l’intégrité des créances détenues par l’Occident sur le reste du monde hormis la chute du dollar et la baisse des taux d’intérêt. Il n’eut pas de transfert de pouvoir d’achat aux pays du reste du monde. Plus grave encore, le « contrechoc pétrolier de 1986 » aura été en fin de compte l’œuvre des banquiers centraux comme « un non-dit des accords de Plaza », ce qui s’est étendu aux matières premières. Ce qui d’ailleurs alla de pair avec le marasme économique mondial.

  1. Les accords du Louvre, 1987, les limites de l’entente des banquiers centraux occidentaux

 Peut-on dire que l’entente secrète des banquiers centraux occidentaux est négative ? Bien que tout donne à le penser, il faut dire que toute autre puissance aurait fait la même chose si elle avait la clairvoyance de ce qui pouvait découler... Par conséquent, si les Chinois, les Soviétiques à l’époque ou les Arabes détenaient le monopole de la monnaie sur le monde, ils auront fait autant. Et enfin, on ne peut oublier le « tribunal de l’histoire ». Ce processus a permis la chute des dictatures et la démocratisation des régimes politiques en Amérique du Sud, et a commencé à ébranler les assises du bloc socialiste de l’Est. Ce qui comme acquit n’a de prix pour les peuples qui cherchent à se libérer de l’oppression des dictatures.

 Evidemment, en 1985, on n’en est pas encore à la « Chute du Mur de Berlin » de 1989, mais le mouvement de l’histoire est enclenché. Et la politique de la glasnost (transparence) et la perestroïka (restructuration du système) en Union soviétique ne changeront pas les donnes du problème auquel fait face le monde socialiste. La libération de la parole, les débats, les débordements et les résistances qui surgiront n’arrêteront pas ce qui est tracé dans l’histoire.

 Ceci étant, qu’en sera-t-il de l’Occident, après les accords de Plaza ? Auront-ils réglé le problème monétaire et permis aux industries exportatrices qui souffraient de l’appréciation du dollar et compromettait la compétitivité américaine. Il est évident que non, les accords de Plaza n’auront permis qu’un atterrissage en douceur de la monnaie américaine. L’économie mondiale était toujours mal en point. Les liquidités internationales se raréfiaient, et une bonne partie du monde obérée jusqu’à ne compter plus dans le commerce mondial, sinon à transférer des richesses sans contreparties à l’Occident via l’endettement.

 Et cette situation ne pourrait qu’affecter l’économie occidentale, en particulier les États-Unis qui, face à leurs déficits commerciaux et aux besoins de financement, n’attendant plus du reste du monde un afflux de capitaux, sont obligés de faire une entorse aux accords de Plaza et émettre des liquidités en dollars sur un « endettement sur soi-même », i.e. une hausse de la dette publique. Ce qui se traduit par une dépréciation continue du dollar. Précisément, pour arrêter la dépréciation du dollar, les banquiers centraux, la jugeant suffisante, décident par les « accords du Louvre » en février 1987 de stopper cette dépréciation. Ces accords imposent aux banques centrales européennes et japonaise d’absorber le surplus des dollars émis par la FED. En clair, cela signifie que les Banques centrales européennes et japonaise, par l’achat des dollars sur les marchés, financent les déficits commerciaux américains.

 Mais si le dollar cesse de baisser à partir de cette date, le problème va se poser en revanche pour les banques centrales allemande et japonaise. Jusqu’où iront-elles dans l’absorption de dollars si les États-Unis ne mettent pas un frein à leur déséquilibre commercial ? Ou s’ils ne lèvent pas les impôts pour financer leurs déficits ?

 Précisément, les gestionnaires de fonds sur le marché obligataire vont de plus en plus se préoccuper des déficits américains, sachant que les accords du Louvre ne sont que conjoncturels. C’est ainsi que les marchés du monde entier dès l’été 1987 se retrouvent à vivre les yeux rivés sur le déficit commercial américain. Chaque publication de données statistiques montre un accroissement du déficit, ce qui accroît à terme la pression sur le dollar, donnant lieu à une plongée des cours des emprunts, i.e. une remontée de leurs taux. En 1987, le déficit américain est de 3,4% du PIB. En août 1987, le nouveau gouverneur de la Fed, Alan Greenspan, nommé le 11 août 1987, ne cachait pas qu’il allait relever le taux d’intérêt. Ce qui en fin de compte était normal si les Banques centrales allemandes et japonaise cessaient d’absorber les dollars, et donc mettaient fin aux accords du Louvre.

 D’où un imbroglio où toutes les parties de la donne financière et monétaire mondiale avaient à la fois tort et raisons. Les Américains qui cherchent à augmenter le taux d’intérêt directeur court pour attirer les capitaux et refinancer leurs déficits sont confrontés à un reste du monde fortement endetté. Y compris le monde de l’Islam dont les excédents pétroliers, vu le faible cours du pétrole, sont non seulement à un niveau nul mais ces pays pour la plupart sont aussi fortement endettés.

 Ne reste alors que le Japon et l’Allemagne qui disposent de liquidités dont l’Amérique a besoin. Le problème du Japon ne se pose pas puisqu’il compte dans ses investissements une bonne part de ses placements (bons de Trésor, actions…) aux États-Unis, et cela en tant que premier partenaire par ses exportations vers l’Amérique. En revanche, le problème se pose pour l’Allemagne qui refuse de financer les déficits américains. Et c’est ainsi qu’en anticipant et en relevant le taux d’intérêt de la Bundesbank, l’Allemagne fédérale, en tant que maître du jeu monétaire en Europe, « déclenche un bras de fer avec l’Amérique ».

 La riposte ne se fait pas attendre. Les injections monétaires américaines et les annonces, en représailles, par le secrétaire d’Etat au Trésor, James Baker, d’une nouvelle baisse du dollar provoque une panique générale sur les marchés boursiers, et un krach d’une grande ampleur à Wall Street. « 22,6% de capitalisation boursière partirent en fumée le 19 octobre 1987 (lundi noir) ». L’accord obtenu avec la Bundesbank (après le voyage d’Alan Greenspan et de James Baker, le jour même, en Allemagne) amène la FED, par la promesse de refinancement des banques et maisons de titres, à écarter le risque systémique qui menaçait l’ensemble des places financières. Evidemment, le krach a entraîné des corrections boursières et occasionné des pertes considérables pour les investisseurs américains et étrangers.

  1. Des accords du Louvre, 1987, au clash du système occidental dans la marche du monde

 Si le 21 octobre 1987, il y a une reprise des Bourses du monde, stimulée par une baisse des taux d'intérêts aux USA, et par l'intention déclarée du prési­dent Reagan de rechercher avec le Congrès le moyen de réduire le déficit budgétaire, i.e. relever le taux d’imposition en Amérique, il était évident que, pour la superpuissance américaine, une hausse des impôts n’était pas la solution idoine pour un pays « détenteur de la monnaie la plus puissante du monde ». Pour preuve, la baisse du taux d’intérêt directeur de la FED ne dure que quelques mois et, dès 1988, il repart à la hausse. Mais « est-ce que cette mesure est suffisante » ? Les États-Unis étaient sommés de trouver d’autres sources de financement. Mais « d’où les prendraient-ils » ? Une grande partie du monde est endettée ! L’Europe elle-même est confrontée à la crise de liquidités internationales par le processus désinflationniste enclenché depuis le début des années 1980. Précisément, le bloc de l’Est en cours de délabrement, l’Union soviétique en perte de vitesse surtout après la débâcle militaire en Afghanistan, les États-Unis commencent à avoir les coudées franches, en 1989, pour imposer leur « pax americana » sur le monde. Une supputation d’une URSS vaincue amène les États-Unis à se pencher sur « le monde de l’Islam qui reste rebelle à son hégémonie ». L’Iran depuis 1979 nargue la superpuissance et aujourd’hui (en 1990) l’Irak menace ses alliés, les pétromonarchies du Golfe.

 Après le cessez-le-feu intervenu au cours de l’été 1988 avec l’Iran, l’Irak a préconisé un « système de sécurité arabe indépendant » de la superpuissance. Tel appel est inacceptable pour les États-Unis. Piégé en juillet 1990 par l’ambassadrice April Glaspie qui a affirmé au président irakien que son pays n’avait pas d’opinion sur les frontières de l’Irak avec le Koweït, l’Irak passe à l’action et envahit le Koweït le 2 août. Les États-Unis s’engouffrent dans la brèche en attaquant l’Irak en 1991. Si la source de financement des déficits américains a été trouvée (apport financier du Japon, de l’Allemagne fédérale et surtout des pétromonarchies du Golfe qui financeront en grande partie la guerre), elle ne sera que conjoncturelle. Plus de vingt années va durer le conflit Irak-Etats-Unis. Des guerres à un embargo inhumain de douze longues années, « les États-Unis n’échapperont pas à la revanche de l’histoire ».

 L’endettement des années 1980 des pays du reste du monde va s’inverser et toucher désormais l’Occident. Ni l’Europe, ni le Japon ni les États-Unis n’échapperont à l’escalade de la dette. Aujourd’hui, en 2013, malgré les Quantitative Easing pour dégonfler la dette, le chef de file des puissances riches, i.e. l’Amérique, appuyé par l’Europe, cherche à récidiver avec la Syrie, et ensuite avec l’Iran. Mais apprendront-ils de l’histoire ? Surtout que ce qui se passe aujourd’hui n’est qu’« une étape dans un nouveau processus de transformation du monde ».

 « On recommande aux rois, aux hommes d’Etat, aux peuples de s’instruire principalement par l’expérience de l’histoire. Mais l’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer. Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si particulière que c’est seulement en fonction de cette situation unique qu’il doit se décider : les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont trouvé la solution appropriée  ». (La Raison dans l’histoire, G. W. F. Hegel, traduit par Kostas Papaionnou. Page 35)

 Mais cette fuite en avant contre le monde de l’Islam ne peut faire oublier que le pétrole qui fait la force du dollar se trouve dans le monde de l’Islam, et même les guerres qui s’y jouent font apparaître le monde de l’Islam comme un « vecteur de changement de l’ordre du monde ». Et c’est ce que les puissances occidentales n’ont pas compris. Au lieu de mettre le monde de l’Islam de leur côté dans la marche du monde, ils cherchent à le disloquer sans savoir qu’ils le seront tout autant qui par leur affaiblissement inéluctable dans cette voie, l’Asie en tirera profit. Et c’est là le drame de l’Occident !

 

Medjdoub Hamed

Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,

Relations internationales et Prospective.

www.sens-du-monde.com

 

Note : 

1. Les guerres et les crises économiques sont-elles une « fatalité » pour l’humanité ?

Partie I, par Medjdoub hamed

 http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-guerres-et-les-crises-138225

2. Valeur et sens de l’« islamisme » dans le nouvel ordre mondial

Partie II, par Medjdoub Hamed

http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/vers-un-nouvel-ordre-monetaire-135240

3. L’herméneutique de l’alliance du monde de l’islam et de la première puissance du monde

Partie III, par Medjdoub Hamed

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-hermeneutique-de-l-alliance-du-139471?pn=1000

4. Du monde de l’Islam et de l’instrumentalisation des « pétrodollars » par les États-Unis à la revanche de l’histoire

Partie IV, par Medjdoub Hamed



5 réactions


  • antyreac 27 août 2013 11:39

    Un bien long article pour dire que les pays arabes sont mal au point et qu’ils seront encore bien longtemps tant leur religion freine le développement et la modernité

    Qu’ils se débarrasse de leur boulet(religion) et les choses n’iront que mieux.

  • HELIOS HELIOS 27 août 2013 12:13

    ... et j’ajouterai que pour « mettre le monde de l’islam de son coté » il faut que celui ci soit honnete et ne considere pas l’occident comme une terre a conquerir !

    Oui, le monde de l’Islam a un probleme, et ce probleme s’appelle l’Islam.


  • Pierre Régnier Pierre Régnier 28 août 2013 09:30


    L’article commence ainsi : "On reproche au monde de l’islam un manque de stratégie et de puissance". Dès la première ligne l’auteur résume ainsi sa démarche, déjà longuement exposée dans trois articles précédents.

     

    On ne peut pas dire que le lecteur n’est pas prévenu : pour Hamed l’islam n’est pas une religion, c’est une puissance politique. Hamed est donc bien, sur l’essentiel, en accord avec le prophète Mohamed et les auteurs du Coran.

     

    Comme le dit Hélios, le problème du monde de l’islam c’est l’islam. Et son problème se résume ainsi : les moyens de conquérir la planète pour soumettre tous ses habitants à la volonté d’Allah - en réalité à la volonté des hommes qui se présentent comme ses représentants - sont-ils aujourd’hui adaptés ? C’est évidemment le problème des militants islamistes et non pas celui des peuples en recherche de paix et de bien vivre ensemble dans la diversité et la solidarité. Ceux-ci n’ont évidemment pas à « mettre l’islam de leur côté », ils ont à s’en protéger.

     

    Mais ce serait une grave erreur de croire qu’ils pourront le faire efficacement sans détruire aussi, dans les autres religions monothéistes, la croyance criminogène sur laquelle l’islam a établi sa volonté de conquête. Croyance que continuent d’entretenir successivement, depuis 2500 ans, l’hébraïsme, le judaïsme, le christianisme, l’islam et le bahaïsme  :

     

    http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-nouveau-pape-devra-supprimer-la-130677



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