Election d’un nationaliste à la présidence de la Serbie : le retour des vieux démons
C’est un tragique et très regrettable retour à ses vieux démons que la Serbie vient d’opérer, ce dimanche 20 mai 2012, en élisant, avec 50,21 % des suffrages, un nationaliste tel que Tomislav Nikolic à la présidence de l’Etat.
Car Nikolic a beau être l’actuel leader d’un parti qu’il a fondé, en 2008, en le baptisant de l’aguichant mais illusoire nom de « Parti Progressiste Serbe » (SNS), il fut surtout, plus dangereusement tant pour les libertés démocratiques que pour l’équilibre idéologique de son pays, l’ancien responsable politique, de 2003 à 2008, du Parti Radical Serbe (SRS), formation extrémiste, issue des milieux « tchetnik » et autres fanatiques religieux (orthodoxes, en l’occurrence), que présida jusqu’en 2003, année où il se rendit spontanément à La Haye, un certain Vojislav Seselj, national-populiste, ardent défenseur de la « Grande Serbie », que le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie a formellement inculpé pour son rôle actif lors des guerres en Bosnie et en Krajina, où il était alors le chef incontesté de très redoutables brigades paramilitaires, de « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre ». Et ce en requérant à son encontre, pas plus tard que le 7 mars dernier, une peine de 28 ans de prison pour sa responsabilité dans cette abominable « épuration ethnique » qui y fut alors systématiquement pratiquée, avec une rare violence, à l’encontre des populations civiles bosno-musulmanes et croates !
Qu’on se le dise donc : c’est Vojislav Seselj, qu’il m’arriva naguère de traiter publiquement, en Serbie même et en plein cœur de Belgrade, de « fasciste » (motif pour lequel j’y eus parfois, au prix d’infâmes et obscures magouilles, les pires ennuis, y compris judiciaires, jusqu’à y être considéré « persona non grata »), qui fut en réalité, depuis toujours, le mentor, tant politique qu’idéologique, du nouveau président serbe, Tomislav Nikolic !
Ainsi, à titre d’exemple et pour employer une analogie, ce soi-disant « Parti Progressiste Serbe » de Nikolic est-il à la Serbie ce que le « Front National » de Marine Le Pen est à la France : une formation d’extrême droite, populiste et nationaliste, sinon xénophobe, à la fois… sauf que cela se passe, pour corser l’affaire et aggraver la situation, en un pays - la Serbie, précisément - qui vient de sortir de deux terribles et sanglants conflits - ceux de Bosnie, jusqu’en 1995, et du Kosovo, jusqu’en 1999 - qui se soldèrent, hélas, par les pires atrocités que l’Europe ait connue, sur le plan humain, depuis la Seconde Guerre mondiale.
Ce n’est peut-être pas un hasard, du reste, si cette très dommageable élection de Tomislav Nikolic à la tête de la Serbie coïncide, pratiquement jour pour jour, avec l’historique ouverture, ce 16 mai 2012, du procès de Ratko Mladic, lui aussi pour « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » (chefs d’inculpation auxquels s’ajoutent cependant, dans son funeste cas, celui de « génocides »), au TPIY : tant Seselj que Nikolic le considérèrent d’ailleurs toujours, aux côtés de Radovan Karadzic, jadis Président de l’autoproclamée République Serbe de Bosnie, comme un héros national !
Ainsi est-ce le peuple serbe qui, victime là avant tout de l’invraisemblable et souvent honteuse démagogie de certains de ses propres dirigeants politiques, est à plaindre, en premier lieu, pour ce catastrophique et très contreproductif, à tous niveaux, retour en arrière. Car ce sera malheureusement là, dans un proche avenir, un nouveau et déplorable boomerang, au regard des très légitimes exigences morales de notre Europe moderne et démocratique, pour la Serbie elle-même.
Le peuple serbe, qui vaut mieux que cela, ne le méritait franchement pas, lui qui s’était longuement et patiemment accroché, ces dix dernières années, aux espoirs nés dans le sillage de l’ancien président, lequel vient donc d’être vaincu, Boris Tadic, quant à lui, au contraire, un vrai progressiste et européen convaincu.
Un bien amer résultat, donc, que cette désastreuse élection présidentielle en Serbie, redevenue aujourd’hui infréquentable !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « Requiem pour l’Europe – Belgrade, Zagreb, Sarajevo » ainsi que de « Les Intellos ou la dérive d’une caste – De Dreyfus à Sarajevo », publiés aux éditions L’Âge d’Homme.