mercredi 9 juillet 2008 - par morice

Et après ?

A voir, plus de cinq ans après, le pays ne pas pouvoir se relever, et être aujourd’hui dans une situation économique et sociale pire que sous Saddam Hussein, on s’était dit que cette invasion n’avait pas tourné rond dès le début. Les premières décisions sentent l’amateurisme le plus total. Les effets de l’occupation désorganisée se font sentir tout de suite : on pille sous les yeux des caméras du monde entier le prestigieux musée de Bagdad, les stocks de munitions conventionnelles accumulées par le tyran ne sont même pas gardées et disparaissent, volatilisées en quelques jours, bref ce n’est pas une armée qui vient de débarquer, mais bien une équipe de footballeurs américains ou de base-ball en goguette, qui, le soir venu, tire sur tout ce qui bouge. Ou conduit en ville comme dans un jeu vidéo, à tamponner toutes les voitures irakiennes sur le passage, comme on a pu le voir dans une effarante vidéo. Même chose pour la nourriture ou les rires obscènes des soldats. Les Américains se comportent en maîtres, et s’aperçoivent quelques semaines après qu’on les déteste. Leur mépris est immense. Leur attitude stupéfiante et abjecte. Leur irresponsabilité totale.

On avait beau avoir tout prévu lors de leur arrivée avec des agences de com’ gouvernementales ayant distribué des petits drapeaux pour jouer aux libérateurs, organisé en grandes pompes la chute de la statue de Saddam dans des circonstances affligeantes de mise en scène théâtrale, avec public sélectionné et même déguisé, rien n’y a fait : en deux mois pas plus nos fameux libérateurs, par leur comportement odieux, ont réussi la prouesse de passer de statut de libérateur en celui d’occupant détesté. Des gamins jusqu’ici non-partisans sont devenus des résistants à cette occupation qui a multiplié les erreurs et les provocations : des familles entières assassinées en représailles d’un soldat tué, des mercenaires qui tirent dans la foule pour le plaisir, et toutes les petites humiliations comme cette autre scène affligeante où un soldat juché à l’arrière d’une Humvee jette des bouteilles d’eau en faisant courir, courir et courir des pauvres gamins qui crèvent de dysenterie à boire l’eau polluée d’un réseau de distribution qui n’est toujours pas réparé, cinq années après. Les sommes qui lui étaient destinées ont été englouties ailleurs. Où, on ne sait pas, mais on a bien quelques pistes, dont celle d’un gouvernement de mafieux qui vit grassement sur le malheur de son peuple.


On s’en doutait, donc, de cette impréparation totale, mais aujourd’hui, on en a la preuve, en provenance d’une enquête réalisée par les sénateurs américains et des historiens. Elle est effarante. L’amateurisme à ce point est digne de l’armée d’Idi Amin Dada. Et le pire, c’est qu’on a tout fait à la tête de l’armée pour tenter d’étouffer les remontées de la base, qui constatait jour après jour que rien n’était comme prévu. Jusqu’à aller couper des têtes au sommet même de l’establishment militaire. Souvenez-vous, en 2003, Saddam juste capturé, on récompense ses auteurs en les mutant ailleurs : Tommy Franks, général trois étoiles, vire toute la direction de commandants de Bagdad dans les semaines qui suivent, décapitant l’organisation qui tentait péniblement de se mettre en place. Le constat des militaires eux-mêmes, aujourd’hui, est sévère “The move was sudden and caught most of the senior commanders in Iraq unaware,” dit le NYT. En citant cette enquête de 700 pages qui taille des croupières au régime de W. Bush, obnubilé par sa seule gloriole et non par la gestion d’un pays conquis, cadet de ses soucis.

L’armée américaine sur place avait bien de quoi finir par capturer le dictateur, mais sans plus : rien ne lui permettait de tenir le pays sous sa coupe. On sait qu’aujourd’hui Paul Bremer III, viré depuis lui aussi, est devenu un des plus farouches opposants de l’administration Bush dont il a pourtant été l’ambassadeur irakien. Il évaluait à 500 000 hommes environ les besoins sur place. Il en aura le tiers, à tout casser. Sans oublier l’incroyable bévue consistant à se séparer des cadres du parti de Saddam, piliers du régime, certes, mais aussi et surtout responsables à tous les niveaux de son administration. Les évincer, c’est ruiner tout espoir d’organisation du pays : plus d’électricité, de distribution d’eau, de banque centrale, jusqu’aux bureaux de poste et la police locale, démantelée elle aussi. Un régime totalitaire s’infiltre partout, et vouloir s’en débarrasser d’un revers de main une erreur monumentale. En France, en 1945, de Gaulle l’avait bien compris, à devoir composer avec des gens comme Papon, dont on ignorait alors le degré d’implication. Papon et d’autres, dont on vous a déjà parlé et qui sont passés au travers des mailles du filet, à se la couler douce le restant de leur vie, voire à s’acheter des hôtels prestigieux. Et amnistiés très tôt. C’est pourtant ce que vont faire les Américains, sans se soucier du contenu d’un rapport de huit pages écrit par un fin connaisseur de la région qui s’appelle Ryan Crocker, l’un des rares de haut rang à parler la langue du pays. Enrôlé depuis sous la casquette de nouvel ambassadeur, tentant misérablement lors de la dernière commission sénatoriale de justifier les actions de son collègue le général Petraeus, récemment nommé au poste de commandant en chef des armées en Irak.

Aujourd’hui, confronté à ce qui est devenu une situation ingérable, les langues se délient au sein de l’armée américaine. Le colonel Thomas G. Torrance, commandant de la 3e division d’artillerie dénonce sans ambiguïté le gâchis : "I can remember asking the question during our war gaming and the development of our plan, ‘OK, we are in Baghdad, what next ?’ No real good answers came forth". Pas une seule réponse de l’état-major à la question : que fait-on après, maintenant qu’on a conquis le pays ? L’impréparation est totale, et à tous les niveaux : pendant que l’on s’efforce de souder des bouts de tôle sur des Humvees devenues des passoires à Kalachnikovs, les troupes au sol doivent se débrouiller avec leur peu de savoir du terrain. On les a entraînées à se battre derrière des chars en plein désert, elles sont à pied en ville sans aucune formation à la guérilla urbaine et se font tirer comme des lapins, dénonce le lieutenant-colonel Troy Perry, responsable écœuré du 68th Armor Regiment. Franks, aux ordres de l’équipe de Bush, n’écoutera aucun conseiller : le colonel Kevin Benson lui indique pourtant, en qualité de membre de la planification aux armées, qu’il lui faudra tabler sur au moins 300 000 hommes pour contrôler l’ensemble du pays. Et ce avec le soutien de l’infrastructure baassiste existante. Rien n’y fera : cet imbécile de Franks, qui tient une victoire militaire facile dans ses mains, pense qu’il en sera de même pour le civil : "In line with the prewar planning and general euphoria at the rapid crumbling of the Saddam regime, Franks continued to plan for a very limited role for U.S. ground forces in Iraq.” Selon lui, le pays, une fois conquis, va marcher tout seul. C’est oublier les fondements même de la réalité du moment : le pétrole n’est plus pompé, les ports ne s’approvisionnent plus, l’électricité n’est plus produite pour la simple raison qu’il n’y a plus de fonctionnaires en place pour décider quoi faire et quand. Un pays repose sur ses fonctionnaires. Même dans les pays où le privé fait sa loi, il faut bien y passer. Et là, plus aucun gestionnaire de présent : le pays se retrouve du jour au lendemain paralysé.

Franks vire également dans la foulée le général McKiernan, à la surprise générale. C’est le chef des troupes alliées. Un commandant général est nommé, le lieutenant-général Ricardo S. Sanchez, qui manque d’expérience. Un général observant son arrivée en est catastrophé : “It took us months, six or seven or eight months, to get some semblance of a headquarters together so Sanchez could at least begin to function effectively.” La direction de l’armée vient de se prendre six mois minimum d’imprécisions supplémentaires, ce qui laisse largement le temps aux insurgés de s’organiser. Les dépôts d’armes ne seront pratiquement pas surveillés avant : on y vole toujours les obus qui vont être disséminés sur toutes les routes où passent les Humvees ou les chars Abrams. Leur déclenchement par téléphone portable devient la norme, les IEDs sont inventées et provoquent un vrai massacre chez les soldats. L’armée met plus de deux ans à s’en rendre compte, organisant des palliatifs comme l’épisode grotesque du montage d’éléments blindés au-dessus des jeeps. Alors qu’elle sautent par le dessous, avec leur fond plat qui est transpercé comme rien. Depuis, après quatre années d’imprécisions et de tergiversations, les Américains ont réagi en commandant plus de 7 000 véhicules MRAP à fond en V censés éviter les déflagrations. Les engins sont ruineux, lourds et fort peu manœuvrants. Et surtout enferment les soldats derrière des vitres blindées, ne permettant plus aucun contact avec les populations. Les soldats sont protégés, mais toujours plus détestés : qui ont ces extraterrestres qui s’enferment dans leur bulle d’acier et de verre ? Déjà qu’aucun d’entre eux ne savait la langue du pays... le contact avec la population, à bord de ces MRAP hermétiques est désormais inexistant. Les Américains sont clairement passés sous le statut d’occupant méprisant les populations locales. A Bagdad, le découpage des quartiers par des murs de béton de plusieurs mètres de haut et les barrages filtrants ont certes fait baisser le taux d’attentats, mais ruine l’économie : faire circuler n’importe quel produit qui doit être soupesé et passé aux rayons X devient une galère innommable. Les Irakiens découvrent les joies des barrages israéliens de la bande de Gaza, lieux de toutes les humiliations.

L’impréparation a été à tous les niveaux. L’occupation américaine est un patch constant. Jusqu’aux supplétifs, recrutés à la hâte, ces harkis de la guerre irakienne. Tant qu’ils fonctionnent sur leurs deux jambes, ça va. Mais ne comptez pas sur l’administration irakienne inexistante ou sur l’armée américaine pour les aider en cas... d’accident. Un nombre incroyable de blessés de la police irakienne se retrouve ainsi démuni de tout : aucune aide, aucun argent (ils étaient payés à la journée !), aucun soin... et l’obligation de se cacher pour la plupart, de crainte des représailles des opposants à l’invasion américaine, pour qui ils sont des traîtres. Dans un article poignant, le New York Times revient sur ces "abandonnés" dignes qui auront tout perdu dans l’histoire, y compris l’honneur de leur famille. Selon l’article, beaucoup d’estropiés ne reçoivent aucune pension, alors que les soldats américains eux sont pris en charge par leur administration. Deux poids deux mesures encore, qui ne sont pas faits pour inciter à s’engager dans le camp du pouvoir en place. Tout est fait pour les dissuader : les armes sont de mauvaise qualité, on refile les vieilles Humvees repeintes à la hâte, bref on les envoie au casse-pipe avec un sous-équipement chronique déplorable. L’article évoque le chiffre pour 2006 de 8 000 blessés et 4 000 morts parmi les supplétifs qui ont déjà payé le prix fort, en ayant autant de pertes que de soldats américains... sans avoir eu les honneurs des médias. Et ce, que pour les policiers, sans compter l’armée irakienne nouvellement reconstituée. Un chiffre effarant de 60 000 blessés est avancé... par Donald Rumsfeld lui-même, dans une conférence de 2006 : "roughly twice the rate of all coalition forces.” Les Irakiens paient un lourd tribut à leur engagement derrière les troupes américaines. Pour les soins aux blessés, c’est le temps de la galère : 25 % des médecins ont fui le pays. Un estropié résume clairement les disparités : “I lost a leg and can barely walk. I see on TV in the U.S. they lose two legs and they are running races. Why don’t they do the same for us in Iraq ?”. Deux poids deux mesures, et un mépris évident pour ceux qui les aident, voilà ce qui résume la situation actuelle des Américains en Irak. Le départ des soldats, s’il a lieu, va raviver les haines communautaires, les Irakiens vont se déchirer et on ne donne pas l’ombre d’une chance au gouvernement fantoche existant face à la puissance de l’emprise de Sadr. Et après ? What next ? Le chaos pur et simple ? Voilà ce qui attend... Obama ou McCain.


809 réactions


    • morice morice 16 juillet 2008 00:36

       Alors Bretzel, ce nettoyage de REDACTEURS compromettants ? Déjà fini ??? il en reste. D’ailleurs c’est comme ça qu"on le trouve : à force d’effacer les autres, il n’en reste qu"un..... 

      moi je vous dis : votre méthode elle est con. C’est comme ça que vous vous faites pincer. En laissant le bon en ligne.... pourtant vous avez pas mall bossé durant tout ce long week-end... tellement que vous avez .... moins posté. Les statistiques vous tueront, Bretzel.. elles ne ont pas bonnes pour vous.... 


    • Lucien Bretzel 16 juillet 2008 00:43

      momo
      y’a Bob Dylan qui passe sur Arte en ce moment.
      Regardes, ça te feras du bien !
       smiley


    • Leekid 16 juillet 2008 01:12

      Outch ! Il y a eu déchiquetage par ici ! d8D


  • morice morice 16 juillet 2008 01:29

     Djanel, je vous confirme le vol de vos posts et ip (29.159.180)) sur l’article de GUL par :


    peace and love

     


    Ce rédacteur n’a pas encore publié d’article sur AgoraVox

     

    > Les huîtres meurent, que dit la science  ? 
    par 50 pseudos (IP:xxx.x29.159.180) le 15 juillet 2008 à  01H49 
     
    Très bon article

  • morice morice 16 juillet 2008 10:55

     c’est qui comme technique, ça ??? DE LA DICTATURE. PURE ET SIMPLE. je réitère ma demande d’exclusion définitive de son auteur. IP/ 8.53.109. Pas difficile à faire, juste à décider. il y a ATTEINTE GRAVE LA à la LIBERTE d’EXPRESSION  du rédacteur.. c’est insensé. 


  • Djanel 16 juillet 2008 10:58

    Modairatheure, t’es pas en encore arrivé en Martinique ?

    Comme tu peut le constater, je suis obéissant.

    Je vois que tu nous fais une crise aiguë de paranoïa ou de la folie des grandeurs. Au lieu de voir rouge avec ton œil de verre , bois en un verre. Les vapeurs d’alcool, te feront le plus grand bien.


  • morice morice 16 juillet 2008 11:42

     par Djanel (IP:xxx.x53.83.84) le 16 juillet 2008 à  10H58 

     

    Modairatheure, t’es pas en encore arrivé en Martinique ?


    par Modairatheure (IP:xxx.x8.53.109) le 16 juillet 2008 à 11H03 
     
    Je précie au zozos, que le dernier post de "djanel" ets de moi...


  • morice morice 16 juillet 2008 12:02

     Un point commun cependant... Il suffirait de dire "je suis un rédacteur et je vais censuré les articles" pour qu’ils y croivent mordicus ! Morice, car cela accrédite sa thèse de complot contre lui, et Djanel, parce qu’il l’a lu tout simplement... 


    faut être inscrit en qualité de REDACTEUR, vieillard. Et vous êtes même allé voter pour celui qui vous mène par le bout du nez.  Or, les INSCRIPTIONS existent. Même si votre champion, qui a pris PEUR, commence à en EFFACER certaines. Ce faisant, il donne à AGORAVOX ses vraies coordonnées de REDACTEUR, et se fait bêtement piéger... votre chef est un con, tant pis pour vous de l’avoir autant adulé. 


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