lundi 26 mars 2018 - par Pierre

Et si la Russie n’avait rien à voir avec la tentative d’assassinat sur Sergueï et Ioulia Skripal ?

Sergueï Skripal, un ancien colonel du renseignement militaire russe ainsi que sa fille Ioulia sont dans le coma depuis ce 4 mars suite à une tentative d'assassinat avec un agent neurotoxique extrêmement puissant.

Sergueï Skripal avait donné les noms d'agents qui travaillaient pour la Russie au MI6 britannique contre des sommes d'argent totalisant 100.000 $. Il avait été condamné à 13 ans de prison par la justice russe mais il a fait partie d'un échange d'espions en 2010 et il vivait actuellement dans un modeste quatre pièces à Salisbury, dans le sud de l'Angleterre.

 

 

                              Sergueï Skripal.

 

Le gouvernement britannique accusa immédiatement la Russie d'être très probablement responsable de cette tentative d'assassinat et cela alors que l'enquête policière avait à peine débuté.

L'argument avancé est qu'il n'y a pas d'autre piste possible.

Theresa May somma alors le gouvernement russe de s'expliquer.

 

Des invraisemblances.

 

L'agent neurotoxique est très vite identifiée mais à ce stade, trois semaines après les faits, on ne sait toujours pas comment Sergueï et Ioula ont été infectés.

Sauf à croire que les service secrets russes sont des idiots, il est difficile d'imaginer que leurs agents vont signer leur crime en utilisant un produit créé en Union soviétique et qui n'est plus secret depuis que Vil Mirzanayov, un scientifique ayant participé au programme novitchok, s'est réfugié aux États-Unis et qu'il a publié la formule dans un livre.

De plus, les États-Unis et l’Ouzbékistan ont été en contact avec ce produit dans les années 90. L'usine qui produisait la famille des agents novitchoks se trouvait à Noukous, en Ouzbékistan, et elle a été démantelée par les États-Unis. La Russie ne ment donc pas quand elle dit qu'elle n'a jamais produit de novitchoks. Voila donc une première invraisemblance.

Ensuite, si le Royaume-Uni possédait un échantillon de novitchok soviétique, elle aurait dû le signaler à l'OIAC or elle ne l'a pas fait et le laboratoire militaire de Porton Down i qui emploie 3000 scientifiques et qui se trouve à quelques kilomètres de Salisbury (un hasard ?) dit qu'il n'en a jamais eu. Comment peut-on alors dire que l'agent utilisé est russe ?

Si le Royaume-Uni a synthétisé un novitchok dans son laboratoire de Porton Down on pourrait alors aussi en déduire qu'il est capable de le produire. Cela a son importance pour la suite de l'article.

Une autre invraisemblance est le timing choisi. Une semaine avant la présidentielle russe et surtout à trois mois de la Coupe du monde de football qui a lieu en Russie et qui revêt une grande importance pour Vladimir Poutine. Un scandale de ce genre terni la réputation du pays à un moment où justement le bloc anglo-saxon cherche toutes les occasions pour s'en prendre à la Russie. La Russie devait savoir suite à l'affaire Litvinenko que ce genre d'attentat est monté en épingle pour nuire le plus possible aux intérêts russes.

Une quatrième invraisemblance est le mobile. Tuer quelqu'un qui ne représente aucun danger pour la Russie et qui n'a été condamné qu'à 13 ans de prison est absurde. De plus, il avait fait l'objet d'un échange d'espions et si un pays commence à éliminer les condamnés libérés, on peut s'attendre à ce que les autre fassent de même. Cela ne correspond pas à la philosophie de Vladimir Poutine qui est toujours très prudent pour ne pas envenimer inutilement les relations diplomatiques avec les Occidentaux.

 

Ioulia Skripal.

 

C'était depuis le début un mystère pour moi. Faire de la mort d'un traître un exemple pourrait à la rigueur tenir la route mais tuer en même temps sa fille qui n'est en rien impliquée dans l'affaire n'est pas normal. Pourquoi essayer de tuer Sergueï Skripal justement quand sa fille lui rend visite et en faire aussi une victime ?

 

                                  Ioulia Skripal.

 

Une explication plausible m'est alors venue à l'esprit : Ioulia connaissait des confidences de son père et on devait aussi la faire taire. Elle était gênante, pas pour les services secrets russes mais plutôt pour les britanniques.

 

Le mal du pays.

 

Selon un reportage de Paris Match du 15 mars à Salisbury ii , Sergueï Skripal menait une vie solitaire et terne sans s'être socialement intégré dans la société locale.

Ce homme de 66 ans qui se disait patriote soviétique devait se demander quel sens pouvait encore avoir sa vie et il devait regretter l'époque où il vivait entouré par ses proches à Moscou.

En 2012, il avait eu une longue conversation téléphonique avec Vladimir Timochkov, un ami d'enfance resté en Russie. Il lui faisait part de ses regrets pour ce qu'il a fait et lui disait qu'il était bouleversé d'être séparé de ses enfants, de sa mère (qui est actuellement très malade), de ses frères et de d'autres êtres chers.

Il disait aussi avoir écrit une lettre à Vladimir Poutine pour obtenir un pardon et pouvoir rentrer en Russie. Cette information a été publiée par la BBC.

Dmitri Preskov, le porte-parole du Kremlin, a démenti l'existence de cette lettre mais ce n'est pas pour cela qu'elle n'a pas été envoyée. Cela signifie simplement que le Kremlin dit que Vladimir Poutine n'a pas reçu cette lettre ou qu'il ne veut pas le reconnaître pour des raisons tactiques vis-à-vis des accusateurs occidentaux.

Maintenant, en 2018 et 13 ans après son arrestation, Sergueï Skripal devait se dire que s'il était resté en prison, il aurait payé sa dette et qu'il vivrait libre dans son pays natal.

Il a probablement lancé une nouvelle démarche pour rentrer en Russie avec l'aide de Ioulia, peut-être pour son mariage. Cette démarche est arrivée aux oreilles des services de renseignements étasuniens et britanniques par l'un ou l'autre canal. Un de ces canaux pourrait être une ambassade occidentale à Moscou. La mère du petit-ami de Ioulia qui s'opposait au mariage de son fils avec la fille d'un traître aurait une haute fonction en Russie et si Ioulia s'était confiée à son petit ami, cela aurait pu remonter jusqu'à elle. A-t-elle discrètement informé l'ambassade des États-Unis ou du Royaume-Uni ? Lien en russe. iii

 

Qui a intérêt à voir Sergueï Skripal disparaître ?

 

Sergueï Skripal était passé aux aveux et il n'y avait plus rien à en tirer après son procès. De même pour les Britanniques, il n'avait plus rien à leur apprendre.

 

                    Sergueï Skripal malmené lors de son arrestation.

 

Cependant, pendant les année passées en Angleterre, il a certainement été sollicité par le MI6 pour des missions ou pour de la consultance.

Il était par exemple proche de Christopher Steele, un ancien agent du MI6, qui avait été payé par Hillary Clinton ou par sa fondation pour compromettre Donald Trump alors candidat à la présidence. C'est une information qu'on peut lire dans le quotidien britannique « The Telegraph ». iv

S'il revenait au pays, Sergueï Skripal aurait certainement pu apporter des informations intéressantes aux services secrets russes et cela faisait une bonne raison pour l'éliminer, lui et sa fille qui en savait sans doute trop.

Voila enfin une explication plausible de la tentative d'assassinat sur Ioulia et ce n'est pas du fait des agents russes.

A ce stade, je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement avec Boris Berezovski, un dissident russe qui d'après des rumeurs avait aussi sollicité un pardon et qui désirait revenir au pays.

 

L'origine de l'agent neurotoxique.

 

L'hypothèse que Ioulia l'aurait emporté dans ses bagages ne tient pas. Peut-on imaginer que le FSB prendrait le risque de contaminer tout un avion pour éliminer un ancien colonel qui avait trahi et qui ne représentait plus aucun danger pour le pays ? La réponse est non et même pour le plus irresponsable des agents.

Il aurait pu être entré au Royaume-Uni avec une valise diplomatique mais stocker cet agent toxique dans l'ambassade est un énorme risque. De plus, il faudrait faire venir des spécialistes pour manipuler cet agent toxique et ce serait remarqué.

On peut donc difficilement croire que le novitchok vient de Russie.

Les Russes auraient d'ailleurs dû synthétiser un nouveau novitchok vu que ce n'est pas eux qui détenaient les stocks soviétiques. Ce n'est pas vraisemblable vu qu'au même moment ils détruisaient les stocks d'armes chimiques hérités de l'Union soviétique sous la supervision de l'OIAC.

Il se pourrait que le Royaume-Uni se soit procuré des échantillons de novitchok quand les États-Unis ont démantelé l'usine de Noukous dans les années 90. Il faudrait voir si cela a été fait sous la supervision de l'OIAC ou pas.

Il se pourrait aussi que ce soit un novitchok produit en Occident puisque quand on connaît la formule, de nombreux laboratoires dans le monde peuvent le reproduire.

Il est un fait, c'est qu'en refusant de donner un échantillon aux Russes comme il en a l'obligation, le gouvernement britannique ne permet pas aux Russes de se disculper.

 

Conclusion.

 

Quoi qu'en dise Theresa May, il y a une autre piste que celle des Russes qui auraient signé leur crime. Que chacun se dise que si on peut penser que le FSB est capable de commettre des assassinats, il en est de même des autres services secrets comme le MI6, la CIA ou la DGSE.

Il y a peu de chance que Sergueï et Ioula sortent un jour de leur coma. Leurs fonctions nerveuses sont détruites à jamais et il n'y a pas d'antidote comme pour un poison ordinaire.

S'ils sont maintenus en vie, ce ne peut être que grâce à des soins intensifs et avec un lourd appareillage médical comme par exemple des respirateurs artificiels.

Ils ne seront jamais en état de raconter ce qui leur est arrivé ou de confirmer le désir de Sergueï de rentrer en Russie.

Theresa May est allé trop loin dans ses accusations et elle ne peut plus reculer.

Si l'hypothèse de cet article est exacte, elle n'a sans doute pas commandité personnellement cet assassinat et elle s'est sans doute fiée aux rapports qui atterrissaient sur son bureau.

Ce genre de décisions se prend généralement à des niveaux inférieurs, le ministre de l'Intérieur ou la direction de l'agence elle-même.

Il ne peut y avoir d'enquête interne pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, chacun comprendra que le Royaume-Uni risquerait alors de mettre la sécurité du pays en danger.

Les gesticulations de Boris Johnson sont du plus haut ridicule. Il en profite pour débiter sa russophobie pathologique mais, connaissant le personnage, il est sûrement le dernier que les services secrets britanniques informeraient.

La Russie a de son côté aussi ouvert une enquête. Si Sergueï Skripal ou sa fille avait entrepris une démarche pour un retour au pays, cela atterrira certainement sur le bureau de Vladimir Poutine et ce sera lui qui décidera de l'usage qu'on en fera.

Comme toujours, en laissant une porte ouverte pour que l'adversaire (qu'il appelle généralement partenaire) puisse trouver une porte de sortie honorable.

 

 

ihttp://www.liberation.fr/planete/2018/03/07/porton-down-laboratoire-a-la-pointe-de-la-recherche-sur-les-armes-chimiques_1634450

 

iihttp://amp.parismatch.com/Actu/International/Serguei-Skripal-Qui-a-voulu-tuer-l-espion-russe-1479980

 

iiihttp://www.mk.ru/incident/2018/03/14/smi-skripalya-otravila-nesostoyavshayasya-svekrov-yulii.html

 

ivhttps://www.telegraph.co.uk/news/2018/03/07/poisoned-russian-spy-sergei-skripal-close-consultant-linked/

 




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