Guerre Iran-Israël : veillée d’armes et fin d’un monde
Le régime des mollahs vit probablement ses derniers jours. La guerre longtemps redoutée entre l’Iran et Israël n’a jamais été aussi proche. En Israël, puissance d’où partirait le premier coup de feu, tout semble au point. En Iran, on affiche une sérénité qui laisse perplexe. En effet, l’issue du conflit ne fait aucun doute : le régime iranien sera balayé. La question qui se pose véritablement est celle de sa capacité de nuisance. Il y a sérieusement à redouter une guerre qui, bien que remportée, risque de laisser des « blessures » dont on pourrait ne jamais se relever.
En attendant, en Israël, l’heure n’est plus au secret. Pour le ministre sortant de la défense passive Matan Vilnaï, « le front israélien est préparé comme il ne l’a jamais été ». Il va jusqu’à préciser, au quotidien Maariv, que l’offensive durera un mois et coûterait la vie à environ 500 personnes. Tsahal attaquerait sur trois fronts simultanés. Une campagne de bombardements sur les installations nucléaires iraniennes, et des opérations contre ses ennemis immédiats que sont le Hezbollah (Liban) et le Hamas (Bande de Gaza).
Sur le front de la communication, les autorités préparent l’opinion à l’idée d’un conflit qui aura un coût humain assez lourd. Ainsi l’armée est-elle en train de tester un système d’alerte par SMS pour prévenir la population d’un impact imminent de missiles ou de roquettes. Un dispositif qui ne semble pourtant pas convaincre de son efficacité selon la presse israélienne. Pour le quotidien Yediot Aharonot, le pays « n'est pas prêt ». La « moitié des Israéliens n'ont pas de masques à gaz ». Par ailleurs, « les travaux de protection des bâtiments abritant les hôpitaux ne seront achevés que dans trois ans ».
Du côté de l’Iran, les autorités rappellent que leur programme nucléaire, objet du conflit, n’a pas de visée militaire et qu’il serait « stupide » pour Israël d’attaquer les installations iraniennes. S’exprimant lors d'un discours à Téhéran à l'occasion de la Journée d'al-Qods[1], le Président iranien a promis que la « tumeur cancéreuse » (que serait Israël) va bientôt disparaître et qu’« un nouveau Proche-Orient » va renaître sans « trace des sionistes ». Une déclaration qui a évidemment provoqué un tollé international.
Sur le plan militaire, difficile de prédire l’issue du conflit si l’affrontement reste strictement l’affaire des deux puissances. Toutefois, Israël disposerait d’une nette longueur d’avance technologique sur l’Iran, ce dernier ayant fortement pâti de l’embargo sur l’armement, ce qui a miné considérablement sa capacité à équiper notamment sa flotte aérienne. Mais Téhéran a développé des missiles capables de frapper l’Etat hébreu et dispose d’un allié indéfectible aux frontières d’Israël, le Hezbollah.
Un affrontement terrestre entre soldats israéliens et combattants du Hezbollah n’est pas gagné d’avance. La dernière fois que les troupes de Tsahal ont mené des incursions au Sud Liban, en été 2006, les pertes avaient été suffisamment lourdes pour que le doute commence à planer sur la capacité du pays à s’en sortir militairement face à ses hostiles voisins. Des critiques avaient fusé contre les généraux israéliens qui ont pourtant la solide réputation d’infaillibles stratèges. Cent-dix-huit soldats tués et un coût colossal de 4,4 milliards d’euros, selon les estimations du journal Yediot Aharonot, rien que du côté d’Israël. C’est trop pour un ennemi jusqu’alors considéré comme une simple « milice ». Le conflit s’était d’ailleurs terminé dans un climat de dépit, l’Etat hébreux n’étant jamais parvenu à récupérer les deux soldats dont l’enlèvement par les militants du Hezbollah avait motivé le déclenchement de l’offensive de Tsahal.
Pourtant, contre l’Iran, Israël part avec les meilleurs atouts. Seule puissance nucléaire de la région, difficile d’imaginer qu’en cas de déboires militaires majeurs l’Etat hébreu se priverait de recourir à l’arme fatale. Toutes les puissances nucléaires entretiennent leur terrifiant arsenal pour rappeler qu’en cas de menace de disparition, ce sera l’enfer pour tout le monde. Mais Israël peut ne pas avoir besoin de se servir de son arme « tabou »[2]. On sait que si le conflit tourne mal, les Occidentaux voleraient au secours du peuple hébreu. Difficile d’imaginer les dirigeants européens et américains rester les bras croisés pendant que le peuple israélien subit des pertes humaines et matérielles de la part d’un régime aussi « détesté » que celui de Téhéran.
D’ailleurs, sur ce point, le Président israélien est sans ambigüité. S’exprimant sur la deuxième chaine de télévision israélienne, Shimon Peres a assuré qu’« il est clair que nous ne pouvons pas le faire seuls. » Et d’ajouter : « cette fois au moins nous ne sommes pas seuls ». Il faisait allusion aux Etats-Unis qui, quelles que soient les conditions du déclenchement des hostilités, interviendront aux côtés d’Israël. De nombreux pays suivront et formeront une coalition face à laquelle Téhéran ne tiendra pas militairement.
On peut imaginer que dans ce scenario, les « alliés » ne se contentent pas de détruire les installations nucléaires du pays. Ils iront jusqu’à faire tomber le régime. L’expérience de la première guerre du Golfe ne peut pas être répétée. Les Américains, après avoir détruit l’essentiel du complexe militaro-industriel irakien, avaient décidé d’interrompre l’opération alors qu’ils pouvaient progresser jusqu’à Bagdad et capturer Saddam Hussein. Le dictateur avait profité de ce « salut » pour se livrer à une campagne de violences contre son propre peuple, dont des Kurdes et des Chiites massacrés à l’arme chimique. Une deuxième guerre du Golfe avait été jugée nécessaire par l’administration Bush, pour des raisons indéfiniment contestables. Mais on aurait pu s’épargner ces interminables polémiques et surtout épargné des vies humaines (massacre des Kurdes et des Chiites) si la coalition, disposant du mandat de l’ONU, avait « fini le boulot » dès 1991.
Reste que pour faire tomber le régime, il faudra des hommes au sol. Un scénario difficile à envisager compte tenu de l’expérience afghane et surtout irakienne. Même si, paradoxalement, on ne peut pas parler de fiasco militaire en Irak ou en Afghanistan, si l’objectif était d’affaiblir une « nation hostile ». Les alliés pourraient donc se contenter de « briser » l’Etat iranien, comme ils ont brisé l’Irak de Saddam Hussein. Après une campagne de bombardements et l’encouragement des soulèvements internes, le pays serait laissé dans un « sale état ». Lorsqu’un peuple s’épuise dans d’interminables conflits internes comme les Irakiens (Kurdes, Sunnites, Chiites), il n’a plus les moyens de fabriquer des « armes de destruction massive » et menacer « le monde libre » avec ses missiles. Les Occidentaux pourront alors dormir tranquilles.
Malheureusement pour les dirigeants iraniens, le régime, dans sa chute, ne va pas susciter beaucoup de sympathie à travers le monde. Qui pourrait plaider pour la perpétuation d’une théocratie hostile à la démocratie et aux libertés fondamentales ? Qui pourrait plaider pour un régime qui réprime dans le sang des opposants pacifiques qui manifestent simplement contre un hold-up électoral ? Les images des victimes de la répression de 2009 n’ont pas fini de défiler dans nos têtes. Qui va plaider pour un régime qui enferme la femme dans ces insupportables « cages vestimentaires » ?
Bien entendu, Israël ne va pas en Iran, comme George Bush, pour apporter la démocratie et les libertés fondamentales. Aux Iraniens toutefois de saisir l’occasion pour tourner la « page noire » ouverte en 1979 avec l’arrivée de l’ayatollah Khomeiny.
Enfin, le contexte international n’a jamais été aussi défavorable aux dirigeants iraniens. La solidarité avec la « rue arabe » ne sera pas au rendez-vous. Depuis le printemps arabe, les islamistes qui mobilisaient des foules ont changé de visage. En Egypte, les Frères musulmans sont au pouvoir et sont en quête de respectabilité internationale. Ils ne vont pas envoyer des foules dans la rue par solidarité avec les mollahs. En Tunisie, les Occidentaux scrutent le moindre faux-pas des islamistes au pouvoir (Ennahda). En Syrie, les islamistes nous supplient de les aider pour venir à bout de Bachar Al-Assad. Ils ne vont pas se fâcher avec les Occidentaux. En Libye, les islamistes au pouvoir, ce sont « nos amis ». Le régime iranien va donc, certainement, se retrouver tout seul dans sa chute.
Reste la question des tragédies individuelles et collectives qu’il faudra gérer et qu’on semble sous-estimer face à un conflit opposant une nation à l’avenir incertain (Israël) qui croit sa survie menacée et son ennemi (Iran) qui ne jure qu’en termes d’« Allah ».
Boniface MUSAVULI