mercredi 5 septembre 2012 - par AniKoreh

La clé du développement et du progrès économique

Il est de tous les combats depuis près d’un demi-siècle. Ce professeur émérite de linguistique au Massachusetts Institute of Technology, est en effet mieux connu encore pour ses célèbres essais politiques, qui se comptent par dizaines. Dans ceux-ci, le "dissident numéro un de l’Amérique" - c’est ainsi que l’on qualifie parfois Noam Chomsky - décrypte de manière rigoureuse et détaillée les mécanismes idéologiques des sociétés occidentales, les relations d’intérêt et de domination installées par le Nord envers le Sud, les motivations sous-jacentes des discours altruistes, le système médiatique...

Il oppose son rationalisme méthodique, hérité des Lumières, aux détenteurs de pouvoir de tous ordres. De la guerre du Vietnam jusqu'à la déstabilisation de la Syrie en cours, en passant par les guerres d'Afghanistan et d'Irak, et l'intervention "Aube de l'Odyssée" de l'OTAN en Libye, rien à ce jour n’a échappé à ses dissections. A 83 ans, Chomsky poursuit sa dénonciation de l'impérialisme, du néo-colonialisme et de l'auto-proclamée 'ingérence humanitaire', répliquant aux critiques avec flegme.

"Espoirs et perspectives"

Mieux connaître le passé pour savoir où l'on va, nous dit l'adage. Dans son dernier ouvrage en date, "Hopes and Prospects" - traduit en français par "Futurs proches" et présenté à l’occasion de deux conférences données à Bruxelles les 26 et 27 mars 2011 -, Noam Chomsky confronte les concepts de liberté, d'impérialisme et de souveraineté des états. Ce faisant, il s'applique à décoder la première décennie de ce siècle pour tenter d'expliquer la direction probable de l'humanité dans les années à venir et définir les défis à relever pour assurer un monde équitable.

Forgé à partir d’articles écrits durant les années 2006 à 2009 et divisé en deux parties – L’Amérique latine et L’Amérique du Nord -, ce recueil s’ouvre par la description de plus de 500 ans de 'conquêtes occidentales' (!) de par le monde. Il en étudie minutieusement les mécanismes – "A l’étranger, imposition du libéralisme économique, par la force s’il le faut" – ainsi qu’il relate les effets, sur les peuples envahis, d'une doctrine politico-économique globale "qui se manifeste aujourd’hui sous le nom de mondialisation". Le constat premier est malheureusement sans surprise : depuis plus de trente ans, les disparités entre le Nord et le Sud sont grandissantes, et aucunes réelles mesures de correction ne sont prises pour le moment par les grandes puissances.

L'indépendance et la souveraineté des Etats !

Avec cet ouvrage, le scepticisme éclairé qui caractérise ses analyses fait cependant place à un optimisme mesuré. Selon Chomsky, la clé du développement et du progrès économique résiderait dans l'indépendance et la souveraineté des États. Ainsi, prenant pour exemple le Japon, "seul pays du Sud à s'être développé et industrialisé par lui-même", il tire la conclusion selon laquelle "la souveraineté, qui implique la capacité d'un pays de maîtriser son économie nationale et de participer aux marchés internationaux à ses propres conditions, est essentielle au progrès économique."

La situation de l'Amérique latine

Toute la première partie de l’ouvrage énumère les succès obtenus ces dernières années en Amérique latine, stimulée depuis l'élection de Hugo Chavez au Venezuela en 1998, un président qui entend faire profiter les couches les plus pauvres de la population des abondantes ressources de son pays, et qui promeut l'intégration régionale indispensable à l'indépendance, à la démocratie et à un développement digne de ce nom.

Chomsky estime en effet que les ex-colonies, en particulier celles d’Amérique latine, sont plus que jamais "à même de surmonter des siècles de soumission, de violence, de répression et d’intervention étrangère", et note que, malgré des revers, "(…) c’est dans ces parties du monde que déferle la vague démocratique contemporaine."

Le livre délivre dès lors une note d'espoir, apportée principalement par plusieurs de ces pays d'Amérique latine qui tentent en effet de bâtir et de renforcer des États démocratiques, tout en se défendant encore contre des tentatives de coups d'état, le plus souvent téléguidées depuis l'étranger. Ils s’engagent également dans des politiques originales, "marquées par leur opposition au néolibéralisme", et davantage basée sur les échanges locaux, et la solidarité entre les États…

"Futurs proches" en appelle finalement à une conversion de l'économie afin de mettre résolument celle-ci au service de l'environnement. Conversion qui, selon Chomsky, semble tout à fait possible avec les moyens dont l'homme dispose et qui a des précédents dans l'histoire. Il rappelle ainsi que durant la deuxième guerre mondiale, on est passé d'une économie industrielle à une économie de guerre. Une conversion réussie suivie, après la guerre, de politiques ambitieuses de grands travaux ayant permis aux États de se sortir de la Grande Dépression et connaître une période de croissance sans précédent.

EXTRAITS :

Intégration régionale

"(…) L'intégration régionale qui prend forme est une condition essentielle à l'indépendance, car elle complique toute tentative de s'en prendre à chaque pays un par un. (…) L'intégration a aussi une dimension mondiale : l'instauration de rapport Sud-Sud et la diversification des marchés et des investissements. (…) La troisième dimension de l'intégration, sans doute la plus indispensable, est interne. L'Amérique latine est encore tristement célèbre pour son extrême concentration de la richesse et du pouvoir entre les mains d'élites privilégiées et dénuées de tout sens des responsabilités en ce qui à trait au bien-être de leurs nations."

Banco del Sur et ALBA

"Les initiatives du Venezuela ont eu d'importantes retombées dans tout le sous-continent : désignées aujourd'hui sous le nom de 'marée rose', elle déferle partout, comme en fait foi l'élection récente de Fernando Lugo au Paraguay, et à l'échelle régionale, où des institutions communes sont en voie de formation. Parmi celles-ci se trouvent la Banco del Sur (Banque du Sud) - projet avalisé en 2007 par Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie -, ainsi que l'Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique (ALBA), qui marquera l'aube d'une nouvelle ère si les espoirs qu'elle suscite se concrétisent."

UNASUR

"Une autre organisation régionale prend forme encore : l'Union des Nations sud-américaines (UNASUR), initiée en 2006 par l’importante Déclaration de Cochabamba des dirigeants sud-américains, appelant à l’intégration du sous-continent sur le modèle européen, et dont un premier sommet consacré à la crise financière s’est tenu à Santiago en septembre 2008. (…) S'inspirant de l'Union européenne, ce bloc souhaite instituer un parlement sud-américain à Cochabamba en Bolivie, lieu tout désigné pour un tel projet."

Démocratie

"(…) Abordons maintenant le contraste offert par l'élection de décembre 2005 dans le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud, la Bolivie. Les électeurs étaient bien au fait des enjeux, dont certains étaient d'une importance cruciale : maîtrise des ressources naturelles, droits culturels de la majorité autochtone, problèmes liés à la justice dans une société multiethnique complexe, etc. Les électeurs ont opté pour un candidat issu de leurs rangs, et non pour un représentant de la minorité des privilégiés. Grâce à des années de lutte et d'organisation, le taux de participation s'est accru. Le jour du scrutin ne s'est pas résumé à un simple intermède où l'on fait une croix sur un bulletin avant de se retrancher dans la passivité et la vie privée, mais a il constitué une étape décisive d'un processus continu de participation au fonctionnement de la société."



7 réactions


  • Robert GIL ROBERT GIL 5 septembre 2012 09:17

    les pays qui ne rentrent pas dans le schema global doivent quand meme faire attention ...

    http://2ccr.unblog.fr/2011/06/07/punir-les-mauvais-eleves/


  • Francis, agnotologue JL 5 septembre 2012 11:35

    Tout ce qu’écrit Chomsky est bon à lire. Merci pour cette info.


  • Le péripate Le péripate 5 septembre 2012 14:13

    Affirmer que les disparités entre le « Nord » et le « Sud » est simplement faux. Et probablement mensonger aussi.
    Quand les prémisses sont erronées les conclusions le sont aussi.

    Gapminder.org.


    • Le péripate Le péripate 5 septembre 2012 14:14

      Je voulais écrire « que les disparités augmentent », naturellement. smiley


    • leypanou 5 septembre 2012 14:39

      @le péripate :

      Vous avez raison : pire, c’est même l’inverse, le Sud est maintenant plus riche que le Nord.


    • Francis, agnotologue JL 5 septembre 2012 14:58

      Non, le Sud n’est pas plus riche que le Nord, et ne le sera jamais.

      mais les riches du Sud sont plus riches que les pauvres du Nord, c’est exact !


    • plancherDesVaches 5 septembre 2012 17:30

      En effet. La situation devient inquiétante.

      Il est temps d’aller récupérer le pétrole des pays du golf, les excuses ne manquent pas, le pétrole est de toute façon une arme de destruction chimique massive.
      Même chose pour le gaz russe, car j’ai entendu ouhir (hygor, en russe) qu’ils développaient en secret l’arme nucléaire.
      Tant qu’à faire, pendant con y est, le pétrole du mexique, ou ce qu’il en reste, pourrait aussi nous revenir, ils sont tellement drogués là-bas qu’ils ne s’en rendront même pas compte.
      C’est Chavez qui me gène.
      Pour lui piquer son pétrole, j’ai du mal à trouver une excuse car il est nul en tout.

      Alors, maintenant, LA question.
      Qu’est-ce qu’on fait des US qui commencent à partir en vrille... ??
      Jevouldemande.. ?


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