jeudi 22 février 2007 - par koudou

La future révolution du Zimbabwe

La question n’est pas de savoir si elle aura lieu, mais sous quelle forme aura-t-elle lieu ? Pacifiquement et rapidement, ou par la force avec une nouvelle fois des victimes inutiles ?

Les personnages sont en train de terminer de se mettre en place :

- un président élu, mais aux méthodes de dictateur qui prend des décisions envers et contre tous. Un dirigeant qui ne s’occupe pas des droits de l’homme, ruine son pays, n’écoute pas ce que dit la justice de son pays, son ministre de l’économie et veut changer la constitution pour ne pas avoir à soumettre son poste de président au vote en 2008 à l’âge de 85 ans.

- une opposition qui se rassemble malgré les divisions, car trop c’est trop

- un peuple qui meurt de faim, où tous ceux qui ont un métier s’enfuient à l’étranger et où ceux qui restent ne peuvent plus acheter à manger, ne peuvent plus payer les frais de scolarité devenus beaucoup trop chers et où les aliments de base ne se trouvent plus qu’au marché noir.

- un pays ruiné, un PIB qui a perdu plus de 40% en 6 ans, une production agricole tombée de moitié, une industrie incapable de produire ne serait-ce que la moitié que ce qu’elle produisait il y a 6 ans.

- une répression qui se met également en place avec une police secrète puissante.

Le taux de change

Je vous parlais dans un précédent article du taux de change "officiel" imposé par la banque centrale et du change du marché parrallèle. C’est devenu pire encore, car le taux officiel est toujours de 1$US pour 250$Zim, mais sur le marché parallèle, pour 1$US, on a désormais 5000$Zim. Comme tous les investissements étrangers doivent passer à la banque centrale d’où ils ressortent en $zim au taux officiel, tout investissement ou dépense venant en "hard currency" perd instantanément 25 fois sa valeur en arrivant.

Avec ça, les choses sont claires : plus aucun investissement en provenance de l’étranger (qui va investir 15000 $US pour aider avec une banque centrale qui taxe automatiquement l’argent pour laisser un pouvoir d’achat de 600$ ?)

Plus de touristes dans ce pays pauvre qui est devenu le plus cher au monde, et les Vic Falls se visitent désormais du côté Zambien dont l’activité explose.

Les dernières vicissitudes

Pour tenter de maintenir une fiction de la valeur du dollar ZIm, le gouvernement subventionnait le maïs à des hauteurs incroyables avec la planche à billets. Facile : pour avoir un tarif de la farine de mais qui reste compatible avec les salaires miséreux à force d’être laminés par une inflation qui a atteint 1800%, le gouvernement impose un prix du mais à 600$Zim la tonne de mais à l’entrée des moulins (dans les minoteries). Mais comme la tonne de maïs coûte en fait 52000$Zim la tonne à production, le gouvernement subventionnait les producteurs de maïs.

Des hauts fonctionnaires se sont donc installés comme "minotiers" pour acheter le maïs subventionné à 600 $Zim la tonne et le revendent à l’étranger ou aux producteurs à 52000$Zim. Moralité : suppression de la subvention sur le maïs au producteur, avec pour conséquence prévisible, une brutale multiplication du prix de la farine de mais par 50 à 80 fois.

Déjà cela n’a plus de sens : l’agence de statistique du gouvernement a calculé en décembre dernier qu’il fallait 310000$Zim par mois à une famille de 6 personnes pour se loger et se nourrir (la famille de 6 persones est la famille moyenne au Zimbabwe). Depuis, il faut probablement multiplier ce montant par deux. A titre de comparaison, le salaire d’un policier était en décembre dans les 40000$Zim.

Et donc, les services de police sont incapables de fonctionner correctement, et un petit billet est désormais nécessaire dans les commissariats pour tout. Et peu importe si ce n’est pas moral : c’est tout simplement la survie qui est en jeu et non plus un attrait du gain mal placé.

Et quand je dis "un petit billet", comprenez une grosse liasse si c’est en dollar Zimbabwe. D’ailleurs c’est simple, au moment où il est imprimé, la date de validité du billet est inscrite dessus : 10 mois après. La date limite d’utilisation d’un billet de banque est deux fois moindre que celle d’un bocal de cornichons ! Le pus gros billet en dollar Zimbabwe est insuffisant pour acheter un petit pain.

Et dès qu’un Zimbabwéien a des dollars Zimbabwe, il court les changer contre quelque chose qui ne perdra pas de la valeur. Et en fait, tout est plus stable que le dollar ZImbabwe : l’essence, le tabac, le sucre, la farine, les oeufs, et même la viande : un poulet perd moins de valeur en deux jours que le montant équivalent en $Zim et que dire d’un poulet vivant !

L’attitude de la Grande Bretagne

La Grande Bretagne considère que le Zimbabwe est chasse gardée. D’ailleurs, cela fait depuis 2000 qu’elle oeuvre internationalement pour que personne n’aide le Zimbabwe : même le FMI ne prête pas d’argent au Zimbabwe.

Dernièrement encore, elle a rappelé à la France que celle-ci ne devait pas inviter le Zimbabwe au sommet France-Afrique. Et pour le prochain sommet Europe-Afrique, le Zimbabwe sera de nouveau persona non grata.

Plus aucune compagnie aérienne occidentale n’atterrit au Zimbabwe, sauf bien entendu British Airways : business avant tout, et ce sont les autres compagnies qui ne doivent pas faire du business avec le Zimbabwe.

Sauf pour la Chine que la Grande Bretagne à son grand désespoir, n’arrive pas à commander. Et donc la Chine a invité tous les pays africains à son sommet Chine-Afrique du mois dernier à Pékin, y compris le Zimbabwe. Et la Chine fait du business, et la Chine prête de l’argent.

Et bien entendu, la Chine ne fait pas trop attention à ces histoires négligeables des droits de l’homme. Cette dernière décennie, la Chine a multiplié son business avec l’Afrique pour atteindre 50 milliards de dollars en 2006 et importe 30% de son pétrole d’Afrique, ce qui en fait sa région principale d’approvisionnement au détriment de l’Arabie Saoudite.

Les politiques au Zimbabwe

Une grande partie des ministres en place se rendent bien compte qu’il faut faire quelque chose pour sauver le pays et certainement pas ce qui est fait actuellement. On ne parle bien entendu pas du Ministre de l’économie qui n’arrête pas de se faire limoger car c’est lui qui sert de fusible.

Le ministre du tourisme vient de déclarer officiellement qu’il était en train de négocier avec la Banque Centrale pour que dans le secteur du tourisme, la Banque Centrale accepte de ne changer que 20% des montants du tourisme en dollars Zimbabwe au taux officiel et qu’il laisse aux Tours Operators réceptifs le droit de conserver les 80% des paiements en "hard currency" pour pouvoir acheter les produits à livrer aux touristes au moment où ceux-ci arrivent dans le pays.

Quand au leader de l’opposition, il a déclaré qu’il ferait tout ce qu’il faut pour lutter contre Mugabe. Mais avec la police secrète qui a déjà arrêté des leaders de l’opposition ces derniers jours pour avoir assité à la manifestation autorisée par le Ministère de la Justice mais interdite par le Président, ce ne va pas être facile pour lui.

La question reste donc ouverte : révolution tranquile ou insurrection ?



7 réactions


  • frederic9 (---.---.232.32) 22 février 2007 16:37

    Je connais le Zimbabwe pour y a avoir vécu deux ans au début des années 80, juste après l’indépendance.

    Quelle tristesse de voir la situation aujourd’hui !

    Etes-vous Zimbabwéen ?

    Je pense que Mugabe va tomber et qu’un autre Shona prendra sa place, la seule question est de savoir lequel.


    • koudou 22 février 2007 17:19

      Non, je ne suis pas ZImbabwéien, et j’y suis allé pour la première fois seulement en 2004.

      Mais c’est un pays fantastique, à mon avis le plus beau d’Afrique du fait de ses paysages vraiment très variés, de sa biodiversité et de la densité animale que l’on trouve.

      De plus les Bantous (dont font partie les Shona et les Ndebele qui représentent ensemble plus de 90% de la population) sont traditionnellement accueillants envers les étrangers et le sont toujours malgré la m... dans laquelle ils sont.

      Tant que les choses sont en l’état, on ne peut plus envisager d’y aller si on n’est pas un voyageur un peu expérimenté.

      Mais le Zimbabwe est vraiment une destination à garder en mémoire et dès que les choses seront un peu rentrées dans l’ordre, il vous faudra absolument y aller rapidement (y retourner dans votre cas), car le Zimbabwe va redevenir très rapidement une destination recherchée et les prix augmenteront ...


    • frederic9 (---.---.232.32) 22 février 2007 18:06

      Et vous n’avez pas vu ce pays au début des années 80, lorsque tout fonctionnaient encore.

      Le pays exportait 700.000 tonnes de maïs par an, il y avait encore 280.000 blancs qui faisaient tourner une économie étonnamment diversifiée, qui avait été bâtie dans les années 60 et 70 pour contrer l’embargo international.

      C’est triste devoir ce qui est arrivé, car outre le fait qu’ils sont charmants et accueillants, les Noirs disposaient d’une élite relativement bien formée, en Afrique du Sud, notamment à l’Université Noire du Cap qui est d’un excellent niveau, en Angleterre et en Amérique du Nord (d’ailleurs Mugabe en était un bon exemple, ce type est loin d’être une brêle, il a seulement pêté les plombs et c’est un fin manoeuvrier : il a baisé tout le monde.)

      J’ai encore des amis là-bas, certains ont même été Ministre avant de se faire limoger !!

      Si vous aimez le tourisme dans la région, il faut ABSOLUMENT voir la tombe de Cecil Rhodes à « World’s End » près de Bulawayo, Mana Pools, puis la Montagne de la Table et le Cap des Aiguilles, les vignobles du Cap, le Lesotho, ainsi que le Désert du Kalahari et le delta de l’Okavango au Botswana.

      Il n’y a rien de plus beau que l’Afrique Australe et la vue des kopjes sur les plateaux du High Veld me manque !


  • belladone (---.---.129.223) 22 février 2007 21:19

    Bravo Koudou pour ton article ! Pays si pays si beau, mais dont tout le monde oublie l’existence


  • bernard (---.---.139.223) 25 février 2007 11:56

    1/ en France lorsqu’une personne est en situation difficile et sur simple signalement une enquete est immediatement mise en place pour ameliorer sa situation.Que font les assistantes sociales internationales pour intervenir ? Ah, oui j’oubliais, le sacro-saint de voir de non ingerence. Il faudrait aller en parler à toute cette population qui creve. 2/Les Anglais ne sont ils pas entrain de faire du Zimbabwe un immense camp de concentration comme ils ont su si bien le faire en Afrique du sud durant la guerre anglo-boers ? A croire que les Lord Kitchener ne sont pas tous morts. Moi aussi j’ai la nostalgie du Matopo,des bords du lac Kyle,du resto grec de Masvingo,des ruines de Kami ou de Nalatale. Si revolution il doit y avoir esperons qu’elle se fera dans le calme en epargnant une population deja bien eprouvée


    • koudou 25 février 2007 12:33

      Toutes les aides internationales ont été supprimées, qu’elles soient financières (dont les prêts, crédits etc...) y compris par le FMI. La Grande-Bretagne est effectivement en plein lobbying actif pour faire perdurer cela. Au début de cette année, le gel européen de l’aide a été reconduit de nouveau pour un an.

      Il y a deux exceptions : la Chine et l’Aide Alimentaire.

      La Chine se fout totalement du lobbying des grands bretons et des occidentaux et font ce qu’ils estiment bon pour eux. Donc, ils font du business et ils prêtent de l’argent, y compris au Zimbabwe. Mais si vous ne connaissez la politique de la Chine, je peux vous la résumer en une toute petite phrase : malheur aux faibles. Car la méthode de la nation chinoise n’est pas tendre : des contrats aux conséquences terribles si les emprunteurs ne peuvent pas rembourser et pas vraiment bon marché pour ceux qui tiennent leur engagement. En gros, c’est du pillage pur et simple (comme d’ailleurs ont su le faire les pays occidentaux dont UK et la France à l’époque coloniale) à la sauce d’aujourd’hui. Ce sont les problèmes que l’on commence à voir dans les mines de Zambie appartenant aux chinois (pas de respect des droits de l’homme) ou les problèmes d’environnement graves en particulier avec la déforestation accélérée au Congo (la Chine est le plus gros acheteur de bois précieux). Mais les chinois ont beau jeu de dire que l’occident l’a déjà fait et que eux (les chinois) - au moins - ils payent, ce qui n’a pas toujours été le cas de l’occident.

      L’aide alimentaire arrive au Zimbabwe. Et d’ailleurs, sans l’aide alimentaire, la situation serait encore bien plus grave. Comme elle l’est dans la région des Ndebele (vers Hwange) du fait d’une distribution inégale de cette aide alimentaire par le gouvernement Zimbawéien qui la reçoit (de nouveau, de la resposabilité de Mugabe).

      Oui, c’est vraiment regrettable qu’un peuple si gentil et accueillant dans un pays si extraordinaire en soit réduit à mourir de la faute d’une politique imposée par je ne sais plus quelle aberration.

      Toutes les conneries à faire ont été faites, y compris une poignée de hauts fonctionnaires qui pillent le pays et que Mugabe laisse en place parce que ce sont ceux qui maintiennent Mugabe en place. Pourtant, cet homme n’a pas fait que de conneries dans sa vie. Mais celles qu’il a fait, il les a bien faites et il persiste.


  • Jean (---.---.168.177) 13 mars 2007 15:16

    Je suis passé au Zimbabwe au mois de janvier 2007. J’y étais déjà passé en 2005 et je garde de ce premier voyage un souvenir imperissable de par la beauté du pays et la gentillesse de ces habitants (c’est ça le problème majeur des Zimbabwéens, ils sont trop gentils et se laissent abuser sans broncher par Mugabe et sa clique). Ce second passage m’a laissé une impression bien différente du premier, il m’a semblé que les gens étaient arrivés au bout du rouleau, les problèmes étaient les mêmes qu’un an plus tôt mais que les capacités de résistance atteignaient leurs limites. je me suis d’ailleurs senti beaucoup moins en sécurité, sentant que bientôt on serait prêt à tout pour survivre... Je ne suis donc pas surpris par les derniers évènements et en quelque sorte soulagé que cela bouge enfin, mais j’ai bien peur que cela ne suffise pas à sortir le pays de sa torpeur. La violence n’est jamais souhaitable mais peut-être vaut-il mieux le sacrifice de quelques centaines ou milliers de personnes dans une phase d’agitation politique que la continuation de la situation actuelle où les gens meurent de toute façon, mais en silence et sans espoir... Je ne pense pas que l’après-mugabe puisse déboucher sur une phase de violence à grande échelle, il n’existe en effet pas d’antagonisme au sein du pays comme au Rwanda ou en Irak, je n’ai jamais senti de ressentiment entre Ndebele et Shona mais il faut dire que mes deux visites ont peut-être été trop brèves pour m’en rendre compte. la transition passée, les choses devraient s’améliorer très vite tellement le blocage actuel semble aberrant, le retour d’une partie des fermiers blancs dans le cadre d’une réforme agraire intelligente (profonde mais progressive) permettrait le redémarrage de l’économie (non ce n’est pas aussi incroyable que cela en a l’air, Mugabe a déjà prévu le retour de plusieurs centaines d’entre eux dans les prochaines années, enfin je l’ai lu dans les journaux...) mais il ne faut pas trop tarder, plus le temps passe et plus le retour de la plus grande richesse du pays, le tiers de sa population la plus éduquée, deviendra improbable. L’avenir sera alors prometteur pour ce joyaux africain, il aura surpassé sa crise de transition vers la modernité démocratique (l’équivalent de sa révolution française ou russe, son grand bond en avant...) et connaitra une forte croissance économique et une nette progression des conditions de vie de ses habitants, évolution il est vraie ralentie par l’épidémie de VIH/sida. N’oublions pas que le Zimbabwe tient la place de grand frère de l’Afrique sub-saharienne (taux d’alphabétisation le plus élevé du sous-continent)et que sorti de sa crise d’adolescence, son voisin l’Afrique du Sud pourrait bien y rentrer de plein pied suivant le même schéma. On peut en effet craindre le pire pour ce pays avec l’élection probable de Jacob Zuma en 2009 qui pourrait bien déstabiliser son pays 10 ans plus tard pour rester au pouvoir malgré la constitution qui n’autorise que deux mandats de 5 ans. Faire comme Mugabe, c’est à dire s’en prendre à la minorité blanche et donc déstabiliser l’économie du pays, sera alors tentant pour faire diversion, modifier la constitution et briguer un troisième mandat. L’Afrique du Sud reproduirait alors la même histoire que le Zimbabwe avec 20 ans d’écart entre la prise de pouvoir politique et l’émancipation économique, évolutions inéluctables mais qui, mieux anticipées, auraient pu prendre des chemins moins abrupts avec des énormes souffrances épargnées aux populations. Mais pour les deux pays il est déjà trop tard, pour le Zimbabwe c’est écident, pour l’Afrique du Sud Thabo Mbeki n’a pas eu le courage politique de lancer une véritable réforme agraire, son deuxième mandat touche à sa fin et Mandela ne sera bientôt plus là pour éviter le pire...


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