jeudi 28 février 2019 - par William Kergroach

La Perse reprend sa province irakienne

En géopolitique, les atavismes historiques sont déterminants. Les événements politico-militaires récents, en particulier les volontés des puissances internationales américaines et russes, ont pu faire oublier la force des alliances anciennes. L'empire perse, notamment, a dominé un territoire s'étendant de l'Inde jusqu'à la Méditerranée. L'Irak actuelle, dont le Chiisme est d'ailleurs la religion dominante, faisait partie de cet empire. Son nom même, Erak, vient du persan : le "Bas-Iran". L'Iran et l'Irak se retrouvent donc aujourd'hui, à la faveur du chaos laissé par les puissances occidentales...

Washington a fait éliminer peu honorablement Saddam Hussein, en 2003, pour pouvoir s’emparer du pétrole irakien. C’est chose faite. Mais la prise est fragile. Téhéran reprend le contrôle de sa province irakienne.

Car l’Etat Islamique sunnite, conçu par les officines israéliennes, américaines et saoudiennes, n’a été greffé qu’artificiellement sur l’Irak. Il n’a été soutenu, d’ailleurs, que par l’importation massive de mercenaires étrangers au pays, financés par l’argent des monarchies pétrolières. Les Israéliens et les Américains, autant que les prosélytes wahhabites de Riyad ne sont pas culturellement et religieusement bienvenus en terre chiite. L’Iran et l’Irak, pays de tradition majoritairement chiite, ont, eux, des affinités culturelles et religieuses profondes.

C’est pourquoi l’invasion militaire américaine en Irak, en 2003, a favorisé le rapprochement entre les deux pays, malgré leur affrontement de 1980 à 1988 téléguidé par Washington et Moscou dans le contexte de la Guerre froide.

A partir du piteux retrait des troupes américaines, en 2011, le Premier ministre Nouri al Maliki, soutenu par l'Iran, a mis progressivement les dirigeants sunnites à l’écart, contribuant d’ailleurs à la montée de l’extrémisme sunnite qui offrira une opportunité à la création de l’Etat Islamique. Lorsque ce dernier écrase l’armée irakienne, en 2014, l'Iran reste le seul soutien du gouvernement de Bagdad, soudainement étrangement laissé à lui-même par la communauté internationale… La menace terrifiante de l’Etat Islamiste décide le gouvernement de Bagdad à accepter l'aide de Téhéran. Des milices chiites épaulent alors les forces armées régulières, les empêchant de s’effondrer.

Aujourd’hui, l’Irak est dévasté, la situation humanitaire est désastreuse, tout le pays est à reconstruire. Les Américains, responsables de cette catastrophe, ne sont présents qu’autour des puits de pétrole. L’Irak se tourne donc vers la Chine et la Turquie. En mars 2018, Téhéran a consenti un prêt de trois milliards de dollars pour aider à la reconstruction de l’Irak. L’idée de Pékin, Moscou et Téhéran est de faire de l’Irak un relais entre la Chine et la mer Méditerranée, dans ce que l’on appelle la « Nouvelle Route de la Soie ».

Les principaux politiciens chiites d’Irak s’étaient réfugiés en Iran au début des années 1980, pendant la guerre Iran-Irak, pour fuir les représailles du régime à dominante sunnite de Saddam Hussein. Ces politiciens et leurs partis sont maintenant revenus dans la vie politique irakienne, tels le Conseil suprême islamique d'Irak (ISCI), formé à Téhéran en 1982 qui a remporté 29 sièges sur 328 aux dernières élections législatives. L’organisation Badr, ancienne milice de l’ISCI, a, elle, remporté 22 sièges au parlement. Un dirigeant de Badr a été ministre des Transports, un autre est devenu ministre de l’Intérieur.

Il y a également Muqtada al Sadr, religieux chiite, qui a dirigé « l’armée du Mahdi » dans les années 2000. Revenu en Irak en 2011, après un exil de trois ans à Téhéran, son parti a remporté 34 sièges en 2014.

Enfin et surtout, le parti Dawa, exilé en Iran dans les années 1980, a apporté deux premiers ministres au pays, Nouri al Maliki et Haidar al Abadi. Dawa a remporté 92 sièges lors du scrutin de 2014.

L’influence de ces groupes, sans compter les deux principaux partis kurdes, avec lesquels L’Iran entretient également des relations étroites, a grandement favorisé le rapprochement de Bagdad et de Téhéran. La tentative iranienne de séduction des populations d’Irak est relayée depuis 2003, par des chaînes de télévision iraniennes, comme Al-Alam, qui diffusent 24 heures sur 24 depuis la frontière, avec même des émetteurs terrestres pour joindre les personnes sans antennes paraboliques. Ces stations de télévision parrainées par Téhéran dépeignent la République islamique iranienne comme le protecteur de l'Irak.

Dans les années 2000, l’Iran a également fourni un soutien à plusieurs milices, telles que « l’armée du Mahdi » et l’organisation Badr, qui ont attaqué les forces américaines et la coalition. Leur modèle était celui du Hezbollah : former, équiper et financer des milices locales fidèles à l'Iran. Parmi ces milices, Asaib Ahl al Haq (AAH), une des milices les plus puissantes d’Irak, contrôle aujourd’hui plusieurs cliniques médicales et des écoles religieuses en Irak.

Certains de ces groupes ont prêté ouvertement allégeance au guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei. Les sunnites irakiens, autant que Jérusalem, Riyad et Washington, sont inquiets de voir émerger une Garde révolutionnaire iranienne en Irak ; même si l’influence religieuse de l’Iran en Irak est combattue par le Grand Ayatollah irakien Ali Sistani, qui compte des millions d'adeptes dans le monde et soutient la démocratie plurielle irakienne.

 

Depuis 2014, l'Iran est très présent dans quatre capitales arabes : Bagdad, Beyrouth, Damas et Sanaa. Washington, Jérusalem et leurs alliés politiques ne voient pas d’un très bon œil le rayonnement de Téhéran dans la région. Ils s’efforcent donc de déprécier, à travers les médias occidentaux qu’ils contrôlent, le rôle de Téhéran. Mais, à la vérité, leur bilan et leurs intentions ne sont guère fameux. Il leur manque quelques centaines d’années d’amitié et de coopération économiques et politiques pour pouvoir se mesurer.

Dans l’ombre de Téhéran, les mouvements des empires russes, chinois et néo-ottomans sont également très intéressants à observer. Il semble que, décidément, l’antique héritage des alliances millénaires reste déterminant en géopolitique.

https://williamkergroach.blogspot.com/

 



3 réactions


Réagir