mardi 31 octobre 2017 - par
Que dirait-on de la Russie si son gouvernement redécoupait de manière aussi arbitraire et caricaturale les circonscriptions de manière à maximiser le nombre de sièges obtenus en entassant les électeurs de l’opposition dans des ensembles aux formes improbables, où elle gagnerait avec 70 à 80% des voix, tout en se construisant des sièges avec une marge raisonnable ? Poutine serait traité de dictateur et beaucoup de belles âmes le condamneraient. Mais pourquoi ne s’élèvent-ils pas contre le gerrymandering étasunien, une pratique qui remonte à 1811, contraction du nom du gouverneur Gerry et de la salamandre, dont la forme évoque celle d’une circonscription conçue de la sorte.
Le cauchemar étasunien, partie 6 : une démocratie malade
Parmi tous les travers des Etats-Unis, l’état de sa démocratie n’est pas le moins préoccupant. Outre l’effarante palinodie démocratique de l’élection de Georges Bush en 2000, on peut évoquer le poids trop important de l’argent, le rôle assez détestable des lobbys, mais aussi les pratiques profondément autocratiques de redécoupage des circonscriptions.
Une autocratie sous influence ?
Que dirait-on de la Russie si son gouvernement redécoupait de manière aussi arbitraire et caricaturale les circonscriptions de manière à maximiser le nombre de sièges obtenus en entassant les électeurs de l’opposition dans des ensembles aux formes improbables, où elle gagnerait avec 70 à 80% des voix, tout en se construisant des sièges avec une marge raisonnable ? Poutine serait traité de dictateur et beaucoup de belles âmes le condamneraient. Mais pourquoi ne s’élèvent-ils pas contre le gerrymandering étasunien, une pratique qui remonte à 1811, contraction du nom du gouverneur Gerry et de la salamandre, dont la forme évoque celle d’une circonscription conçue de la sorte.
En effet, aux Etats-Unis, quand un parti est au pouvoir, il redessine les circonscriptions pour maximiser son nombre d’élus et les partis ne reculent devant aucune extravagance pour arriver à leurs fins, n’hésitant pas à changer radicalement les frontières électorales et à adopter des formes extravagantes. Le principe consiste à entasser ses opposants dans des circonscriptions homogènes et à se construire des majorités sensibles mais pas excessives ailleurs. Résultat, avec un même nombre de voix que l’autre parti, celui qui a fait le découpage peut obtenir deux fois plus de sièges, comme le montre cet exemple du Wisconsin rapporté par The Economist qui parle « d’élus qui choisissent leurs électeurs ».
Ces pratiques dignes de républiques bananières sont aujourd’hui sous le feu de la Cour Suprême, quelques états, notamment la Californie, commençant à remettre en question cette pratique démocratiquement détestable. Mais ce n’est pas la seule maladie dont souffre la démocratie étasunienne, droguée à l’argent dans des proportions effarantes : la campagne de 2016 a coûté pas moins de 3 milliards de dollars, quand l’élection française de 2012 en a coûté 66 millions et que le record européen, les législatives britanniques de 2015, n’ont coûté que 87 millions, près de 10 fois moins à taille comparable ! Une tendance qui s’accentue, le cap du milliard ayant seulement été dépassé en 2008.
La Cour Suprême a malheureusement accentué le phénomène en levant tout plafond aux dépenses des PAC, des comités d’actions politiques privés, d’autant plus que Barack Obama a laissé faire, alors que son adversaire de 2008, John McCain, souhaitait au contraire réformer le système. Le problème est que tout cet argent n’est pas désintéressé. The Economist soulignait il y a plus de trois ans que « quand il s’agit de mettre en place une politique, les opinions des entreprises et des riches semblent davantage compter » en s’appuyant sur une étude statistique reposant sur 1779 enquêtes d’opinion aux Etats-Unis, une évolution soulignée par Joseph Stiglitz dans « Le triomphe des inégalités ».
La bible des élites globalisées affirmait alors « le danger, c’est un cercle vicieux où les hommes politiques adoptent des politiques qui favorisent les plus riches ; ce qui donne à ces derniers plus d’argent avec lequel ils peuvent faire du lobbying auprès des politiques, ce qui aboutit à des lois qui leur sont plus favorables, et ainsi de suite ». Comment ne pas faire le lien avec le lourd dossier Monsanto, qui, comme en Europe, obtient un large soutien des autorités aux Etats-Unis. On peut évoquer le Monsanto Protecton Act, qui la protège même en cas de contestation judiciaire, les voyages payés par l’Etat pour convaincre des officiels ou du trafic d’influence dans les agences de régulation…
Quel meilleur symptôme du mauvais état de la démocratie étasunienne que le niveau de participation ? N’est-il pas inquiétant que près de la moitié des citoyens ne se déplacent pas pour élire leur président, sans parler des manœuvres de certains pour la limiter ? Voilà qui en dit sur les dysfonctionnements de ce pays qui voulait être un modèle et qui devient de plus en plus un contre-modèle.