jeudi 5 octobre 2006 - par jidejeandominique

Le Hezbollah prend de vitesse les ONG dans leurs distributions

La dernière guerre au Liban entraîna une vague immédiate de solidarité internationale, qui se traduisit notamment par l’envoi de produits de première nécessité. Le cessez-le-feu conclu, les ONG chargées de dispenser cette aide d’urgence font face à des crédits et à des stocks trop nombreux, alors que le Hezbollah s’est, depuis longtemps, et avec efficacité, porté au secours des victimes.

Vendredi 1er septembre, région de Marjeyoun-Hassbaya dans le Sud du Liban. Nous sommes dans une salle de la section locale de Caritas Liban. Une réunion importante se tient entre les responsables locaux de cet organisme humanitaire catholique et l’équipe du Centre des migrants de Caritas Liban, venue la veille de Beyrouth pour distribuer des colis alimentaires et des produits d’hygiène aux habitants des villages de la région. La veille, 350 kits ont été distribués aux 1200 familles du village de Ebl Es SakiSaki, composé pour 60% de Druzes et 40% de chrétiens. La discussion principale porte sur la pertinence des distributions dans cette partie du Liban, alors que le programme initial prévoyait de cibler les populations de la Bekaa Ouest. Tous les membres de l’équipe du Centre des migrants s’étaient rendu compte que les familles, toujours contentes de recevoir des denrées, ne savaient pourtant plus trop qu’en faire, et songeaient même à les vendre, car elles recevaient, depuis plusieurs semaines, des aides similaires venant de toutes sortes d’organismes. Enquête faite, des distributions récentes de produits alimentaires et d’hygiène avaient été effectuées par CRS (Caritas Etats-Unis), Mercy Corps, la Croix-Rouge internationale, le Croissant rouge de deux pays différents, Médecins du monde, Wordvision, les Eglises protestante et orthodoxe, le Hezbollah... Les habitants de cette région étaient à ce point saturés de denrées qu’ils désertaient les commerces locaux, qui risquaient de fermer leurs rideaux. Le président de la municipalité s’en était vivement inquiété devant moi. Bref, raisonnablement, il ne fallait plus continuer de délivrer ces colis dans cette région, et les réserver pour les habitants de la Bekaa ou du Nord, dont les villages n’avaient certes pas été bombardés, mais qui subissaient durement les conséquences économiques de la guerre.

Continuez de distribuer

L’équipe locale de Caritas, menée par un prêtre de la paroisse, se rangea à cette analyse. Joëlle, la coordinatrice de ce programme, tenta de joindre son siège de Beyrouth par téléphone. L’attente dura toute la matinée. La réponse de la directrice du Centre des migrants fut sans appel : « Continuez de distribuer dans la région ». Incompréhension et résignation de tous, mais que pouvaient faire d’autre ces quatre jeunes assistantes sociales, sauf à risquer de perdre leur emploi ?

L’entêtement du Centre des migrants à poursuivre une distribution de colis à une population qui n’en avait plus besoin, alors qu’ils auraient été si utiles dans d’autres régions du pays distantes d’à peine 150 km, ne s’explique pas par un coup de tête de sa directrice. Vraisemblablement, au même moment, la majorité des autres ONG travaillant dans ce même domaine d’activité avaient pris des décisions identiques. On pouvait d’ailleurs croiser leurs véhicules filant sur les routes de la région, et observer leurs colis déposés à la hâte dans quelques salles dépendant des municipalités. Aussi surprenant - et choquant - que cela puisse paraître pour un non-initié à la gestion des situations d’urgence par les organismes humanitaires, celles-ci agissent en fonction de deux impératifs : se débarrasser au plus vite de leurs stocks, et « planter leur drapeau » sur le terrain. Je m’explique.

Le cessez-le-feu a surpris tout le monde, au moins autant que le déclenchement des hostilités. Dans l’urgence, les crédits ont été ouverts, les contrats avec les principaux bailleurs de fonds (comme ECHO, l’organisme humanitaire de l’Union européenne) signés, les denrées acheminées ; rien d’extraordinaire, rien d’anormal non plus. Or, après la fin des combats, on s’est vite aperçu que les besoins étaient heureusement bien moins importants qu’envisagé. Par ailleurs, et même si la réactivité des ONG fut extrêmement rapide, le Hezbollah les devança dans beaucoup de domaines. Dans tous les villages touchés par les bombardements, les familles sinistrées furent immédiatement prises en charge, chacune d’elles recevant 12 000 $ à titre provisoire, pour tenir le coup et se reloger pendant une année. Certes, il restait des laissés-pour-compte de ces opérations, mais on ne pouvait plus considérer la situation de la majeure partie des familles des villages bombardés comme critique. Peu importe, décida la directrice du Centre des migrants, et avec elle un grand nombre d’ONG, il faut continuer de distribuer dans le Sud. Pourquoi ?

Marquer ses concurrents à la culotte

Pour « planter son drapeau », c’est-à-dire pour assurer sa propre visibilité. Les grandes ONG internationales sont en compétition les unes avec les autres sur tous les terrains de guerre et de catastrophe du monde. Elles doivent se faire connaître des bailleurs de fonds et de leurs donateurs. Ce n’est pas en distribuant leurs denrées dans la plaine de la Bekaa qu’elles parviendront à cette fin. Le monde entier, à travers les médias, tourne les yeux vers le Liban Sud, nulle part ailleurs dans le pays, « where the action is » ! Chacun veut non seulement être présent sur ce territoire, mais aussi « marquer à la culotte » ses concurrents. Une attitude classique, mais particulièrement flagrante dans un pays comme le Liban, où les groupes religieux sont nombreux. Dans cette perspective, on comprend que le catholique Centre des migrants de Caritas Liban ait décidé de poursuivre ses distributions dans une région déjà saturée de cette forme d’aide, simplement pour qu’on ne puisse pas dire que les catholiques en faisaient moins que les protestants ou les musulmans.

Loin de moi pourtant l’idée d’excuser les personnes qui ont pris de telles décisions. Le Centre des migrants, comme d’autres organismes, oublie que les colis qu’elle distribue ne sont pas financés par ses ressources propres ; contre rémunération, il se charge de transmettre un don effectué par d’autres, en l’occurrence et en dernier ressort les contribuables des pays européens ou américains. Je crains fort que si ceux-ci apprennent que leurs efforts servaient plus à régler des conflits de visibilité entre ONG qu’à secourir les populations les plus affligées, ils ne soient très surpris.



13 réactions


  • (---.---.74.206) 5 octobre 2006 11:58

    tres bon article a raprocher d’un autre ou l’on voit que du cote saoudien il se passe aussi qq chose ; d’etat a etat .

    www.lorient-lejour.com.lb/page.aspx ?page=article&id=323272


  • Internaute (---.---.21.95) 5 octobre 2006 13:47

    Trés bon article. Etre une ONG, c’est un business ou une oeuvre de charité ?

    Il y a vingt ans j’ai vu dans un pays du tiers-monde des boîtes de lait en poudre sur les rayons d’une chaîne de marchés populaire ayant pour principal actionnaire le président de la république. Qu’elle n’a pas été ma surprise de voir le sceau de l’UNICEF sur les boîtes. J’imaginais tous ces gens certains d’avoir acquis une place au paradis en achetant les cartes de noël de l’Unicef.


    • jidejeandominique jidejeandominique 5 octobre 2006 14:19

      Il est en effet très fréquent de retrouver sur les marchés des produits distribués par les ONG ou les agences de l’ONU. Cette situation peut résulter toutefois de processus divers. Par exemple, j’ai dirigé une très grosse opération de distribution de « kits familiaux » au Kosovo, juste avant l’hiver 1999-2000 ; pour des motifs techniques, il aurait été impossible d’adapter ces kits aux compositions exactes des 60000 familles bénéficiaires (nombre, âge et sexe des enfants) ; nous savions donc parfaitement, bien qu’avoir composé nos kits avec le plus de rigueur possible, que des trocs s’ensuivraient, et pourquoi pas des mises sur le marché. Ce n’est pas trop grave dans la mesure où ce que nous souhaitions c’est d’aider les plus vulnérables, que ce soit avec les produits de nos kits (vêtements, hygiène...) ou avec l’argent qu’ils obtiennent par leur revente. Ce que je dénonce, et que vous semblez dénoncer également, c’est la distribution à des personnes qui n’en ont pas besoin, au détriment naturellement de celles qui en auraient vraiment besoin. Ce que je dénonce également, c’est cette course folle à la visibilité, qui oppose les ONG les unes aux autres, malheureusement au détriment des populations meurtries.


  • mjmb (---.---.167.245) 5 octobre 2006 14:06

    Très bon article, bipolaire :

    - Une bonne note pour l’avenir du Liban : il y a dans ce pays des gens capables,

    - Et on se retrouve une seconde fois face à la gabegie des ONG. Souvenons nous du tsunami indonésien. Un an après, les ONG se sont apercues que les dons excédaient les capacités d’utilisation locale.


  • citadelle (---.---.1.224) 5 octobre 2006 17:27

    Pourquoi ne pas en donner aux populations d’autres pays qui en ont besoin s’il y en a trop ?


  • Paul M (---.---.120.209) 5 octobre 2006 17:50

    @L’auteur

    Article très intéressant.

    La compétition entre les ONG est sans doute représentative de leurs arrière-pensées en terme de « recrutement ». C’est, je crois, inévitable malheureusement. Les donateurs aiment bien « voir » leurs dons et il faut donc le leur montrer. La répartition des denrées alimentaires en est retardée dans les endroits non médiatisés mais je suppose (espère) que le surplus arrive tôt ou tard à ceux qui en ont le plus besoin.


    • jidejeandominique jidejeandominique 5 octobre 2006 17:59

      Merci de vos compliments. Il est en effet légitime que les bailleurs de fonds (qui ne sont pas nécessairement les donateurs, c’est à dire ceux qui sortent l’argent de leur poche) souhaitent voir l’utilisation qui est faite de leurs dons. Ils ont eux-mêmes des comptes à rendre.


  • (---.---.155.248) 10 octobre 2006 10:00

    dimanche 8 octobre 2006, 16h15 Au Liban sud, la guerre semble avoir rapproché chrétiens et musulmans Par Hervé ASQUIN

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    RMEICH (AFP) - Loin de diviser chrétiens et musulmans du Liban sud, les 34 jours de conflit entre le Hezbollah et Israël semblent avoir créé, au-delà des divergences politiques, une nouvelle solidarité entre les deux communautés.

    Dès le premier jour de la guerre, le 12 juillet, le village chrétien de Rmeich a ouvert toutes grandes les portes de ses maisons, églises, écoles et couvents aux habitants des bourgades chiites voisines. Au plus fort des hostilités, 14.000 réfugiés ont été recueillis et secourus par les 6.000 habitants de Rmeich.

    « Nous avons ressenti le même danger, la même terreur », raconte Georgette Amil, mère de six enfants et ouvrière dans la principale activité du village, la production de tabac. « Ils étaient 50 ici, dans la maison de ma mère ».

    Après une dizaine de jours, les vivres ont commencé à manquer. « Il n’y avait plus que du blé que nous essayions de transformer en farine avec des moulins à café », se souvient-elle.

    Rmeich n’a pas été totalement épargné par les bombardements israéliens. « Une nuit, 122 obus sont tombés ici, faisant trois morts et quatre blessés, des réfugiés de Aïta ach-Chaab, malheureusement », raconte le curé de la paroisse, le père Najib El Amil. Une douzaine de maisons ont été détruites.

    Aux alentours cependant, les villages chiites sont en ruines. Sept semaines après le cessez-le feu, Maroun al-Ras, Bint Jbeil, Aïta ach-Chaab, Yaroun et Aïtaroun vivent encore dans le vacarme des pelleteuses et la poussière des décombres.

    A Aïta ach-Chaab comme ailleurs, les chiites vouent une reconnaissance sans bornes à leurs voisins chrétiens. « Ils nous ont accueillis et nous étions comme chez nous », explique l’épicier, Ali Hassan Rahmé, à l’unisson des autres villageois. « Les relations sont encore plus amicales et chaleureuses qu’auparavant », enchaîne-t-il.

    Interrogé sur ses convictions politiques, l’épicier répond, après un temps de réflexion : « Vous savez, nous sommes tous pour le Hezbollah ici ».

    La milice chiite libanaise est au coeur du débat politique au Liban, accusée par certains, chrétiens mais aussi musulmans, d’avoir provoqué la riposte israélienne en enlevant le 12 juillet deux soldats de Tsahal.

    La ligne de partage entre alliés et adversaires du parti de Dieu doit cependant davantage à la politique qu’à la religion, soulignent les communautés chrétiennes et musulmanes du Liban sud, soucieuses d’afficher leur unité.

    Epaulé par la Syrie et l’Iran, le Hezbollah bénéficie du soutien du président du parlement libanais, Nabih Berri, chef du mouvement chiite Amal, mais aussi du principal chef de l’opposition, le général chrétien Michel Aoun.

    « Nous ne sommes pas toujours d’accord au niveau politique mais il y a des chrétiens qui partagent la même vision que nous concernant Israël », constate l’imam d’Aïta ach-Chaab, Ali Rhaiel.

    Comme beaucoup d’autres, sa famille a rejoint Rmeich pendant les hostilités. « Au niveau humanitaire surtout, les relations sont devenues plus fortes entre les chrétiens et les musulmans de la région », dit-il. « Si on laisse les Libanais tranquilles, ils n’ont aucune raison de haïr quiconque, ni Georges (le chrétien), ni Ali (le musulman) ».

    Le curé de Rmeich, qu’il rencontre depuis toujours le temps d’un repas, à l’heure du thé ou pour fumer le narguilé, est du même avis : « Il n’y a jamais eu de guerre entre les chrétiens et les musulmans du Liban sud ; en 1975, la guerre civile a d’abord opposé les chrétiens et les Palestiniens ».

    Nul dans la région ne tient à réveiller les démons du passé, telle cette Armée du Liban sud (ALS) composée de chrétiens mais aussi de chiites et de druzes, alliée à Israël contre un ennemi commun, l’OLP de Yasser Arafat.

    Sans détours, le prêtre assène plutôt : « Les Israéliens sont nos ennemis ».

    au liban sud la guerre semble avoir rapproche chretiens et musulmans


  • Gubal 7000 (---.---.24.3) 27 octobre 2006 07:26

    Il est vrai que l’afflux des aides (parfois non sollicitées) tend à dénaturer la mission des associations locales de solidarité. Et pourtant, nombreux sont ceux qui ont été témoins de la formidable mobiisation du secteur associatif libanais (dont la Caritas Liban) pendant la guerre (voir à ce sujet : http://caritas-liban.blogspot.com)


    • jidejeandominique jidejeandominique 9 mars 2007 10:06

      Vous avez raison. Ce que je dénonce, c’est plus un système qu’une organisation en particulier. Je ne souhaite pas porter l’opprobe sur le mouvement caritas pour lequel j’ai par ailleurs beaucoup d’admiration.


  • christian (---.---.89.250) 17 février 2007 23:26

    bonjour messieurs les dirigeant et responsable des publication chretiennes .. je suis un jeune ivoirien qui vous prie par les compassion du christ . car la bible dit demande et l’ on vous donnera .. je vous prie de me fais parvenir un portable cellulaire. carje suis issue d’ une famille pauvre et mes moyens ne me permettent pas et je ne peut pas aller voler car le seigneur Jesus christne me permet pas .. la bible dit que le juste vivra par la foi .. maisj’ ai la foi car la foi est une ferme assurance des choses qu’ on espere et une demonstra tion de celle qu’on voir pas

    messieurs veuillez agreer mes sentiments les plus sinceres.................................................. que Dieu vous benisse...... mon nom est yoboue n’guessan christian

    mon adresse est 21bp277abidjan21.......


  • Made in NéoCONS (---.---.71.248) 9 mars 2007 09:58

    une petite remarque pour tous ceux qui ont affirmé que le régime sioniste n’a fait cette guerre contre le Liban uniquement pour récupérer les fameux soldats capturés par le Hezbollah :

    Israël avait préparé la guerre au Liban 4 mois avant le début


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