mercredi 3 août 2005 - par Michel Monette

Le système d’aide au développement complice du clientélisme ?

Affaiblir les États qui reçoivent de l’aide a des effets inattendus

Accusé trop facilement de nuire au développement , l’État joue pourtant un rôle essentiel dans les économies développées. Ce n’est pas le manque de ressources qui maintien trop de pays dans la pauvreté, mais plutôt la faiblesse ou la quasi absence de l’État. Le système d’aide au développement en favorisant la diminution des pouvoirs centraux de l’État, n’aurait-il pas engendré une situation favorable à la montée du clientélisme au détriment de la modernisation des administrations publiques ?

Une des conséquences de la faiblesse de l’État est précisément l’existence d’un fort clientélisme, là où les institutions politiques, administratives et judiciaires n’arrivent pas à jouer correctement leurs rôles respectifs.

Selon la définition qu’en donne Transparency International, « le clientélisme consiste, pour le détenteur d’une autorité à accorder des avantages indus pour fidéliser des personnes et en faire ses obligés. » (Combattre la Corruption - Enjeux et persectives. Glossaire.)

Trop de systèmes clientélistes subsistent dans trop de pays avec la complicité de pays et d’organisations internationales qui pourtant les aident généreusement.

Aide au développement et clientélisme

Paru en 2000, un ouvrage collectif portant sur les courtiers en développement de l’Afrique de l’Ouest fait un lien direct entre l’aide au développement et l’ancrage de structures clientélistes.

Les auteurs se sont penchés sur le rôle de médiation et de courtage de ces interlocuteurs locaux au sein d’opérations de développement financées par l’aide extérieure et qui sont à l’origine de ce phénomène. Ceux-ci ont repris le rôle que les interprètes, chefs de cantons et chefs de villages ont joué durant la colonisation.

Comme l’écrit Claude Freud, à l’occasion de la recension de l’ouvrage dans les Cahiers d’études africaines, ces « courtiers du développement filtrent savamment les aides et les financements selon des logiques redistributives de caractère clientéliste. »

L’ouvrage va jusqu’à affirmer en introduction que les relations clientélistes - qui affaiblissent les États ou qui sont nées du fait de la faiblesse des États - ne sont pas un héritage du passé, mais plutôt une conséquence d’un modèle de développement économique dans lequel les transferts de fonds d’aide jouent un rôle capital.

Le courtage en développement est un phénomène particulièrement présent en Afrique, précisément là où les administrations publiques centrales ont été les plus affaiblies par les politiques d’ajustement structurel.

Un clientélisme favorisé par l’affaiblissement des États

On met beaucoup l’accent sur le clientélisme politique dont profite des politiciens peu scrupuleux des pays qui reçoivent de l’aide au développement.

Il est vrai que certains se sont constitués des fortunes en détournant l’aide vers leurs comptes bancaires personnels.

On peut toutefois se demander si l’habitude prise par les donateurs bilatéraux ou multilatéraux, de même que les ONG, malgré elles il faut bien l’avouer, de court-circuité l’État au nom d’une coopération décentralisée, n’est pas à la longue tout aussi dommageable que la situation antérieure qui a enrichi une couche de privilégiés du pouvoir central.

Au nom de la bonne gouvernance, on a volontairement affaibli les États que l’on disait incapables d’assumer leur rôle dans le développement.

On s’est même servi, nous disent Isabelle Biagiotti et Patrick Quantin des « nombreuses études africanistes qui, au cours des années 1980, ont mis en évidence la limitation pratique du contrôle de l’Etat en Afrique et les stratégies de contournement » (Les bailleurs de fonds, la conditionnalité politique et la promotion de la gouvernance en Afrique, page 3).

Il faut voir, par exemple, comment les institutions financières internationales ont imposées dans le domaine agricole

un modèle de développement décentralisé au nom de la bonne gouvernance et de l’amélioration de l’offre de services aux populations.

N’a-t-on pas ainsi fait des États décentralisés selon le bon vouloir de la communauté internationale de véritables eunuques du développement ?

La question se pose.




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