vendredi 10 janvier 2020 - par Sylvain Rakotoarison

Les 100 ans de la Société des Nations (SDN)

« Pas d’harmonie sans l’ordre, pas d’ordre sans la paix, pas de paix sans la liberté, pas de liberté sans la justice. » (Léon Bourgeois, 1909).



Hommage à une grande dame. Ah, c’était l’objet de dérision, de moquerie, on avait bien ri de la SDN, cette Société des Nations si impuissante à résister aux flots des populismes et des extrémismes. Même les enfants connaissaient ce machin grâce à "Tintin et le Lotus bleu" dans lequel on voit le représentant du Japon quitter avec colère la SDN (j’ai mis au passé car je ne sais plus si les enfants lisent encore vraiment Tintin de nos jours).

Née des ruines de la Première Guerre mondiale, la Société des Nations est née il y a cent ans, le 10 janvier 1920. Elle est l’ancêtre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui lui a succédé après la Seconde Guerre mondiale. Le fait qu’elle n’a pas empêché l’éclatement de cette Seconde Guerre mondiale a placé la SDN dans les oubliettes de l’Histoire, dans la catégorie des "Belles idées", pas loin du tiroir "Utopies du XXe siècle".

Paradoxalement, son concept fut présenté par un Président des États-Unis, c’était en effet le quatorzième des "Quatorze points" énoncés devant le Congrès américain le 8 janvier 1918 par le Président Woodrow Wilson qui fut à la base de la SDN : « Une association générale des nations doit être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégrité territoriale aux petits comme aux grands États. ».

La création de la SDN fut ainsi incluse dans le Traité de Versailles signé le 28 juin 1919, après que ce choix fut validé le 25 janvier 1919 par les participants à la conférence de paix (présidée par Clemenceau). SDN, en anglais, se dit : "League of Nations" et "Volkerbund" en allemand. On aurait pu aussi l’appeler la communauté paisible des nations…

Mais le Sénat américain a refusé deux fois de ratifier ce traité (le 19 novembre 1919 et le 19 mars 1920), si bien que les États-Unis n’ont jamais été un membre de la SDN. Le siège fut choisi le 28 avril 1919 à Genève, ville internationale dans un pays neutre, la Suisse. Cette ville était déjà le siège de Conférences mondiales pour la paix au XIXe siècle.

L’idée avait germé dès 1915 aux États-Unis à la suite de l’échec des conférences de paix de La Haye (sa troisième aurait dû se dérouler en 1915 et n’avait pu prévenir la guerre), et Woodrow Wilson restait convaincu que les causes de la Première Guerre mondiale étaient la conséquence directe des diplomaties secrètes. Organiser les relations internationales lui paraissait ainsi un impératif pour la paix.

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Un autre père de la SDN fut le Français Léon Bourgeois (1851-1925), qui fut un homme politique radical, plusieurs fois ministre et même chef du gouvernement du 1er novembre 1895 au 22 avril 1896, et qui a eu l’occasion de présider chacune des deux assemblées parlementaires. Il fut le délégué de la France aux deux Conférences de la paix à La Haye en 1899 et en 1907 (qu’il a présidées) et il avait théorisé durant ces années d’avant-guerre l’idée d’un rassemblement des nations avec deux notions : le désarmement et l’arbitrage pour régler pacifiquement un conflit. Il fut d’ailleurs lauréat du Prix Nobel de la Paix en 1920 pour sa contribution à la création de la SDN (Woodrow Wilson fut lui aussi lauréat du Prix Nobel de la Paix en 1919 pour la même raison, la création de la SDN).

La mission centrale de la Société des Nations fut de préserver la paix mondiale en résolvant les conflits par la négociation et l’arbitrage. Le français et l’anglais furent les deux langues de travail de la SDN à Genève. La Chartre de la SDN (Pacte de la Société des Nations) fut rédigée du 3 février 1919 au 11 avril 1919 (au Crillon à Paris) et fut signée le 28 juin 1919, à l’origine par 45 États dont 26 non européens. Ce nombre est monté jusqu’à 57. Trois objectifs : l’abolition de la diplomatie secrète, le respect du droit international et l’arbitrage comme méthode de résolution des conflits. La mise en application fut fixée au 10 janvier 1920. Il y a eu aussi l’attribution de "mandats", principalement à la France et au Royaume-Uni pour des territoires de l’ancien Empire ottoman et des anciennes colonies allemandes. Le partage du Proche-Orient fut le germe d’autres conflits après la Seconde Guerre mondiale (Liban, Syrie, Irak, Palestine, etc.).


Cette Chartre commence ainsi : « Considérant que, pour développer la coopération entre les nations et pour leur garantir la paix et la sûreté, il importe d’accepter certaines obligations de ne pas recourir à la guerre, d’entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l’honneur, d’observer rigoureusement les prescriptions du droit international, reconnues désormais comme règle de conduite effective des gouvernements, de faire régner la justice et de respecter scrupuleusement toutes les obligations des traités dans les rapports mutuels des peuples organisés, adoptent le présent pacte qui institue la Société des Nations. ».

La SDN fut composée de l’Assemblée qui réunit tous les représentants des États membres, le Conseil qui est constitué par cinq membres permanents (le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Japon et la Chine ; la République de Weimar, qui était l’Allemagne d’entre-deux-guerres, fut le sixième membre permanent du Conseil le 8 septembre 1926) et neuf autres non permanents désignés par l’Assemblée (à l’origine, entre 1922 et 1926, il n’y a eu que six membres non permanents), du Secrétariat dirigé par le Secrétaire Général, qui dirige le personnel de la SDN et qui a une fonction exécutive (en 1930, la SDN employait 670 personnes de 51 États), enfin la Cour permanente internationale de justice de La Haye (créée en 1922) pour juger des affaires à l’issue d’une guerre (cette cour avait été pensée aux conférences de La Haye de 1899 et 1907).

Comme on le voit, les institutions de l’ONU ont été calquées sur celles de la SDN. C’était la conception française qui privilégiait la création d’organes et de structures, tandis que la conception anglo-saxonne préférait des cadres plus informels.

La première réunion de la SDN a eu lieu le 10 janvier 1920 à Londres et a ratifié le Traité de Versailles. La première séance de l’Assemblée générale de la SDN a eu lieu le 15 novembre 1920 à Genève avec 41 membres. Le nombre de membres a atteint 60 du 28 septembre 1934 au 26 mars 1935. Léon Bourgeois présida la première réunion du Conseil de la SDN le 16 janvier 1920 à Paris, ainsi que celle du 13 mars 1920 à Paris, celle des 9 au 11 avril 1929 à Paris et celle des 16 au 20 septembre 1920 à Paris.

D’autres réunions furent présidées par des Français lorsque le conseil était réuni à Paris ou à Genève, en particulier René Viviani du 29 janvier 1923 au 3 février 1923 à Paris, Paul Painlevé du 2 au 28 septembre 1925 à Genève, Aristide Briand du 26 au 30 octobre 1925 à Paris et du 10 au 15 décembre 1928 à Lugano, et plus tard encore, Joseph Paul-Boncour, André Tardieu et Yvon Delbos. Léon Bourgeois présida aussi l’Assemblée générale de la SDN en 1920 (ce fut le premier Président de cette assemblée), généralement le président change à chaque rentrée de septembre (comme pour l’ONU plus tard). En tout, il y a eu 107 sessions publiques entre 1920 et 1939.

Un autre Français très impliqué dans la SDN fut le deuxième Secrétaire Général de la SDN (il y en a eu seulement trois en tout), le diplomate Joseph Avenol (1879-1952), en fonction du 3 juillet 1933 au 31 août 1940, dont le nom n’a pas franchi les barrières de la postérité parce qu’il était partisan de la conciliation avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, puis, il était favorable au régime de Vichy. Sa gestion fut pitoyable (après ses fonctions à la SDN, il proposa d’intégrer le gouvernement de Vichy, ce qui lui fut refusé, puis, en 1943, il s’exila prudemment en Suisse où il séjourna jusqu’à sa mort).

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La composition de la SDN a souvent changé, en fonction du retrait ou du retour de certains pays. Le 27 mars 133, le Japon a claqué la porte de la SDN après la condamnation de l’invasion de la Mandchourie, l’Allemagne nazie a fait de même le 21 octobre 1933, l’Italie fasciste le 11 décembre 1937, ces trois membres étant membres permanents du Conseil. L’URSS a adhéré le 18 septembre 1934 mais en fut exclue le 14 décembre 1939. Le dernier État à avoir adhéré fut l’Égypte le 26 mai 1937. La SDN fut officiellement dissoute le 20 avril 1946.

La réputation de la SDN reste mauvaise en raison de son incapacité à empêcher la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, il y a eu quelques réussites (certains problèmes ont été résolus grâce à la SDN). La principale source d’impuissance fut qu’il fallait l’unanimité pour prendre une décision (l’ONU reste dans une règle majoritaire avec droit de veto pour les membres permanents, ce qui finalement, revient presque au même). Une autre faille a été que la SDN fermait les yeux sur les décisions des grandes puissances (y compris la France avec l’occupation illégale de la Ruhr, ou l’Italie avec l’invasion de l’Éthiopie). Enfin, l’absence des États-Unis, pourtant "l’âme" de cette nouvelle organisation internationale, a fait qu’il manquait le pays pivot qui est devenu plus tard le "gendarme" du monde (que l’on considère cela de manière positive ou négative).

Les handicaps de la SDN furent analysés et très tôt avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Président Franklin Roosevelt a réfléchi pour créer une nouvelle structure plus efficace, qui fut l’ONU avec pour siège New York, loin des instabilités européennes. L’une a eu seulement un quart de siècle, l’autre déjà trois quarts de siècle.

L’importance du multilatéralisme n’est plus à démontrer, non seulement pour éteindre des conflits qui pourraient s’aggraver, mais pour d’autres sujets d’enjeu mondial, comme la transition climatique. L’exploitation rationnelle et raisonnable des ressources de la planète, et en premier lieu les ressources énergétiques, nécessite une véritable concertation mondiale. Cela n’a pas empêché des guerres, mais pour l’instant, elles ont toujours étaient circonscrites et jamais mondialisées. La SDN, avec tous ses organes institutionnels et ses agences, fut ainsi la précurseure de ce dialogue mondial désormais permanent.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La Société des Nations (SDN).
Les 70 ans d’Israël.
Le Pacte germano-soviétique.
Les Accords de Munich.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le krach de 1929, de sinistre mémoire…
Le péché originel de la République de Weimar.
Le Traité de Versailles.

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