Les cinq vagues du Covid-19… La sixième sera fatale

Nous assistons à une sorte de réaction en chaine, comme un accident industriel planétaire se propageant en plusieurs vagues. Chaque vague a ses pare-feux et ses lignes Maginot (le lecteur attentif aura noté que…). La plupart des observateurs sont sous l’avalanche, submergés par la vague ou alors surfent avec la vague. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut s’efforcer d’être au-dessus des vagues. Mais quelle force doit-on mobiliser ? L’apesanteur et la grâce ?
1) Que le Covid-19 soit une vague, cela ne fait aucun doute. Et même plusieurs vagues, comme s’il y avait un tsunami planétaire avec de multiples épicentres, le premier à Wuhan, puis Qom en Iran, après la Lombardie et enfin dans le monde. New York avec sa forêt de gratte-ciels est devenue un nouvel épicentre à la fin mars. Le Covid-19 se présente comme un incendie, avec des allumettes qu’on appelle patient zéro, puis des foyers, qui commencent à propager le feu, et des forêts, là où il y a des zones vastes et peuplées dans lesquelles se propage la contamination. Dans les zones reculées, l’épidémie semble absente, quoique, un foyer a émergé à Codogno en Italie, une petite ville mais quand même 15 000 âmes. Autrement dit, non pas une forêt mais un bosquet. Les vagues se propagent. En suivant la chronologie des événements, la première vague est observée et étudiée par les scientifiques, virologues, épidémiologistes, cliniciens. L’étude de cette vague est consignée dans des publications nombreuses, provenant du monde entier sous réserve que les pays disposent des professionnels pour l’étudier. Il y a le feu et la maison brûle disait Chirac voici deux décennies. Oui, il y a bien le feu mais il est d’une autre nature, il se propage avec des flammèches invisibles de 125 nanomètres. Et c’est la planète qui prend feu.
2) La deuxième vague concerne maintenant les hommes observant la première vague et se souciant de ce qui se passe avec attention. Et pour cause, ils ont en charge la gestion et le contrôle du territoire avec ses populations. Il faut pour cela un Etat centralisé et efficace, pouvant utiliser les résultats issus des capitaines sur la première vague, autrement dit le complexe scientifique et sanitaire. Il y a longtemps, lors de la peste noire au XIVe siècle, il n’y avait ni Etat, ni complexe scientifique. Lors de la grippe espagnole en 1918, le complexe sanitaire était assez rudimentaire comparé à notre époque. En revanche, il y avait des Etats bien constitués mais ils avaient autre chose à s’occuper. La vague prioritaire se déroulait sur les tranchées. Les Espagnols à l’écart du conflit ont pu voir la vague pandémique déferler. Cette pandémie leur tombait sous les yeux. Les autres nations européennes avaient les yeux ailleurs. En Chine, la première vague fut annoncée par un médecin de Wuhan qui alerta les autorités début janvier. La presse internationale était déjà sur les rangs et la BBC fut le premier média à parler d’une étrange maladie le 3 janvier 2020. L’OMS pensait que ces cas étaient marginaux, envisageant une transmission de l’animal à l’homme mais une semaine plus tard la transmission interhumaine était confirmée et le virus identifié. Le médecin chinois Li ne fut pas pris au sérieux. Mais vu l’afflux de gens passés en stade 3 de la maladie et admis dans les systèmes de soin en urgence, les autorités se sont inquiétées et l’affaire est entrée dans la phase politique. Le médecin Li qui avait alerté les autorités décéda. Il est devenu un héros pour le peuple chinois, héros populaire et non pas national. Et ce fut le début de la seconde vague. Les autorités ont compris qu’il y avait le feu et qu’il fallait agir rapidement. Les premiers à détecter le feu puis à prendre des mesures pour le maîtriser furent les Chinois de Wuhan et la seconde vague émergea. Première technique, mettre des pare-feu, deuxième technique, isoler les foyers, troisième technique, détecter les flammèches dans la population et c’est ce que feront les Coréens.
La seconde vague débuta le 22 janvier, lorsque les autorités décrétèrent Wuhan ville fermée. Entre temps, des centaines de milliers de Chinois avaient fui la province, non pas par peur du virus mais pour rejoindre des proches à l’occasion du nouvel an chinois ; entrée dans l’année du rat. Et l’affaire était maintenant entre les mains du politique. Et en Chine, tout ce qui est politique doit remonter au siège central de Mr Xi. Le foreign policy titrait le 12 février 2020 : « Xi Jinping pourrait perdre le contrôle de l'histoire du coronavirus. Le virus de Wuhan va-t-il nuire à la domination du parti en Chine ? » Entre temps, le grand timonier Xi Jinping avait déclaré qu’il ne permettait pas au démon viral de rester caché. Cette période de flottement a duré quelques semaines. Puis Mr Xi a réussi avec la puissance de l’appareil bureaucratique à maîtriser l’affaire à la fois sur le plan politique et sur le plan sanitaire. Depuis, il a acquis un nouveau titre. Grand Timonier et maintenant Grand Pompier sanitaire.
La première vague pandémique gagna l’Europe. Quelques cas isolés en France, deux à Paris, un à Bordeaux. La prise en main par le politique fut déclenchée sur l’instant mais la situation leur a échappé. Comme en Chine, un vague politique a déferlé sur les pays européens. L’Italie fut le premier pays à imposer un confinement. En France, rassemblements de plus de 5000 personnes interdits, puis le seuil est passé à 1000, puis 100. Ensuite les bars, cafés, cinéma et lieux de rassemblement collectifs furent interdits, ne laissant ouvert que les magasins vendant de la nourriture et les marchés locaux. Puis le confinement fut décrété le lundi 16 mars lors d’une allocution présidentielle regardée par quelque 35 millions de Français. Une semaine plus tard le confinement fut renforcé. La vague politique a gagné l’Europe. Espagne, France, Suisse, Allemagne, Royaume-Uni… Les Américains s’y sont mis non sans quelques lenteurs au démarrage, ce pays étant connu pour apprécier les libertés individuelles et pour sa gestion décentralisée. Et maintenant, la vague politique occupe la planète entière, excepté les coins reculés d’Amazonie, l’Arctique, l’Antarctique et les sommets de l’Himalaya.
La situation politique en mars 2020 est une sorte de miroir inversé de 1918. Il y a un siècle, les pays en guerre avaient sous les yeux le terrible cortège des morts au champ d’honneur, les blessés, les mutilés, le souci de terminer le carnage puis d’envisager l’après. Les pays n’ont vu sur leur radar la grippe faire plus de morts que les armes, des gens âgés et fragiles en majorité mais en nombre considérable. Les Etats-Unis y ont cependant accordé une attention, en raison de l’éloignement. En 2020, les pays ne voient que le coronavirus faire des morts rapidement, comme une grippe espagnole arrivant plus vite qu’à l’ordinaire. Ils ne voient pas les armes faire feu en Syrie et en Libye, conflits devenus subsidiaires eu égard la situation sanitaire devenue critique mais relativement maîtrisable si l’on admet que dans cette pandémie, il ne faut pas se fixer une feuille de route en terme d’efficacité normée mais affronter un incendie ou un séisme, avec des blessés et des morts. La pandémie de Covid-19 a condamné nombre de gens vers une issue fatale. Il faut aussi penser à rester sur le pont. Le monde doit vivre, l’homme n’est pas fait pour rester en cage.
Les décisions politiques prises depuis que la vague a saisi l’Italie, puis l’Europe, puis les Etats-Unis et le monde, sont d’une intensité sans précédent. Chaque pays a sa ligne Maginot. Aucune ne semble en mesure de stopper l’avancée du Blitzkrieg viral. Certains pays s’en sortent mieux. Mais à quel prix ? Quelle vie nous est promise après le cataclysme ? Cette vie ne s’esquisse qu’avec quelques indices récupérés sur la troisième vague alors que d’autres indices annoncent des temps maussades.
3) La troisième vague atteint les populations. Il n’est plus question de gestion rationnelle de crise mais de crise du psychisme. Pendant un temps de flottement, une majorité de Français ne craignaient pas trop le virus mais en bon citoyens, ils opinèrent aux injonctions du politique en convenant que les mesures prises étaient justifiées pour ne pas saturer les systèmes de soin. Ce flottement a vite été remplacé par une méfiance puis une anxiété ou disons plus modérément, un changement de tonalité dans le système nerveux des saillances. Une peur diffuse est arrivée. Le confinement est devenu non seulement un instrument réglementaire pour servir l’utilité publique mais aussi et surtout un moyen de se prémunir contre le virus qui cette fois, génère une vague de peur. Si les uns ont des défenses immunitaires antivirales et sont moins affectés, en matière de tourments de l’âme, les uns se défendent mieux que les autres. Après, cela dépend du contexte et des signaux que l’on reçoit. Vu le nombre de décès annoncés dans les médias et de témoignages rapportés par les proches, nous sommes tous affectés. Moi-même j’ai eu quelques remontées de terrain ainsi qu’une connaissance ayant témoigné de la sévérité des symptômes, cette personne étant sans doute au stade 2 limite 3 de la maladie. Cette troisième vague est silencieuse, elle ne se voit pas, se devine, avec le regard des gens, elle ne fait pas de bruit, les gens tiennent leur distance. Le psychisme est habité par un ensemble de sentiments et d’émotions. Qui parfois se trahissent, notamment les ressentiments, haines et vengeances. Les règlements de compte dans les médias, les Parisiens enviés, puis détestés, pneus crevés ou carrosseries rayées lorsque les plaques n’ont pas le numéro local. Cette troisième vague est arrivée lorsque la première a atteint la France avec une grande intensité. Disons à partir du 17 mars, lorsque nous sommes entrés dans le jour d’après (c’est-à-dire après le discours du président Macron).
La vague de peur et d’anxiété ne va pas s’arrêter à ce stade. Le confinement risque de produire d’autres effets sur les psychismes qui on le sait, peuvent passer par toutes les teintes. En l’occurrence, les âmes risquent de se colorer en tons grisâtres, morosité, angoisse, ou alors rougeâtres, animosités, énervement, colères. La vague de peur s’est complètement transformée depuis que les infos annoncent les chiffres et que les témoignages affluent. Dibango, Devedjian décédés et tant de personnalités contaminées. Braves sont ceux qui restent sur le pont, routiers, caissières, éboueurs, facteurs, infirmières et tant de gens. Sans eux, tout s’écroule. La société fracassée par une vérité. Toutes ces professions devenues cruciales en ces temps de crise figurent parmi les plus bas salaires. Et pour le reste, saluons la résilience des Français et espérons que cela durera. Après la crise, la plupart des consciences se seront transformées. Cette crise est révélatrice des traits de caractère et de personnalité de chacun. C’est flagrant pour qui sait lire les expressions des visages et des paroles. Même l’écrit permet cette sorte de radiographie des âmes humaines.
4) La quatrième vague a précédé la vague psychique mais si elle figure à cette place, c’est parce qu’elle risque de s’étaler dans la durée. On l’aura compris, il s’agit de la vague économique. La grande dépression consécutive à 1929 s’est étalée sur des années. Cette crise qui arrive maintenant se présente sous la forme d’une énorme secousse. Elle est arrivée dès que les Etats européens ont pris des mesures de restrictions puis de confinement, avec une première incidence liée à l’indice de production industrielle chinois. L’économie va être secouée, brutalement et plus rapidement qu’en 1929 car les économies mondiales sont toutes interconnectées et que l’activité se réduit dans des secteurs générant des chiffres d’affaire colossaux, transports aériens et terrestres, circulation des marchandises, production, pétrole, automobile, consumérisme. Bref la totale, crise de l’offre puis de la demande et enfin crise financière. Il y a des moyens pour amortir le choc. J’espère que les responsables sauront les utiliser. L’onde virale a engendré trois vagues, politique, psycho-sociale et économique. Cette vague économique se conjugue avec la vague politique dans la mesure où elle amène des décisions sans précédent. Nous ne sommes qu’au début de la réaction en chaine. Et sur les réseaux sociaux, tous les abrutis et autres ignares de la toile se foutent sur la gueule, bavardent, babillent, aboient et se regardent le nombril alors que le Titanic planétaire est sur la trajectoire d’un iceberg temporal qui se prépare à l’engloutir, l’iceberg du Cronos. Aux Etats-Unis, quatre millions de chômeurs supplémentaires. Et le confinement n’a pas commencé. D’ici quelques semaines, le chiffre risque d’être multiplié par trois voire plus. En France, 2 millions en chômage technique, protégés par l’Etat.
L’onde va être fracassante. Il y aura des dégâts. Répartis inéquitablement. La question n’est pas de savoir quand l’onde va s’aplanir mais de se demander si l’activité reprendra son cours et dans quel état nous serons. La question est de savoir si le monde va résister. Cette équation repose d’une part sur les décisions des gouvernants et d’autre part sur la résilience des populations. Si cette résilience craque, ce sera la cinquième vague.
5) La cinquième vague est facile à devenir, c’est une crise sociale. Cette vague comme les trois précédentes est entre les mains de l’homme. Seule la vague virale échappe aux humains. En Italie du Sud on note des incivilités faisant saillance et troublant le cours des choses habituel. Des gens semblent prêts à piller les magasins. Pour l’instant, laissons ces événements au rang de faits divers. S’il s’avère que des cas groupés émergent, alors il faudra porter une attention à ces signes mais une fois que l’incendie social est allumé, on ne sait pas comment faire face. Une révolte de ce type peut aboutir à une guerre civile. Ou alors à une clause de survie montrant les capacités de résilience des populations. Aux Etats-Unis, la vente d’armes à feu ne signifie pas qu’elles vont être utilisées. Le réflexe de survie est universel. Envisager des insurrections, des révoltes et des crises sociales n’a rien d’irrationnel. Il est même probable que cela va arriver. La seule incertitude, c’est l’intensité. Un insurgé ou un révolté ne suit pas les règles de la bureaucratie, il est imprévisible. Nous l’avons tous constaté les 1 et 8 décembre 2018 lors de la crise des gilets jaunes.
6) La sixième vague risque de se produire si les vagues 4 et 5 ne sont pas stoppées, par de bonnes mesures conjuguées à la résilience sociale. Cette sixième vague est tout simplement un troisième conflit mondial. Et là, il n’y a rien à expliciter car on se situe dans l’inconnu des émergences et disruptions historiques. Cette option est pour l’instant à probabilité quasi-nulle. Mais si un virus mutant est capable de générer un choc planétaire, gardons-nous de sous-estimer l’effet d’un neurone dans le cerveau d’un dirigeant possédant la capacité d’appuyer sur le bouton. Mais même en ce cas, il y aura sans doute un chef militaire prêt à désobéir aux ordres. C’est ce qu’on appelle la providence. Et peut-être que là aussi, nous ne sommes pas maîtres du destin. Mystère.
L’Homme, entre la Nature et le Divin.