Les dessous de la guerre au Nagorno-Karabakh
L'Arménie de Nikol Pashinyan paie son ouverture à l'Ouest, la Turquie d'Erdogan se lance dans une fuite en avant impérialiste, l'Azerbaïdjan tente de faire avancer ses pions sans perdre son autonomie. À distance, l'ours russe observe comment tourne la situation avant de lancer un coup de patte...
Le rôle de Nikol Pashinyan
Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan est un nationaliste. Il a rompu avec la prudence diplomatique de ses prédécesseurs, conseillés et tempérés par Moscou, et célèbre haut et fort la mémoire du Traité de Sèvres de 1920 qui démantelait l'Empire ottoman et accordait son émancipation à l'Arménie historique. Il a indéniablement excité les nationalistes turcs.
Comme il est également l'homme politique le plus tourné vers l'Europe et Washington qu'ait connu Erevan, il n'est pas, non plus, très populaire à Moscou...
Bakou, soutenue par Ankara, a donc compris que c'était le moment d'attaquer. La Russie envoie un message à Pashinyan en ne s'opposant pas à l'offensive Azérie au Nagorno-Karabakh, au prix du sang des Arméniens.
Le rêve ottoman d'Erdogan
Recep Tayyip Erdogan parle de la Turquie et de l'Azerbaïdjan comme « d'une nation, deux États » et pousse l'offensive azérie au Nagorno-Karabakh.
Sa relation avec l'Azerbaïdjan ne s'est pourtant renforcée que depuis l'échec des rapprochements diplomatiques entre la Turquie et l'Arménie, initiés en 2008. Depuis, Bakou, riche en pétrole et en gaz, a dépensé beaucoup en Turquie. La Turquie, qui forme des officiers des forces armées azerbaïdjanaises, n'est encore que le troisième fournisseur d'armes de l'Azerbaïdjan après Israël et la Russie. Mais les ventes d'armes de la Turquie à l'Azerbaïdjan ont été multipliées par six en 2020.
Ce sont, en fait, les alliés nationalistes du Parti du mouvement national (MHP) qui poussent le président Erdogan à s'affirmer en Azerbaïdjan et dans le Caucase ; en Syrie, en Libye, dans le nord de l'Irak ou face à la Grèce et à Chypre dans l'est de la Méditerranée. Cette offensive nationaliste, plutôt victorieuse, est très populaire en Turquie. Elle ne fait pas de morts turcs.
Pour le pays, actuellement en grande difficulté économique, l'aide économique de l'Azerbaïdjan, fournisseur de pétrole, est, par ailleurs, vitale. SOCAR, la société pétrolière d'État azerbaïdjanaise, est devenue le plus gros investisseur étranger en Turquie.
Ankara, fort de ce succès, aimerait s'inviter à la table du groupe de médiation de l'OSCE, qui se tient à Minsk entre la Russie, la France et les États-Unis pour régler la question du Haut-Karabakh.
L'idée des Turcs est d'avancer en Syrie, en Libye autant qu'au Nagorno-Karabakh, en route vers la renaissance de l'empire néo-ottoman pour s'extraire de leurs difficultés politiques et économiques actuelles. C'est la bonne vieille fuite en avant.
La stratégie millénaire russe dans le Caucase
Cette ingérence des Turcs dans la région indispose évidemment Moscou. Les tsars russes avaient envahi l'Arménie en prétendant libérer les Arméniens de la domination ottomane et de l'Iran. Joseph Staline songeait à annexer l'est de la Turquie pour, soi-disant, étendre le territoire de l'Arménie soviétique et surtout accéder à la Méditerranée.
Moscou veut conserver cette posture de protecteur de l'Arménie, de pacificateur de la région. Les Russes vendent leurs armes aux deux camps, tant que la situation n'évolue pas à l'encontre de leurs intérêts.
En réalité, Erevan est le pion avancé de Moscou dans la région du Caucase du Sud, aux confluents de l'Europe de l'Est et du Moyen-Orient. Moscou observe très attentivement l'évolution de la situation. Il s'agit d'empêcher une domination turque sur le Caucase méridional.
L'Azerbaïdjan joue sa carte.
Les stratèges azéris savent donc qu'ils ne doivent pas prendre le contrôle de la plus grande ville du Haut-Karabakh, Stepanakert ou séparer le Nagorno-Karabakh de l'Arménie. Cela entraînerait l'intervention directe de l'armée russe.
Si le président azerbaïdjanais Ilkham Aliyev bénéficie d'une popularité renouvelée dans son pays grâce à ce succès militaire, il a étudié la diplomatie en Russie. Son père, Heydar Aliyev, appartenait au KGB... Le président azéri veut donc rester en bons termes avec Moscou comme avec Ankara, tout en retirant un bénéfice personnel de l'opération. Son gouvernement ne souhaite nullement être englobé dans l'empire néo-ottoman voulu par Erdogan et ses amis.
Aliyev et ses généraux savent donc jusqu'où ils ne devront pas aller, malgré l'avis des nationalistes d'Ankara.
William Kergroach