jeudi 25 octobre 2012 - par le moine du côté obscur

Les ivoiriens en quête d’espoir

Comme je l’ai dit dans mon précédent texte, la situation est tendue en Côte d’Ivoire et beaucoup de mes compatriotes ne savent plus à quel saint se vouer. Ceux qui ont cru en Ouattara pour beaucoup déchantent aujourd’hui. Quant aux pro-Gbagbo entre prophéties hallucinantes qui ne se réalisent pas et manque de perspectives politiques, ils semblent désabusés. La majorité du peuple ivoirien qui cherche à vivre en paix lui souffre terriblement de ces tensions croissantes et de l’irresponsabilité des politiques et autres responsables du pays. Mais au de là de tout ça je pense que le vrai problème est de savoir quel avenir pourrait se dessiner pour la Côte d’Ivoire. 

 Les élections de 2010 porteuses au départ d’espoir ont montré quelque chose d’extrêmement malsain qui mine la société ivoirienne, à savoir le tribalisme. Ouattara ce n’est pas un secret est considéré par bon nombre d’ivoiriens comme un étranger. Il y a eu de nombreux débats à ce sujet et je ne souhaite pas y revenir. Mais durant les 11 années de crise, j’ai entendu des propos et vu des comportements qui me laissent perplexe. Ouattara s’est présenté comme le champion du nord et a d’ailleurs dit que c’était parce qu’il était nordiste et musulman qu’on ne voulait pas de lui. Mais si c’est en partie vrai, je ne suis pas sûr que ce soit la cause principale du rejet dont il fait l’objet, quoique… Il faut discuter avec certains « sudistes » pour comprendre le mépris qu’ils ont pour les nordistes accusés d’être « sales » (les odeurs de Chirac ne sont pas loin…), d’êtres communautaires (et donc notamment de mépriser les sudistes qu’ils appellent bousmani (les nordistes appellent ainsi les forestiers, le terme est dérivé de bushman)), d’être avides. Certains n’hésitent pas à avoir sur les nordistes le regard que certains ont eu ou ont toujours sur les juifs. Moi-même étant nordiste de père je ne peux pas dire que toutes ces récriminations sont infondées. Mais mettre tous les nordistes dans le même panier pose clairement problème. On ne peut condamner toute une communauté pour les agissements de nombre de ses membres, même si c’est la majorité. Aujourd’hui les choses ont pas mal changé et les nordistes me semblent bien plus ouverts que par le passé. Tout ceci pour dire qu’il y a un malaise tribaliste réel sur lequel ont surfé et Ouattara et même Gbagbo.

 Gbagbo est populaire à l’ouest pour des raisons ethniques (mais aussi des problèmes fonciers entre les autochtones et les allochtones en grande partie nordistes) et au sud est pour des raisons tribales évidentes. A l’ouest il se fait le champion du « grand ouest », un rêve un peu fou qui veut voir les fils et filles de l’ouest régner sur le pays. Remarquons que Ouattara lui aussi est le champion désigné du « grand nord », les nordistes rêvant depuis plusieurs décennies déjà d’avoir le pouvoir politique alors qu’ils ont un pouvoir économique impressionnant. Gbagbo est très populaire aussi à l’est où il se présente comme l’héritier de Boka Ernest (un opposant tué dans des conditions troubles au temps du président Houphouët Boigny, « mentor » de Ouattara et de Bédié (http://www.ivoirebusiness.net/?q=node/6823)) un fils de l’ethnie abbey (http://www.rezoivoire.net/cotedivoire/patrimoine/225/l-histoire-des-abbey.html). Certains groupes du sud-est ont aussi un mépris pour les nordistes sur lequel Gbagbo et son clan (d’ailleurs sa femme Simone Gbagbo vient de cette région) ont très bien surfé. Donc beaucoup ont voté pour Ouattara et Gbagbo pour des raisons tribales. Pas mal d’autres bien sûr ont voté pour leurs intérêts, ne sous-estimons tout de même pas le pouvoir de l’argent. Il y a ne l’oublions pas plusieurs cadres nordistes pro-Gbagbo et plusieurs cadres « sudistes » pro-Ouattara. Mais les fils et filles du nord notamment nourrissaient beaucoup d’espoir par rapport à l’accession sur le trône de Ouattara, considérant qu’avec lui leur tour (de profiter des bienfaits du pouvoir) était arrivé. Actuellement beaucoup sont horriblement déçus au point de regretter Gbagbo qui au moins leur laissait faire leurs magouilles et leurs petits commerces. Le clan Ouattara lui semble d’une très grande voracité et semble vouloir contrôler toutes les sources de revenus.

 Ouattara est entouré d’affairistes redoutables notamment issus de son parti et de l’entourage de ses proches. Le pillage décrié sous le régime Gbagbo semble aller bon train sous le régime du « rigoureux » Ouattara. Même si celui-ci est de bonne foi ce dont nous doutons mais supposons-le, il est pris entre plusieurs feux comme je l’ai déjà mentionné dans mon précédent article (http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/ca-chauffe-en-cote-d-ivoire-124448). Il doit son poste à nombre d’acteurs qui n’ont pas en tête l’intérêt du peuple ivoirien. Et s’il dévie il pourrait subir le sort d’autres impudents mis en place par les « maîtres du monde » ou du moins ces « puissants » qui estiment que l’Afrique est leur chasse gardée. Ses marges de manœuvre me semblent minces, mais quand on fait son lit on s’y couche. Il a voulu le pouvoir qu’il assume ses ambitions. Quant aux jeunes ivoiriens beaucoup nourrissaient le doux rêve de monter leurs projets pour enfin pouvoir se prendre en charge. Mais si certains semblent être en train de réussir d’autres se heurtent aux problèmes récurrents que sont la corruption, le clientélisme, le tribalisme etc… Le mal est profond et à mon avis seul un régime de type militaire pourrait redresser la situation. Mais même l’armée est dévoyée et corrompue ! Celui qui a eu l’occasion de mettre de l’ordre, feu le général Gueï (président fin 99 jusqu’à octobre 2000 suite à un coup d’état militaire), est lui-même tombé dans de pareils travers ! Alors entre une classe politique avide et corrompue, une administration corrompue, même des opérateurs privés affairistes et corrompus on se demande où regarder. L’enrichissement rapide par tous les moyens est la règle dans la jungle qu’est le pays. L’espoir fait vivre dit-on, mais après tant d’années à espérer on comprend que beaucoup se mettent à désespérer. Nous avons une jeunesse désœuvrée qui a été manipulée par les politiciens et qui semble aujourd’hui désemparée et désabusée. Nombre de ces jeunes sont armés et pourraient être tentés par des idées malsaines. Et vu que la police n’est pas assez armée (car considérée en majorité comme pro-Gbagbo) et même quand c’est le cas les policiers sont souvent corrompus (car ils ne sont pas entrés là par vocation par manque d’opportunités ou par désir de s’enrichir), idem pour la gendarmerie, la sécurité des citoyens n’est pas vraiment garantie. Beaucoup vivent dans la peur et ce n’est jamais bon. Je brosse un tableau sombre mais j’essaie pourtant d’être mesuré et réaliste. Le pays sombre dans les ténèbres n’en déplaise à ceux qui veulent se mettre des œillères.

 Personnellement je ne sais pas s’il y a une solution, car entre les intérêts particuliers, les intérêts tribaux, le manque de vision à long terme des responsables (qui se disent qu’ils ne dureront probablement pas à leurs postes), je ne vois pas vraiment d’issue. A mon niveau je cherche à monter des projets avec des jeunes gens mais je suis souvent très déçu par le manque de rigueur et de sérieux de certains. D’autres font preuve de courage et d’abnégation et ça me donne un peu d’espoir. Je ne sais quel sera l’avenir mais tant que j’ai de la force et de la santé, je compte me battre avec mes maigres moyens pour améliorer les choses. Au fond de moi je n’aime pas être fataliste et je me dis qu’il y a encore du bon sur cette terre. Et même si ce bon est une faible lueur dans les ténèbres c’est déjà ça…



4 réactions


    • le moine du côté obscur 25 octobre 2012 13:22

      C’est vrai qu’il y a de l’insécurité mais on peut quand même circuler et faire ses activités. Maintenant ça dépend du quartier où vous voulez vous rendre et les activités que vous voulez faire. Sinon il y a pas mal d’étrangers qui viennent et repartent sans problème. Les étrangers habitent en général dans des quartiers assez sûrs donc je pense que vous pouvez venir sans problème. 


    • le moine du côté obscur 27 octobre 2012 01:23

      à Abidjan en général ça va, quoique je préfère par exemple ne pas m’éloigner de la maison à partir d’une certaine heure. A Agboville c’est plutôt calme ces derniers temps même si dans le fond c’est une ville hostile au pouvoir de Ouattara. Et les abbeys qui y vivent n’aiment pas trop les blancs mais bon il ne faut généraliser. 


  • easy easy 25 octobre 2012 19:48

    L’espoir ?

    Ouille !

    Il manque aux EU, en Angleterre, en France, en Belgique, au Japon, en Suisse...

    Alors l’Afrique ...


  • Mwana Mikombo 29 octobre 2012 02:58

    @l’auteur

    Vos deux derniers articles sont d’une grande richesse en matière d’informations sur le chao du régime Ouattara dans lequel les ivoiriens barbotent. Votre photographie des agissements dans l’un et l’autre camp, est assez juste. De ce côté journalistique, rien à trop se plaindre. D’un autre côté, il y a un petit hic en ce qui concerne certaines de vos prises de position sur le plan politique. Votre sous souci d’équilibre dans vos appréciations politiques, votre prudence, est pourtant évident. Il faut vous en féliciter. Cela n’empêche que certaines de vos positions soient discutables, voire erronées, en ce qui concerne la politique de Laurent Gbagbo. Pour Ouattara, tout ce que vous avez écrit est juste. Mais pour Gbagbo, il y a des insinuations et affirmations tordues à revoir. Par exemple, lorsque vous affirmez qu’ "...il y a un malaise tribaliste réel sur lequel ont surfé et Ouattara et même Gbagbo", vous chargez Gbagbo d’un mauvais procès. Il me semble bien que Gbagbo n’est pas l’auteur de l’ivoirité, que c’est Konan Bédié, l’ami de Ouattara, qui en est l’auteur, et que c’est bien Gbagbo qui a donné la citoyenneté ivoirienne à Ouattara afin qu’il puisse se présenter contre lui. Vous donnez souvent l’impression de jugez la politique de Gbagbo voire de Ouattara beaucoup plus à travers le prisme de leurs partisans. Ce qui vous amène par souci compréhensible d’équilibre à les renvoyer dos à dos. Mais en réalité, sur le plan politique, Gbagbo et Ouattara, c’est le jour et la nuit. Ne serait-ce que parce que l’un, par dignité de son pays et de son continent, ce qui est rare dans le monde noir, a choisi de résister avec des moyens ridicules et malgré l’encerclement face à l’un des ennemis les plus redoutables et les plus puissants de l’Afrique que représente la France coloniale, tandis que l’autre a au contraire choisi la collaboration. En outre, il me semble encore que c’est bien Gbagbo qui a apporté la démocratie tant réclamée en Côte d’Ivoire tandis que Ouattara en a toujours été le fossoyeur. Certes, Gbagbo n’est pas un saint qui n’aurait pas quelque défaut. Mais, le mettre sur le même pied d’égalité que Ouattara le lèche-cul des pires ennemis de l’Afrique, ce n’est pas sérieux, mais alors pas du tout. C’est insulter l’Afrique résistante.

    Merci quand même d’alerter sur les gros nuages qui s’accumulent sous le ciel de la Côte d’Ivoire ensevelie dans les décombres du dernier ouragan.


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